Qui était Jean Lebourg, celui qui a donné son surnom au quartier de la Ville-Gozet à Montluçon ?
Entre 1840 et 1890, Montluçon (Allier) passe de 5.000 à près de 30.000 habitants ! Une ville nouvelle est en train d’émerger sur la rive gauche du Cher. La révolution industrielle fait son œuvre, les industries sont florissantes et il faut loger des centaines et des centaines d’ouvriers.
Le quartier porte un nom : celui de "Outre-Cher". Pas glamour pour un sou. Alors, la municipalité conduite par Joseph Chantemille, commerçant de son état, décide en 1880 de remplacer dans les actes officiels "Quartier d’Outre-Cher" par "Ville-Gozet".
Un personnage haut en couleursCe changement intervient dix ans après la mort d’un certain…Gozet. Une légende locale. Tailleur d’habits un jour, cabaretier un autre. Un monsieur truculent connu de tous, au point que les Montluçonnais ont pris pour habitude de désigner la nouvelle ville située au-delà du pont Saint-Pierre sous le nom de "Ville-Gozet".
Disons-le tout de suite, "Gozet" était un surnom. Le personnage en question s’appelle en fait Jean Lebourg. C’est ce que l’on apprend dans La lettre des Amis de Montluçon, publiée en mars 2021 par la société d’histoire et d’archéologie. Elle reprend le passionnant travail engagé par l’historien René Bourgougnon, qui s’était intéressé en 1984 à la vie de Jean Lebourg, "un gaillard rusé autant que retors".
Au cours du XXe siècle, plusieurs historiens réputés ont traité brièvement du sujet. "Aucun ne paraît avoir eu recours aux véritables sources de l’histoire : les écrits de l’époque, les archives publiques et privées, la presse locale", souligne René Bourgougnon. En résumé, tous rapportent une tradition orale avec ses doutes et ses inexactitudes.
Le premier à se lancer est Édouard Janin, dans Histoire de Montluçon, en 1904. En page 282, il écrit ceci. " Il y a soixante-quinze ans, un nommé Gozet, tailleur d’habits, natif des environs, vint s’installer dans une petite échoppe, au coin du pont Saint-Pierre […]. Un peu plus tard, le dit Gozet avait acquis d’un nommé Mage […] une parcelle de terre d’une contenance de treize ares. Il s’y fit construire, exactement en face de l’entrée des Ateliers de construction de la Compagnie de Châtillon et Commentry, après avoir franchi le passage à niveau rive gauche de la rue de la République, une petite boutique à l’usage de sa profession".
Au début du XXe siècle, les cafés sont encore nombreux sur la rue de la République.
En 1912, Ernest Montusès y va lui aussi de son Histoire de Montluçon, et raconte. "C’est le peuple qui a baptisé les quartiers et les vieilles rues, souvent avec un sens ironique qui a retenu l’attention par le rire".
"Il était un pauvre tailleur d’habits que ses habitudes d’intempérance faisaient tourner en dérision."
Dans Montluçon et ses richesses, paru en 1932, le chanoine Clément évoque en page 290 "une nouvelle et populeuse ville, amorcée par la petite échoppe que M. Gozet s’était fait construire sur la route de Tours, au-delà du pont". Aussi surprenant que cela puisse paraître, aucun de ces trois historiens ne semble connaître la véritable identité de "Gozet".
C’est le géographe Pierre Coupas qui, dans son ouvrage Le Département de l’Allier paru en 1883, nous met sur la piste. "C’est à partir de 1846 que Montluçon s’est agrandi dans de vastes proportions. Sur la rive gauche du Cher, on a créé, depuis cette époque, des manufactures et des usines magnifiques. On a construit des quartiers pour la population ouvrière. Une nouvelle ville s’est formée. C’est la Ville-Gozet, qui porte le surnom du sieur Lebourg, le constructeur de la première maison".
Inscrit dans vingt-neuf registresLes registres de dénombrement de la population permettent de suivre les pérégrinations de Jean Lebourg dans ce quartier "d’Outre-Cher", qui portera son nom après sa mort.
Entre 1838 et 1869, "Gozet" apparaît dans vingt-neuf registres et, apparemment, il a la bougeotte. On le retrouve domicilié rue du Capitaine-Segond, rue du Canal, rue des Rémouleurs, rue du Pont-Vieux, rue Porte-Saint-Pierre, rue de Brevelle… Toutes ses adresses ne sont pas connues.
Le nom de Jean Lebourg apparaît donc une première fois en 1838. Il est recensé comme cabaretier et vit avec sa femme et ses trois enfants au "Bout du Pont". Un groupe de maisons situé sur la rive gauche du Cher au débouché du pont Saint-Pierre.
Une vue aérienne du Cher à Montluçon. Au premier plan, le quartier de la Ville-Gozet. Jean Lebourg a été l'un des premiers à faire construire une maison dans ce nouveau quartier.En 1839, Jean Lebourg est recensé comme tailleur et… boiteux. Place Saint-Pierre, il est de nouveau cabaretier en 1842. Il exerce probablement les deux métiers. "C’est certainement à cette époque que débute la notoriété de Gozet", estime René Bourgougnon. En 1845, il est cabaretier aux Marais. Dans un fait divers relaté par Le Courrier de l’Allier en novembre 1847, le nom de "Ville-Gozet" apparaît pour la première fois dans la presse locale.
Jean Lebourg connaît à ce moment-là de nombreux déboires. Les biens hérités de son père sont vendus sur saisie. Il est ruiné. En 1849, il est de nouveau recensé comme "ouvrier tailleur". Cinq ans plus tard, il est recensé pour la première fois avec son surnom : "Lebourg Jean, dit Gozet, tailleur, 44 ans, boiteux". Dans les dernières années de sa vie, il se déclare "propriétaire". Le recensement de 1866 indique enfin son dernier domicile : la rue de Brevelle.
Naissance. Jean Lebourg naît le 20 décembre 1809 à Domérat. Il est le fils de Pierre Lebourg, propriétaire vigneron, et de Jeanne Prévost.Mariage. En 1829, il épouse Catherine Aumaître, une domestique âgée de 21 ans, domiciliée à Desertines. Ils ont trois enfants : Françoise (en 1830), Claude (en 1833) et Rose, née infirme. Veuf, il se remarie un an avant sa mort avec Marie Catary, de vingt ans sa cadette. Il vit avec elle depuis cinq ans.Décès. Le 2 août 1869, à huit heures du matin, il décède à son domicile de la rue de Brevelle. Il a 59 ans.
Texte : Fabrice RedonPhotos : tirées du livre "Montluçon il y a 100 ans en cartes postales"