Les moutonniers ont l'habitude de faire le dos rond, mais comment vont-ils en Auvergne?
Michèle Boudoin élève 550 brebis sur 72 hectares dans la chaîne des puys, dans le Puy-de-Dôme, dont 25 hectares de pastoralisme. Le tout en prairie naturelle, hors cadre familial et hors cadre successoral. Elle préside l’Association régionale ovine d’Auvergne (qui gère le Hall 5 au Sommet de l’élevage de Cournon) et la Fédération nationale ovine (FNO). L’occasion de faire le point sur cette filière, qui n’a eu d’autre choix que de rebondir ces trente dernières années.
Comment se porte la filière ovine aujourd’hui ?
Globalement, on peut dire qu’elle se porte bien. Elle a traversé tellement de choses qu’on est facile à contenter, même si quand ça va bien, on reste toujours prudent. Depuis 2010, on a les aides, avec un traitement d’équité avec les autres secteurs de ruminants.
On a un prix à la production qui va bien, on est quand même l’agneau le plus cher du monde ; on est à 8,75 €. Alors bien sûr, comme pour tout le monde, les charges ont augmenté, donc heureusement qu’on a ce prix-là. Mais les moutonniers ont l’habitude de faire le dos rond. Ils ont une espèce de résilience naturelle et d’adaptation à la fois au climat, au marché, aux aléas sanitaires…
Où en est le cheptel ovin en France ?
On a été mondialisé dans les années 1990. On était à 10 millions de brebis en France, retombées à 5 millions entre 1990 et 2009. Parce que, au niveau de la compétitivité, les prix se sont effondrés à la production, on ne pouvait pas lutter, même encore aujourd’hui.
À Pâques 2023, un gigot néo-zélandais était à 9,90 € le kilo ; le nôtre, en label rouge Pays d’Oc, à 28 €. À un prix payé au producteur néo-zélandais de 2,80 €, et nous de 8,70 €.
Le consommateur plébiscite l’agneau français. Et ce qu’on avait invoqué, entre autres, c’est d’informer le consommateur européen sur le fait que l’agneau de Nouvelle-Zélande met six semaines pour venir en bateau, dans de l’azote liquide et que ce n’est pas indiqué lors de sa vente.Que pèse la filière ovine dans le Puy-de-Dôme ?
On a une petite filière. On doit être 350 éleveurs et 95.000 brebis, il y a beaucoup de doubles troupeaux. Souvent, la brebis était un peu le parent pauvre, donc on était sur des surfaces sans trop de valeurs nutritives ou agronomiques très fortes.
Ceux qui vivaient avec des surfaces en montagne ne pouvaient pas faire autre chose que du mouton et, pour le garder, les femmes sont parties travailler à l’extérieur, ou alors les éleveurs ont monté un poulailler, se sont lancés dans le tourisme… Mais on a perdu tous les doubles troupeaux, notamment dans les Combrailles.
Après, chez ces 350 éleveurs spécialisés, on a conservé une certaine diversification, avec, pour certains, de la volaille, des chambres d’hôtes, du miel, des gîtes. Et puis il y a quelques élevages laitiers aussi, et ça, c’est une nouveauté.
C’est-à-dire ?
Les brebis laitières sur le Puy-de-Dôme, c’est nouveau, mais c’est un élan national. Il y a 19 % de croissance sur les brebis laitières, en France. Et ces 19 % correspondent à ce qu’on appelle, pour l’instant, “le quatrième bassin”, parce qu’on n’a pas encore trouvé de nom.
Le premier bassin c’est Roquefort ; le deuxième Ossau-Iraty ; le troisième le Brocciu en Corse, et après, il y a “le quatrième bassin”, qui se situe sur tout le territoire, avec des petits producteurs qui font du fermier, produisent des choses locales, qui font du terroir et pour lequel il faut qu’on trouve une idée.
La transhumance a été reconnue par l’Unesco. Qu’est-ce que cela va vous apporter ?
C’est trop bien ! On est reconnu au patrimoine culturel immatériel de l’Humanité par l’Unesco, donc ça nous met d’abord en lisibilité par rapport à nos concitoyens. Après, il y a le fait que les brebis utilisent des surfaces pastorales et que le pastoralisme c’est de la biodiversité, dont fait partie le loup, mais il faut pouvoir le réguler.
Au lieu de communiquer, nous, en tant qu’éleveurs, c’est l’Unesco qui va le faire, c’est une reconnaissance d’avoir un allié et ça va nous apporter de la crédibilité. Parce que nous sommes juge et partie quand on dit qu’on entretient la montagne du Puy-de-Dôme. OK, je le dis comme ça, et puis quoi ?
Donc derrière, il y a toutes les aménités environnementales de service rendu : le pastoralisme par le bilan carbone dans les montagnes, l’entretien des paysages avec toute l’activité touristique derrière, les produits qui sont issus du territoire… Ce sont des projets de territoire en fait car derrière, il y a aussi cette économie culturelle parce que souvent, derrière la transhumance, on a des fêtes festives, etc.
La transmission est un enjeu majeur pour l’agriculture. Qu’en est-il dans ce domaine ?
En ovin, depuis le Covid, on remplace un pour un. Au niveau national, les petits ruminants ovins-caprins sont la seule filière pour qui, à chaque fois qu’un éleveur part en retraite, un autre arrive. Et c’est un hors cadre successoral et souvent des femmes.
Le problème, c’est que ce n’est pas le même modèle d’élevage qu’on a connu, pas le même modèle économique : ce sont des troupeaux plus petits en termes de volume d’agneaux, ce sont des productions laitières et, du coup, même si c’est du un pour un, la question sera de voir si on retrouvera ces mêmes éleveurs dans dix ans.
Je suis responsable du groupe Attractivité du métier à la Confédération nationale de l’élevage. On a fait un livre blanc sur la transmission, et ce qui nous handicape beaucoup, c’est le revenu par rapport au temps de travail. Parce que la rentabilité économique d’un élevage de ruminants 365 jours par an pour gagner la misère, les jeunes n’en veulent pas !
Ce problème de rentabilité économique doit passer par un prix avec de l’Egalim qui fonctionne et des aides PAC renforcées pour le monde de l’élevage ruminant. Il faut donner des capacités de reprises à un jeune avec un outil de production qui fonctionne.
Gaëlle Chazal
gaelle.chazal@centrefrance.com