Aides au cinéma : la France est beaucoup moins efficace que ses voisins
Dans un article récent, nous montrions que, de plus en plus subventionnée, l’industrie cinématographique française produit de plus en plus de films qui attirent de moins en moins de spectateurs. Qu’en est-il chez nos voisins ? Dans son rapport, l’IGF fait aussi le point sur la situation du cinéma en Allemagne, en Italie et au Royaume-Uni.
Il n’y a pas que le cinéma français qui est subventionné. Nos voisins aident aussi leur industrie cinématographique comme en rend compte le rapport de l’Inspection générale des finances (IGF). Passons les pays en revue et voyons lequel est le plus efficace.
Allemagne : des aides publiques en hausse depuis 2017
Les soutiens publics au cinéma en Allemagne se sont élevés à 440 millions d’euros (M€) en 2023, contre 305 M€ en 2017. Une hausse de 135 M€ (ou de 44%), principalement due à l’augmentation des aides fédérales, mais qui reste loin des aides françaises qui sont, rappelons-le, de 1,2 milliard d’euros (Md€), soit 172% plus élevées !
Les aides allemandes proviennent de trois sources principales :
- la Filmförderungsanstalt (FFA), une institution fédérale indépendante de soutien au cinéma, organisée selon un modèle similaire à celui du CNC français. La FFA est principalement financée par une taxe – la Filmabgabe – acquittée par tout opérateur exploitant ou distribuant un film (19% des 440 M€);
- les Beauftragte der Bundesregierung für Kultur und Medien (BKM) ou programmes de soutien du ministère de la Culture, administrés par la FFA, dont les ressources proviennent du budget de l’État (42%) ;
- les fonds de soutien financés par les Länder (39%).
Environ 220 films allemands sont produits chaque année pour 594 films sortis en salle. Les films allemands représentent donc 37% des films projetés, mais réalisent moins de 25% des 92,2 millions d’entrées comptabilisées en 2023.
Si le budget consacré au cinéma a fortement augmenté au cours des dernières années, c’est principalement dû au Deutscher Filmförderfonds (DFFFI), mécanisme d’incitation fiscale (cash rebate) à la localisation des tournages en Allemagne qui a été multiplié par 2,5 depuis 2015. Ce dispositif doit être remplacé par des crédits d’impôts.
Italie : l’accent est mis sur les incitations fiscales
Les spectateurs italiens ont été 70,6 millions à fréquenter les salles de cinéma en 2023, un niveau largement inférieur à ce qu’il était avant la pandémie de covid-19 (95,2 millions d’entrées en moyenne annuelle entre 2016 et 2019).
Ils ont vu 736 films en 2023, dont 356 (48,4%) produits en Italie. Ces derniers cependant n’ont réuni qu’un peu moins de 22% des spectateurs. Il faut dire que le marché italien se caractérise par une forte présence des films américains, qui réalisent en moyenne 2,3 fois plus d’entrées que les films italiens, coproductions comprises.
Les soutiens publics italiens sont en augmentation constante depuis 2017, passant de 255 M€ environ en 2017 à 464 M€ en 2023. Ils proviennent essentiellement du Fonds cinéma et audiovisuel, à l’origine de 68% des aides publiques. A cela s’ajoutent des aides régionales et les contributions des opérateurs audiovisuels. L’Italie a également mis en place un système de garantie bancaire qui n’a toutefois pas été inclus par l’IGF dans le calcul des soutiens publics en l’absence de données précises.
A la différence de la plupart des pays européens, les dispositifs italiens d’incitation fiscale ne font pas que soutenir la production. Ils subventionnent aussi largement la distribution, l’exploitation et le développement, ainsi que les industries techniques.
Royaume-Uni : un marché dominé par les productions non indépendantes
La fréquentation des salles de cinéma britanniques a atteint plus de 123 millions d’entrées en 2023, ce qui reste inférieur à la moyenne d’avant pandémie de covid-19 (170 millions). La part de marché des films britanniques a été de 40,8% cette année-là en nombre de spectateurs alors qu’ils ne représentaient que 23% des nouvelles sorties.
Ces bons chiffres du cinéma anglais s’expliquent par le fait que sont considérées comme « indigènes » les productions dites studio-backed, c’est-à-dire « les films produits avec la participation financière et/ou créative des principaux studios américains ». Si les films indépendants représentent environ 85% de la production britannique, ils ne réalisent que 9% des entrées. A l’inverse, les films studio-backed qui ne représentent donc que 15% des nouvelles sorties de films estampillés « britanniques » réalisent près de 36% du total des entrées. En réalité, la part de marché de plus de 40% du cinéma britannique relevée plus haut est essentiellement le fait d’une vingtaine de films réalisés sous l’égide de studios américains.
En 2021 (derniers chiffres consolidés disponibles), les soutiens publics au cinéma ont totalisé 1,068 milliard d’euros (Md€), en forte augmentation depuis 2012 (475 M€). Ce financement est structuré autour de quatre sources principales :
- les dispositifs de crédits d’impôt (Film Tax Relief) mis en place à partir de 2006 ;
- les aides du British Film Institute (BFI), institution publique chargée du soutien au cinéma, financée par des subventions gouvernementales et une partie du produit de la National Lottery ;
- les opérateurs de l’audiovisuel public (BBC et Channel4), les opérateurs privés n’étant pas soumis à des obligations d’investissement dans la production cinématographique ;
- les aides régionales et locales.
Le Film Tax Relief accapare 63% de l’ensemble des moyens publics alloués au financement du cinéma britannique, avec 727 M€ en 2023. En 2024, le système d’incitation fiscale a été profondément remanié : les dispositifs existants ont été remplacés par un dispositif unifié, l’Audio-Visual Expenditure Credit (AVEC) qui renforce notamment le soutien aux productions destinées aux enfants et aux productions britanniques indépendantes.
Les aides françaises sont peu efficaces
Si l’on reprend les données ci-dessus et celles de notre article du 1er novembre dernier, nous nous rendons compte que les aides françaises ne sont pas les plus efficaces :
| France | Allemagne | Italie | Royaume-Uni | |
| Aides publiques (M€) | 1200 | 440 | 464 | 1068 |
| Nombre de films autochtones | 406 | 220 | 356 | 140 |
| Subventions par film autochtone (M€) | 2,96 | 2,00 | 1,30 | 7,63 |
Avec 1,2 Md€, la France produit 406 films tandis que l’Italie fait juste un peu moins bien (356 films) en n’y consacrant que 464 M€. Un film italien coûte 1,3 M€ d’aides publiques alors qu’un film français en demande presque 3 M€. Quant au film allemand, il demande 2 M€ d’aides, soit un tiers de moins qu’un film français.
Certes le Royaume-Uni fait beaucoup moins bien que la France avec un coût de 7,63 M€ par film. Cependant, le système britannique est essentiellement financé par des crédits d’impôts et par la loterie nationale alors que le système français s’appuie sur des taxes et des financements contraints. Le financement britannique est donc moins mauvais que le nôtre.
Par ailleurs, il est permis de s’interroger sur la nécessité de produire en France autant de films (plus de 400) alors que 35% d’entre eux ont eu moins de 20 000 spectateurs et 72% moins de 200 000. Assurément, la manne française sert surtout à subventionner la médiocrité, le repli sur soi et l’aisance financière de la filière, à commencer par celle des acteurs.
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