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Октябрь
2025

Atos : Philippe Salle, le dernier pari pour sauver le fleuron français du numérique

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Aucun sujet ne le décontenance. Philippe Salle, le PDG d'Atos, répond sans détour à toutes les questions. Le ton est calme, les explications précises, le regard direct. Après la série noire du groupe, qui a vu passer six dirigeants en six ans, Philippe Salle n'a d’autre choix que la transparence et la maîtrise des dossiers. A 60 ans, celui qui a redressé Altran et dirigé Elior ou Emeria (Foncia) ne cherche pas à impressionner, mais à remettre d'aplomb un géant cabossé. Et, pourquoi pas, à lui rendre un jour sa place au CAC40. Il a d’ailleurs acheté pour 9 millions d’euros d’actions Atos. Ces bonnes dispositions d’esprit suffiront-elles à sauver le fleuron français ?

Le groupe, on le sait, a beaucoup d'erreurs à effacer. Sa stratégie d’acquisitions entre 2008 et 2016, par exemple. L’idée de faire grossir Atos afin qu'il atteigne une taille critique était judicieuse dans ce secteur. Mais la vingtaine d’entreprises rachetées à l'époque n’ont pas toutes été bien intégrées, loin de là. "En 2015, Atos a avalé la filiale informatique de Xerox pour s’enraciner aux Etats-Unis, cela n’a pas porté ses fruits. Et Syntel, qu’il a acheté en 2018 pour 3,4 milliards de dollars, était au-dessus de ses moyens", pointe Antoine Fraysse-Soulier, analyste de marché pour eToro.

La saga noire d'Atos

Cette boulimie d'acquisitions a contribué à porter la dette à un niveau affolant - 5 milliards d'euros avant qu'elle ne soit restructurée. Et les astuces comptables d’Atos ont trop longtemps masqué le marasme dans lequel groupe se trouvait. "Nous avons mis fin à plusieurs pratiques discutables qui avaient cours par le passé. Par exemple, celle consistant à retarder les paiements aux fournisseurs à partir de septembre, afin de faire grimper la trésorerie", confie Philippe Salle. En prenant les manettes d’Atos en février, il a demandé, en revanche, aux équipes de renégocier avec chaque fournisseur des délais de paiement légèrement plus longs, 50 jours contre 45 actuellement. "Nous avons également interdit de concéder aux clients des rabais en échange de paiements anticipés", précise le PDG. Qui promet que si Atos recoure à nouveau un jour à des méthodes d’optimisation de la trésorerie, le groupe sera très transparent. Sage précaution alors qu’une action collective tente de démontrer que les comptes certifiés par le passé par Deloitte et Grant Thornton étaient insincères.

En attendant, le groupe avale l’amère potion de l'austérité. Le management intermédiaire est passé à la paille de fer. La rentabilité de chaque contrat est scrutée. Et Atos redéploie ses forces en se concentrant sur les régions les plus rentables : l’Europe, les Etats-Unis, le Moyen-Orient et l’Asie. Le groupe qui opérait jusqu’ici dans 80 pays va fermer la moitié de ses bureaux. Une quarantaine de marchés dont il était plus que temps de sortir : ils ne rapportaient à eux tous que 300 millions d’euros de chiffre d’affaires. "Atos aurait sans doute intérêt à en débrancher davantage", pointe un expert du secteur.

L'abandon d'une scission controversée

Présenté en mai dernier par Philippe Salle, "le plan de transformation Genesis va dans le bon sens", observe l’analyste d’Oddo BHF Nicolas David. Ces six derniers mois, le titre a repris 50 %. S’il reste risqué, de nombreux analystes affichent désormais une recommandation "neutre" plutôt que "négative". Les résultats du premier semestre 2025 étaient encourageants. Le chiffre d’affaires recule logiquement dans une période de restructuration (4,02 milliards d’euros, soit -17,4 % par rapport au premier semestre 2024). Mais la marge opérationnelle grimpe à 2,8 % (+ 0,8 point en base comparable). Et si le flux de trésorerie reste négatif, il s’améliore nettement (- 96 millions fin juin contre - 593 millions un an plus tôt).

"Atos a encore un long chemin à parcourir avant d’approcher le cap qu'il s'est fixé pour 2028", observe Antoine Fraysse-Soulier. Atteindre 10 % de marge opérationnelle ne sera pas une mince affaire. Ni retrouver le chemin de la croissance sur ce marché ultra-concurrentiel. "Même des entreprises de grande qualité comme Accenture, Cap Gemini ou Sopra peinent à afficher de la croissance", pointe Nicolas David.

Pour redresser la barre, Atos conserve un atout : sa liste étoffée de clients, notamment en grands comptes. C'est d'ailleurs ce qui justifie pour Philippe Salle l’abandon de la controversée scission d’Atos en deux blocs : d’un côté, les activités historiques (infogérance, environnements de travail, etc. ) de ce qui a un temps été nommé Tech Foundations, de l’autre, celles plus porteuses (cyber, IA, etc.) d’Eviden. "Les contrats longs du premier ouvrent la porte aux contrats plus courts du second. Sans cette complémentarité, Eviden n’aurait pas les mêmes perspectives", fait valoir le PDG.

Le maintien de l'unité a le mérite de ne pas transformer trop brutalement un groupe déjà très éprouvé, fait-on remarquer chez Saxo Banque. "Cela permet à Atos de conserver des bases sur lesquels se reposer. Mais la question de vendre certaines activités se reposera peut-être plus tard", analyse Andréa Tueni, responsable des activités de marché.

"Avec l'Europe qui se réarme, il y aura une belle croissance"

En juin, Atos a trouvé un accord avec l'Etat pour un rachat de son activité Advanced Computing, les supercalculateurs utilisés notamment pour la dissuasion nucléaire de la France. Philippe Salle a, en revanche, ajourné le projet de vendre MCS, la branche en charge des systèmes critiques tels que les réseaux de communication des Rafale. "MCS a été chahuté par les turbulences financières. Mais avec l'Europe qui se réarme, c'est un domaine promis à une belle croissance et des marges à deux chiffres, fait valoir le patron. Nous allons le remettre à niveau et réétudierons la question plus tard."

Le PDG d’Atos espère également jouer sur l’argument de la souveraineté technologique. A l’heure où les Américains prennent leurs distances avec l’Europe, cette idée commence enfin à résonner. Les entreprises des 27 États membres utilisent très majoritairement les clouds américains - 80 % du marché. Mais les Européens commencent à comprendre que leur retard dans le cloud n’est pas uniquement une opportunité économique manquée : c'est un risque politique et sécuritaire. Le PDG de TotalEnergies, Patrick Pouyanné avait alerté avec une louable franchise sur ce danger, révélant lors du salon cyber FIC que son groupe ne pouvait mettre sur des clouds américains certaines données précieuses.

Atos et la pépite française Cosmian

Un contexte favorable au Français Atos ? C'est ce que pense Philippe Salle qui prédit avec beaucoup d’optimisme "un grand retour des clouds privés". Les compétences en cybersécurité de l'entreprise sont également un atout ici. Atos les a démontrées en 2024 en assurant la protection contre les hackers d’un événement de grande envergure : les JO de Paris. Plus récemment, il a remporté un contrat-cadre de 326 millions d’euros sur 4 ans pour fournir des services de cybersécurité à la Commission Européenne.

Les créanciers obligataires et les banques d'Atos sont parvenus dimanche à un accord pour reprendre et sauver eux-mêmes le groupe informatique en difficulté

Le partenariat qu'il a annoncé le 6 octobre avec Cosmian, pépite française du chiffrement, est également adroit. Comme L’Express l’écrivait en mars dernier, cette start-up cofondée par Sandrine Murcia et Bruno Grieder a développé des technologies de protection des données de haut niveau, notamment grâce à son directeur scientifique David Pointcheval, chercheur en cryptographie mondialement reconnu.

Marché en plein boom, la cybersécurité n'en est pas moins un secteur difficile. Certains acteurs, notamment aux Etats-Unis, ont pris une avance considérable dans le domaine. "Ces quatre dernières années, tous ceux qui avaient de sérieuses ambitions ont musclé leur offre avec des acquisitions stratégiques. Il aurait fallu qu’Atos fasse de même mais il était empêtré dans la crise. Les meilleures opportunités sont passées désormais", déplore un bon connaisseur du dossier.

Quant à l’argument de souveraineté, il ne portera que si l’UE change enfin de logiciel et se décide à suivre les orientations du rapport Drahgi. Pour l’heure, seules 11 % des recommandations - et pas les plus décisives - ont été mises en œuvre.

Comme tout le monde, Atos veut également prendre la vague de l'IA. A raison. Les entreprises ont, pour l’heure, un mal fou à tirer parti de ces puissants outils. Elles auront besoin qu'un intermédiaire les prenne par la main et adapte les dernières créations d’OpenAI ou de Mistral à leurs besoins spécifiques. Afin d’embellir sa gamme IA, Atos a choisi de conserver Vision AI, son activité d’analyse vidéo utile à la sécurité - détection de bagage, gestion de foule - ou à l’industrie - contrôle qualité, etc. Et le groupe a confié le poste de directeur technologique à une pointure de la Silicon Valley : le suédois Florin Rotar qui a passé 25 ans dans la coentreprise de Microsoft et Accenture, Avanade.

"L'atout d’Atos dans le marché IA, c’est la capacité reconnue de ses équipes à mener des projets d'intégration de technologies complexes à grande échelle", pointe Andréa Tueni. Faire pivoter une entreprise de la taille d’Atos (70 000 employés) requiert cependant des ressources financières considérables. C'est là où le bât blesse. Pendant que le Français subissait la crise, les Accenture et autres Cap Gemini ont creusé l'écart. Pour Atos, le virage de l’IA devra se prendre à grande vitesse… et sur la réserve.