Eric Carreel, fondateur de Withings : "Il y a une explosion des maladies chroniques"
Cette grande faucheuse ne fait pas de bruit mais elle inquiète beaucoup l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les maladies chroniques - diabète, problèmes cardiovasculaires… - sont en plein boom dans le monde. Et elles causent déjà trois quarts des morts chaque année. Pour le vétéran de la santé connectée, Eric Carreel, fondateur et président du français Withings, la technologie est une alliée de taille pour endiguer cette déferlante.
Qu’est-ce que la technologie peut apporter à la santé ?
Il y a une explosion des maladies chroniques dans le monde. Des maladies liées à une mauvaise alimentation, un manque d’activité physique et un sommeil perturbé qui nécessitent d’accompagner les patients toute leur vie. Mais ce n’est pas en disant au patient, lors d’une consultation ponctuelle, de manger moins salé et de moins boire qu’on aura un quelconque impact. Changer une habitude, ça prend trois ans au minimum. Et cela ne se fait pas de manière linéaire. Il y a forcément des rechutes, des moments de découragement, où la personne a d’ailleurs tendance à s’éloigner des soignants.
La force des appareils connectés, c’est que les patients continuent de monter sur leur balance, de mettre leur montre et de dormir dans leur lit dans ces moments-là. Nos capteurs peuvent donc continuer d’analyser ce qu’ils traversent. Globalement, les objets connectés de santé ont deux fonctions : l’une de coach, en transmettant au patient des données qui vont le motiver à changer ses habitudes, et l’autre d’ange gardien, puisqu’au-delà de certains seuils de risque, ils peuvent alerter le patient, voire le mettre en relation avec des professionnels de santé.
Le secteur de la santé semble se transformer bien plus lentement que les autres sur le plan numérique. Pourquoi ?
La difficulté est que les systèmes de santé sont très différents d’un pays à l’autre. En France, le système assure la très grande majorité de la prise en charge. Aux Etats-Unis, il y a beaucoup d’assurances privées et des patients qui passent de l’une à l’autre. Ils ont un système plus concurrentiel et moins efficace. L’explosion des maladies chroniques est forte là-bas, mais ce n’est pas le seul pays touché : on l’observe aussi en Inde, au Brésil, au Moyen-Orient. L’Europe a la chance d’être en retard, mais la courbe est là aussi en forte croissance.
Quel regard les régulateurs portent-ils sur les objets connectés de santé ?
Les produits médicaux sont très réglementés. Le système est organisé pour éviter les erreurs, ce qui rend le secteur plus rétif au changement, mais présente aussi une utilité évidente en termes de sécurité. Depuis quatre ou cinq ans, il y a une vraie prise de conscience de l’utilité de la technologie dans ce secteur. L’an dernier, la pratique de télésurveillance des patients a été validée (NDLR : elle est désormais remboursée par la Sécurité sociale). C’est une très grande avancée. On peut désormais proposer de l’accompagnement en vie réelle au patient. Il faut désormais embarquer tout le monde médical dans cette nouvelle manière de faire, ce sera progressif.
En 2016, vous avez vendu Withings à Nokia. En 2018, vous le lui rachetez. Pourquoi cette volte-face ?
A l’époque de la vente, le monde de la santé en France n’était pas encore prêt pour ces transformations. Les choses étaient difficiles, ce qui a inquiété nos investisseurs. Mais j’étais frustré, car j’avais le sentiment que nous étions au début de quelque chose et que nous n’étions pas allés au bout. Lorsque deux ans plus tard, Nokia a voulu se séparer de Withings, j’ai eu l’opportunité de revenir. Aujourd’hui, nous sommes proches du seuil d’équilibre.
Qu’est-ce que le BeamO, ce thermomètre du futur que vous dévoilez cette année au CES 2024 et dont la certification médicale est en cours ? Et où en est le U-Scan, cet appareil d’analyse d’urine que vous aviez présenté à l’édition de l’année précédente ?
Le U-Scan sera lancé dans le courant de l’année. Le BeamO quant à lui regroupe la prise de quatre mesures différentes dans un seul produit. La température, bien sûr, mais aussi le taux de saturation en oxygène. Une donnée importante, on l’a vu avec le Covid. C’est d’ailleurs l’une des premières choses que regardent les pompiers quand ils prennent en charge une personne tombée à terre : est-elle bien oxygénée ? Le BeamO permet également de réaliser très simplement un électrocardiogramme, analysé par notre algorithme de détection de fibrillation auriculaire. Enfin, il propose un enregistrement de stéthoscope. On peut donc le transmettre à un médecin lors d’une téléconsultation.
A la création de Withings en 2008, il y avait peu d’acteurs de la santé connectée. Aujourd’hui, les Gafam investissent ce secteur, notamment Apple. Cela confirme votre analyse du potentiel du marché, mais cela vous place désormais face à des concurrents autrement puissants.
Apple et Google mènent un travail très important dans la santé et disent, en effet, très explicitement que c’est un enjeu majeur pour eux. Withings a toutefois quelque chose à apporter face à eux. Bien sûr, dans les montres connectées, nous sommes petits par rapport à Apple. Mais nous avons une capacité assez unique de rassembler des mesures précises en quantité, avec notre large gamme d’appareils. Nos pèse-personnes connectés, par exemple, mesurent bien plus que le poids, mais aussi des données qui peuvent suivre certaines complications du diabète ou, d’autres liées à la décompensation cardiaque. Il n’y a pas vraiment d’équivalent à ces produits sur le marché. Idem pour notre Sleep Analyzer, ce capteur de sommeil à placer sous son matelas. Des études ont montré qu’il était meilleur pour détecter l’apnée du sommeil que certains appareils de référence car il analyse vos nuits au quotidien.
Dans la santé connectée, qui est le client que vous visez : le patient ou les administrations publiques ?
Il y a trois niveaux de prévention : la prévention primaire avant d’être malade, la secondaire, lorsqu’il y a des signaux d’alerte, et la prévention tertiaire, l’accompagnement de personnes déjà malades. On a beaucoup travaillé la prévention primaire, en s’adressant à des gens conscients de l’importance de leur santé et soucieux de la préserver. Désormais, on s’attaque également à la prévention tertiaire. Nous nous adressons à des pourvoyeurs de soins pour les aider à accompagner leurs patients, notamment les personnes qui sortent d’une hospitalisation et qu’il faut suivre pour éviter une rechute.