“Krisha et le maître de la forêt” : un gracieux conte initiatique en stop motion
Il est facile, courant – mais pas forcément faux – de dire que l’animation en stop motion a un petit quelque chose en plus. Une vraie caméra mobile pour la rendre possible, un manteau de textures laineuses qui décuple la sensation de palpabilité qu’elle procure, ou encore d’infimes imperfections dans les mouvements qui font autant son charme que son identité miniature et rassurante. Mad God de Phil Tippett le rappelait, alors qu’il s’imposait comme le film d’horreur le plus adorablement glauque depuis des lustres : en essentialisant sa matière, la stop motion laissait alors exploser sa beauté.
Ce type d’animation, la Corée du Sud n’en avait pas produit depuis Kongjwi et Patjwi de Gang Tae-ung en 1977 – et on ne peut qu’espérer, tant il est gracieux et maîtrisé, que Krisha (re)lance un mouvement. L’action se situe dans la toundra sibérienne à une époque proche de la nôtre. Krisha, une jeune éleveuse de rennes de la tribu Nénètse, voit sa mère tomber malade suite à un accident. Pour la sauver, elle doit trouver le maître de la forêt, un gigantesque ours rouge que Krisha voit déjà dans ses rêves. Son père, convaincu que tout cela n’est qu’une légende, préfère se rendre au village chercher des médicaments, ce qui pousse la jeune fille à partir par elle-même en quête de l’animal.
Monde en réduction
S’adressant en premier lieu au jeune public, mais pas dénué de violence et de crudité, Krisha raconte l’éternel conflit entre nature et culture. L’antagoniste, un chasseur russe décidé à tuer l’ours mythique pour sa propre gloire – qui n’est pas sans rappeler la Dame Eboshi de Princesse Mononoké, une des inspirations les plus claires du film – incarne une certaine idée de l’asservissement de la nature par la culture. La nature est vue comme un objet de culte pour le peuple Nénètse, qui vénère autant les ressources qu’elle lui accorde que tout ce qu’elle lui rend inaccessible. Le film montrera aux enfants (et rappellera aux adultes) combien le premier pas vers la destruction d’une population réside dans la suppression de ses croyances.
Ces thématiques très fortes sont enveloppées d’un écrin de stop motion prodigieusement sobre (un cinéma de l’essentiel, aux moyens limités, loin de L’île aux chiens de Wes Anderson par exemple), qui vient même renforcer la dualité au centre du film. Krisha et le maître de la forêt donne à voir un véritable monde en réduction, une Sibérie miniature, saisissante de beauté, paradoxalement sublimée par son artificialité – aurores boréales en tissu translucide, neige en plastique, rennes en feutrine… Le voyage initiatique de la jeune nomade en revêt une dimension métaphysique sur le rapport même que le cinéma entretient, et doit entretenir, avec mère Nature.
Krisha et le maître de la forêt, de Park Jae-beom. En salle le 17 janvier.