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Январь
2024

Désert médical : en Creuse, l'Agence régionale de santé n'a « pas de médecin dans la poche »

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Comme une peau de chagrin, la démographie médicale baisse inexorablement en Creuse. Une fatalité ? Nous avons posé la question à Dominique Grand, directrice de la délégation de l’Agence régionale de santé (ARS) en Creuse. 

En décembre dernier, Marion Moreau, chargée de mission à l’ARS Creuse, évoquait “des pistes de potentielles installations qui vont mettre du temps à se concrétiser pour différentes raisons” : êtes-vous en mesure d’apporter une réponse plus concrète aujourd’hui ? 

Pas vraiment. L’ARS n’a pas directement cette information. C’est plutôt le Conseil de l’Ordre des médecins qui est informé des installations, des départs à la retraite... Ainsi que la CPAM auprès de laquelle les médecins doivent faire des démarches. Nous, nous le savons a posteriori lorsque nous rencontrons ces deux organismes. Deux à trois arrivées seraient prévues, mais pas encore ficelées. Le docteur Chata (secrétaire général du Conseil départemental de l’Ordre des médecins) nous a dit qu’il escomptait avoir, d’ici la fin de l’année, 76 médecins généralistes sur la Creuse, soit cinq à six de moins qu’aujourd’hui. En France, la moyenne est de 149 médecins pour 100.000 habitants. En Creuse, nous en avons 64 pour 100.000 habitants. 

MSP et coquilles vides

Avant les installations elles-mêmes, quels sont vos leviers d’action pour attirer des candidats ? 

La difficulté, évidemment, est de trouver des candidats. Nous nous sommes aperçus que beaucoup de professionnels qui sortent de la fac ont envie de travailler en exercice coordonné pour ne pas être isolés dans leur exercice. On favorise ces regroupements de médecins, en Maison de santé pluridisciplinaire (MSP) ou Communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS). En Creuse, nous avons trois CPTS et huit MSP. D’autres sont en cours de constitution. L’idée est de faire travailler ensemble tous les professionnels de santé – généralistes, spécialistes, kinésithérapeute... – pour faciliter le parcours du patient. 

Mais certaines MSP ne risquent-elles pas de rester des coquilles vides ?

Elles ne peuvent pas l’être au début parce que, pour constituer une MSP, il faut l’engagement de professionnels de santé. Mais c’est un risque possible si, à un moment, les médecins qui y sont partent à la retraite ou ailleurs. Récemment, un médecin a quitté la MSP de Bourganeuf et, forcément, cela la fragilise.  De toute façon, pour que l’ARS aide financièrement une MSP, il faut vraiment qu’il y ait un projet médical. L’aide concerne le fonctionnement, l’ingénierie, pas l’investissement. Par exemple, lorsqu’une CPTS se crée, l’ARS finance le temps de coordination. 

Après, des élus peuvent décider d’aménager un bâtiment pour attirer des professionnels. Je les comprends. Mais c’est tellement difficile de trouver des médecins libéraux que cela peut parfois, effectivement, rester des coquilles vides. Mais il y a aussi de bonnes expériences, comme celle de Bellegarde-en-Marche dans laquelle s’est installée Médecins solidaires. 

De quels autres leviers disposez-vous ?

Il faudrait que davantage de médecins creusois soient maîtres de stage, pour travailler avec des étudiants dans l’espoir qu’ils s’installent un jour sur le territoire. Sur la Creuse, environ 25 % des médecins libéraux sont maîtres de stage. Si on veut que quelqu’un prenne le relais, il faut former.  Il y a aussi un travail collectif à mener sur l’attractivité avec la CPAM, le Conseil départemental et pour accueillir les stagiaires le mieux possible... C’est en train de se construire. En Creuse, l’ARS est au cœur d’un comité de pilotage (Copil) de démographie médicale, avec la préfecture, le Conseil départemental, la CPAM, les représentants des maires, les usagers, le Conseil de l’Ordre, pour essayer de trouver des solutions tous ensemble. Des dispositifs peuvent émaner du ministère de la Santé, mais des choses innovantes peuvent aussi être mises en place sur le territoire. Le Copil s’est réuni une première fois avant les fêtes et des groupes de travail vont être créés sur des thématiques précises.  Nous avons également l’espoir, avec Médecins solidaires, que certains parmi ceux qui viennent en Creuse une semaine dans l’année, soient suffisamment intéressés pour y rester. Cela n’a malheureusement pas encore été le cas. 

Un autre levier consiste à libérer du temps aux médecins du territoire grâce aux assistants médicaux qui peuvent les décharger de toute la partie administrative. Ces postes bénéficient d’un financement de la CPAM, mais les médecins n’ont pas encore trop adhéré au système des assistants médicaux. 

La refondation des études médicales prévoit une 4e  année d’internat avec la possibilité pour ces médecins de travailler en cabinet. Cela commencera en 2026.  Chaque année depuis trois ans, il y a aussi le Forum Santé Limousin à la fac de médecine de Limoges au mois de mars. Chaque département y tient un stand. Tous les étudiants y sont conviés.  Y a-t-il eu des recrutements grâce à ce forum ? 

Pour l’instant, non. Par ailleurs, deux dispositifs se mettent en place. Le premier s’appelle Rempart. C’est en construction. Lorsqu’un patient joindra le centre 15, une infirmière se déplacera au chevet du patient avec la possibilité de joindre un médecin par télémédecine pour le diagnostic et les prescriptions. Il pourrait s’agir d’un médecin du département ou de mutualiser avec des départements voisins. Il est question de centres à Aubusson et Guéret, mais nous étudions d’autres lieux pour que ce dispositif soit situé à une demi-heure maximum de chaque patient. On pourra peut-être aussi travailler avec la Haute-Vienne. Nous travaillerons avec les infirmières libérales. Nous avons déjà échangé avec un représentant de l’ordre des infirmiers libéraux. L’objectif est que ce soit déployé cette année.  Il y a aussi le projet Médicobus, avec l’idée “d’aller vers”. Là aussi se pose la question des ressources humaines, bien évidemment. Il faudra être capable de trouver des médecins, peut-être retraités, sur quelques journées ou demi-journées en semaine, pour aller à la rencontre de la population. Nous y travaillons. 

Voici les dispositifs en cours pour répondre au mieux à la situation. Ils ne régleront pas les choses, mais ils vont les améliorer. L’idéal serait bien sûr de trouver des professionnels de santé et des médecins sur notre territoire, on est d’accord.

Quelques places à... Bellegarde-en-Marche

Une dame nous a alertés sur le fait que ses parents âgés de plus de 90 ans, à Bonnat, n’ont plus de médecin traitant. Très concrètement, avez-vous une solution à lui proposer ? 

Aujourd’hui, je suis incapable de lui donner tout de suite une solution. Tous les patients devraient avoir accès à un médecin traitant, c’est clair, mais les médecins généralistes présents sur le territoire sont saturés. Ils n’arrivent plus à absorber de nouveaux patients. Je sais que c’est loin, en fonction d’où on habite en Creuse, mais il reste encore quelques places à Bellegarde-en-Marche. Il faut aussi dissocier médecin traitant et prise en charge. On peut ne pas avoir de médecin traitant mais être pris en charge si on est malade. Ça, c’est capital.

Faute de médecins généralistes, l’idée est d’assurer au moins une prise en charge des urgences ? 

Oui.

Les infirmières en pratiques avancées (IPA) et les pharmaciens peuvent avoir davantage de prérogatives, en lien avec un médecin référent ou un médecin traitant : mais s’il n’y a pas de médecin traitant justement... 

Je suis d’accord. Cela fonctionne à certains endroits, dans les exercices coordonnés, quand une IPA est à proximité d’un médecin. Il n’y a pas qu’une seule solution, il faudra en mettre plusieurs bout à bout. Un acteur ne trouvera pas la réponse tout seul.

« La décision n’est pas locale »

Macron avait promis que chaque patient atteint d’une maladie chronique aurait un médecin traitant fin 2023. L’échéance est passée et la promesse n’a pas été tenue.

Nous œuvrons tous les jours pour la mise en place de dispositifs que j’ai évoqués sur le territoire creusois. J’imagine que le Président avait en tête une partie de ces dispositifs. Ils sont longs à déployer, il faut les organiser, trouver les ressources humaines. L’ARS applique les politiques de santé. 

La situation n’est pas nouvelle. Pourquoi ne pas avoir anticipé davantage ?

Les politiques de santé sont nationales. Je ne me décharge pas, mais la décision n’est pas locale, ni même régionale. Elle est nationale. L’équipe de l’ARS de la Creuse est à disposition pour échanger avec tous les acteurs qui le souhaitent. On ne peut pas échanger individuellement avec chaque personne, mais les élus représentent la population et nous discutons avec eux. Ils sont bien conscients que nous n’avons pas de médecin dans la poche. En expliquant les efforts qui sont faits, chacun comprend la position de l’autre.

Propos recueillis par Nicolas Barraud