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Январь
2024

Télétravail : les entreprises qui reviennent dessus creusent leur tombe, par Julia de Funès

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Une nouvelle ritournelle au sujet du télétravail s’ébruite. Les entreprises en reviendraient ! Les entreprises peut-être, les salariés, dans leur grande majorité, certainement pas. Et que signifie "en reviendraient" ? Voudraient-elles le supprimer ? Ou chercheraient-elles à le réduire ? Comment imaginer une seule seconde une entreprise rayer définitivement le télétravail de sa carte alors que toutes ou presque rencontrent déjà suffisamment de problèmes d’attractivité ? Le supprimer enterrerait pour toujours l’entreprise dans une tombe anachronique. Alors pourquoi certaines personnes (toujours les mêmes) y sont-elles systématiquement réfractaires et profitent de ce soi-disant revirement pour revenir sur cette liberté acquise ?

"Le télétravail délite les liens sociaux, le collectif y perd !" répètent en meute les perroquets décervelés. Dans l’amas ressassé des opinions reçues, dans le sentier battu des truismes et des poncifs, cette triviale conjecture devient adage. Il est temps de lui porter un coup de grâce car cette idée n’est pas juste.

Le "full" télétravail, en bon syntagme d’entreprise, a bien sûr raison de nos rapports sociaux et professionnels, mais sous forme "d’hybridation" (toujours dans le même bon syntagme), il n’empêche en rien de maintenir les liens. Certes, le risque individualiste s’amplifie avec le télétravail, mais ce dernier n’empêche personne de revenir quelques jours travailler en entreprise, ou de se retrouver pour des moments plus informels et conviviaux. Ce n’est donc pas le télétravail en tant que tel qui condamne les moments collectifs mais les efforts qu’une organisation hybride suppose et que peu sont prêts à fournir pour la mettre en place. Le télétravail est systématiquement invoqué comme une cause, un prétexte au délitement des liens, alors qu’il est surtout l’alibi de ceux qui cherchent à dissimuler leur difficulté à organiser des moments collectifs. Il est bien plus facile d’accuser une technique que de se remettre en question. La mauvaise foi consiste ici à transformer la difficulté humaine en disqualification du dispositif. Deuxièmement, le lien social n’a pas attendu le télétravail pour se défaire en entreprise. Même l’open space, cet espace d’osmose collaborative (sic) y a participé. La promiscuité, loin de faciliter les échanges, bâillonne la plupart du temps les collaborateurs craignant au moindre mot de déranger leurs plus proches voisins. Enfin, loin de remplacer les bienfaits du contact réel, le virtuel permet d’en redécouvrir toutefois la saveur. On le sait bien, il suffit de perdre ou de manquer de quelque chose pour en apprécier la valeur. Il en est de même avec les êtres. La présence continuelle des uns avec les autres peut à la longue ternir les relations. On apprécie d’autant mieux les moments ensemble qu’on les sait occasionnels. On prépare d’autant mieux les réunions qu’on les sait ponctuelles. Autrement dit, le télétravail, bien loin de miner le collectif, le renforce et le consolide ! Les interactions véritables sont d’autant plus attendues, désirées et efficaces qu’elles sont suspendues et virtualisées par le distanciel.

Ce désir irrépressible de surveillance

Malgré ces arguments, si certains persistent à revenir sur le télétravail, c’est qu’au fond il réduit la part de surveillance, de contrôle, de repérage, en remplaçant la visibilité permanente par la confiance. Laisser les salariés travailler d’où ils veulent quand ils veulent suppose un lâcher-prise, un abandon. Certaines psychologies contrôlantes y sont obstinément réfractaires.

Rappelons que le télétravail est là pour concilier au mieux les nécessités et les contingences de la vie professionnelle avec celles de la vie personnelle. Comme tout équilibre, sa mise en place exige souplesse, flexibilité, adaptations permanentes. Il est donc compréhensible que les entreprises le modulent et l’ajustent en fonction des circonstances. Mais l’ajuster est une chose, revenir définitivement dessus en est une autre. Comme toute chose, le télétravail réunit de sérieux inconvénients (amplifier certaines inégalités, occasionner des injustices etc.). Comme toute liberté accordée, il n’exempte en rien de dérives liberticides. Mais de grâce, n’utilisons plus le faux argument itératif du collectif pour le disqualifier. Que les dirigeants ou managers qui ne s’y font pas assument leur incapacité à s’y adapter ou leur désir irrépressible de surveillance.