La Corse, le Théâtre du Soleil puis Arconsat, le formidable destin d'une directrice de compagnie
Elle est un peu Basque. D’un papa décédé alors qu’elle est toute petite, et d’un arrière-grand-père qui fut maire d’Irun. Elle est beaucoup Corse. De naissance et d’éducation, jusqu’à ses 18 ans. Avant de plonger en métropole, et sa capitale, Paris. Au milieu de ce triangle de vie, il y a l’Auvergne. Et Arconsat. C’est là que Marjolaine Larranaga a trouvé un havre de paix, depuis 2020. Mais puisque la géographie n’est rien sans l’histoire, il convient de retracer la vie de la comédienne de 40 ans, écrite en plusieurs actes.
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Si elle est aujourd’hui directrice d’une compagnie de théâtre "sociale et solidaire", à savoir La barque ailée (*), c’est parce que la scène et l’expression ont d’une part été une révélation, avant d’être une partie d’elle-même. Et on peut dire, que c’est allé plutôt vite…
"J’ai eu 20 ans à Rome lors de ma première tournée"En arrivant à Paris pour ses études supérieures avec l’envie d’obtenir son Deug en arts du spectacle, elle ne se doute pas qu’elle ne le passera finalement pas. Et ce n’est pas la faute à "un choc" grandeur nature auquel elle est confrontée. Seule "exilée" d’une famille restée sur l’île de beauté, elle doit se mesurer à la grisaille parisienne. Si elle ne poursuit pas ses études, c’est parce qu’un an après avoir commencé, elle intègre la prestigieuse compagnie du Théâtre du Soleil.
Je suis allée passer une audition, comme ça. Nous étions mille au départ, venus du monde entier.
Résultat, elle est retenue, à sa grande surprise, à même pas 19 ans. "Un rêve d’adolescente", sourit-elle. Elle y restera 11 ans. Créant, jouant. Et ce, partout dans le monde. "New-York, Merlbourne, l’Afrique… J’ai même eu 20 ans à Rome, lors de ma première tournée. Un beau cadeau." Un cadeau, qu’elle doit certainement à sa maman.
"Depuis toute petite j’ai un peu baigné dans les spectacles, parce que ma mère travaillait dans un centre de vacances, et avec ma sœur, nous allions dans le mini-club avec les enfants des vacanciers. On participait toutes les semaines aux représentations d’un spectacle monté. Mon tout premier rôle, c’était un kangourou (rires). Puis après, alors que j’étais en classe de 4e à Porto-Vecchio, ma mère entend à la radio qu’il y a la troupe amateur locale qui ouvre ses ateliers à tout le monde. Elle m’a proposé d’y aller. Moi à cette époque, je voulais faire de l’équitation…"
Une relation philosophiqueSauf que c’est la révélation. "Ma mère avait senti que ça me plairait, et en effet, très vite, j’ai senti que le théâtre était important." Dans son style caractéristique empreint de douceur et de bienveillance, elle déroule philosophiquement sa relation avec cet art qui la désinhibe : "J’y ai appris à parler haut et fort, et j’ai pris la mesure du pouvoir du théâtre. Pouvoir dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas, apporter des choses… À l’époque, et encore aujourd’hui, on en a besoin quelque part, même si c’est dur à définir. Le théâtre existe depuis la nuit des temps, ça réunit les Hommes, et tout comme la musique est essentielle, le théâtre l’est à un endroit." De ces ateliers à la troupe du Soleil, le théâtre ne la quittera plus, même si elle a dû abandonner son rêve d’adolescente après onze ans de service. "Les circonstances de la vie ont fait que je devais partir, sinon, j’y serais encore…"
Un besoin de scèneCes circonstances, Marjolaine les affronte sans sourciller et les raconte sans fausse pudeur.
Je suis maman d’un enfant lourdement handicapé, atteint par une maladie génétique, ce qui m’a obligée à arrêter brutalement le théâtre.
Et la vie n’est plus la même. Elle perd son statut d’intermittente du spectacle, se retrouve à travailler dans un supermarché "pour payer le loyer", avant de passer le concours d’éducatrice pour jeunes enfants. "Mais ces 38 heures par semaine en CDI" sont loin d’être épanouissantes, pour l’artiste qui ronge son frein.
Alors, elle postule au Samovar, une école de clown en région parisienne, et décroche son diplôme, "qui peut mener à être clown dans les hôpitaux ou à écrire des spectacles". Et à travers sa compagnie La barque ailée, l’Arconsatoise d’aujourd’hui se produit actuellement avec Le don d’Isis, "l’histoire d’une comédienne qui a un enfant handicapé, mais c’est l’histoire de plein de mamans et de papas. On m’a remerciée plusieurs fois, les spectateurs m’ont dit “merci, c’est mon histoire que vous avez racontée”." Avant qu’ici, on ne raconte la sienne.
Alexandre Chazeau
(*) La barque ailée a été créée en 2014 avec des amis de Marjolaine Larranaga restés au Théâtre du Soleil. Une association et un outil de travail, "pour moi et pour d’autres", souligne Marjolaine.