Danemark : Frederik X nouveau roi, l'incarnation d’une monarchie décontractée
C’est l’une des monarchies les plus anciennes du monde. Le Danemark, un royaume depuis l’époque viking et le règne de Gorm le Vieux (mort autour de 958), s’apprête à vivre un événement majeur dans son histoire, ce dimanche 14 janvier à Copenhague. La monarchie danoise va changer de visage après l’abdication de la reine Margrethe II en faveur de son fils, le prince héritier Frederik.
L’annonce par Margrethe II de son retrait, lors de ses vœux télévisés le soir du 31 décembre, avait eu l’effet d’une bombe dans le pays : la reine de 83 ans, seule femme monarque en Europe depuis le décès de la reine Elizabeth II, avait juré rester sur le trône jusqu’à en tomber. Cette nouvelle avait "choqué la nation", écrivait le quotidien danois libéral Jyllands-Posten.
C’est la deuxième fois qu’un souverain danois abdique, la précédente datant d’il y a 900 ans, rappelle auprès de l’AFP la correspondante royale de la télévision publique DR, Cecilie Nielsen. "Les rituels tels que nous les connaissons sont liés au fait que l’ancien monarque meurt", relève-t-elle. Margrethe II, qui gardera son titre de reine, pourra toujours représenter la maison royale lors de cérémonies officielles.
Un roi sans couronnement
La police s’attend à une marée humaine ce dimanche à Copenhague, la capitale du royaume scandinave de 5,9 millions d’habitants. Le protocole de la journée reflète dans les grandes lignes la tradition de succession du Danemark. A 15 heures, la Première ministre Mette Frederiksen proclamera l’avènement de Frederik X au balcon du château de Christianborg, siège du Parlement et de l’exécutif, avant que le nouveau roi et son épouse, la reine Mary, traversent le centre-ville en carrosse. Auparavant, Margrethe II aura officiellement renoncé au trône, 52 ans exactement après y être montée à la mort de son père, Frederik IX, en signant l’acte d’abdication.
Frederik X, 55 ans, ne portera pas la couronne du Danemark, exposée au château de Rosenborg. Le couronnement a en effet été aboli au XVIIe siècle quand la monarchie est devenue héréditaire mais une cérémonie d’onction l’a remplacé jusqu’en 1840. Contrairement à la tradition d’autres monarchies européennes, le souverain danois ne prête pas serment et il n’y a pas de cérémonie rassemblant chefs d’Etat et têtes couronnées étrangères.
La métamorphose d’un roi
Le prince Frederik, passionné par la cause climatique, s’est discrètement imposé dans l’ombre de sa mère, se faisant l’infatigable représentant du Danemark et de ses solutions en matière d’écologie, à l’opposé du jeune homme fuyant qu’il a pu être.
"Il n’était pas à proprement parler rebelle, mais enfant et jeune homme, il était très mal à l’aise avec l’attention des médias et le fait de savoir qu’il allait devenir roi. Il a pris confiance au milieu de la vingtaine", relate à l’AFP Gitte Redder, spécialiste de la famille royale danoise. Adolescent solitaire et tourmenté, qui reprochait à ses parents de l’avoir négligé pour remplir leurs obligations, Frederik, passionné de sport, de belles voitures, de vitesse et de boîtes de nuit, était considéré comme un prince gâté au début des années 1990.
Parfait francophone par son père, le diplomate français Henri de Monpezat devenu le prince consort Henrik, ce diplômé de Sciences politiques de l’université d’Aarhus parle également anglais et allemand. C’est sa formation militaire dans les trois corps d’armes de la défense danoise qui lui a valu l’estime de ses sujets et la maturité qui semblait lui faire défaut.
L’incarnation d’une monarchie décontractée
Le prince a notamment fait partie du corps d’élite des nageurs de combat, sous le nom de "Pingo" (Pingouin), réussissant en 1995 à se classer parmi les quatre candidats ayant passé avec succès toutes les épreuves sur quelque 300 inscrits. Il s’est illustré aussi en participant en 2000 à une expédition à ski de quatre mois et 3 500 km au Groenland. Casse-cou - il a fait de courts séjours à l’hôpital à cause d’accidents de luge et de trottinette -, il a créé en 2018 la Royal Run, une course à pied aux multiples éditions à travers le Danemark, qui a contribué à renforcer sa popularité.
Gitte Redder note que "c’est un sportif. Il assiste à des concerts, des matchs de foot, ce qui le rend encore plus accessible que sa mère". Frederik incarne donc l’idéal d’une monarchie décontractée. "Le moment venu, je mènerai le navire, avait-il assuré lors des célébrations du cinquantenaire sur le trône de sa mère, en 2022. Je te suivrai, comme tu as suivi ton père, et comme Christian me suivra". "Je ne veux pas m’enfermer dans une forteresse, je souhaite être moi-même, un être humain", avait également déclaré le prince héritier, affirmant sa volonté d’être fidèle à ce principe, même sur le trône.
Avec sa femme, une roturière australienne juriste de formation rencontrée dans un bar à Sydney lors des Jeux olympiques de 2000, ils "ont progressivement pris le relais au cours des dernières années, mais très lentement et en fonction de la vitalité déclinante de la reine", constate auprès de l’AFP l’historien Sebastian Olden-Jørgensen. "Moderne, 'woke', amateur de musique pop, d’art moderne et de sports", le couple "ne représente pas pour autant une révolution potentielle par rapport à la reine qui est conservatrice" mais une adaptation prudente aux changements de la société moderne, selon lui.
Avec la princesse Mary, ils ont voulu un parcours scolaire normal pour leurs quatre enfants, actuellement âgés de 11 à 18 ans, principalement scolarisés dans le système public. L’aîné, le prince Christian, 18 ans depuis octobre, est le premier des héritiers de la couronne à être allé à la crèche.
Une adhésion massive à la monarchie
Frederik cultive subtilement l’héritage familial et sa femme porte régulièrement les bijoux de la reine Ingrid, sa grand-mère par alliance. "Comme sa mère, je pense qu’il sera très fédérateur parce qu’il est, ainsi que le reste de la famille royale, au-dessus des dissensions de la société", indique à l’AFP l’historien Bo Lidegaard. "Paradoxalement, ils ne sont pas citoyens, sont en dehors du débat politique, mais sont le miroir du Danemark", ajoute-t-il.
Au Danemark, le rôle du monarque, chef de l’Etat, est principalement représentatif et protocolaire. Il signe cependant les lois et préside formellement à la constitution du gouvernement qu’il rencontre à intervalles réguliers.
Margrethe II et Frederik X font partie de la maison de Glücksburg, une branche de la maison d’Oldenburg, à la tête du Danemark depuis 1448. Margrethe II a su fédérer l’ensemble du Danemark derrière la monarchie. Quand elle monte sur le trône en 1972, seuls 45 % des Danois soutiennent encore la monarchie, les autres estimant que la plus vieille dynastie royale européenne encore en place est inadaptée à une démocratie moderne. Aujourd’hui, la part des défenseurs de la monarchie culmine à plus de 80 % et les Danois sont aussi plus de 80 % à estimer que Margrethe II a pris la bonne décision en abdiquant. Quelque quatre habitants sur cinq considèrent que le nouveau souverain sera un bon roi.