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Октябрь
2025

Les paradoxes du gouvernement Lecornu II : société civile, débauchages et provocations

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Pour réaliser un nouveau "gouvernement de mission" - ni plus ni moins "en mission" que les précédents - en ces temps de crise politique, réunissez dans une marmite prête à exploser : des hauts fonctionnaires et membres de la société civile dont la connaissance de l’Assemblée nationale est proche du néant ; des prises de guerre… chez vos alliés afin d’ajouter du ressentiment ; quelques rescapés de la précédente équipe, dont les plus irritants pour le Parti socialiste, en n’oubliant pas d’intervertir une poignée de ministres à d’autres postes pour le principe. Prêtez attention à ne pas trop "resserrer" le tout. Le gouvernement Lecornu II est désormais prêt. Bon courage.

Il n’y a pas de bonnes recettes pour composer un gouvernement. Nombre de Premiers ministres ont, par le passé, décrit toutes les injonctions auxquelles ils avaient été soumis, des sacro-saintes exigences du président jusqu’à la moindre représentation du quart sud-ouest du pays, en passant par l’exacte parité ou la pression du courant minoritaire de leur parti. Mais tâchons de prendre Lecornu II pour ce qu’il est et de l’examiner en conséquence : le gouvernement de la dernière chance, l’ultime tentative avant qu’Emmanuel Macron n’appuie sur le bouton "dissolution" que personne, si ce n’est le Rassemblement national, ne souhaite voir pressé. Et, à cet égard, force est de constater que les deux têtes de l’exécutif n’ont pas mis toutes les chances de leur côté.

Comment comprendre, dans "le moment le plus parlementaire de la Ve République", dixit Sébastien Lecornu il y a dix jours, la nomination de plusieurs hauts fonctionnaires et "membres de la société civile" ? Les compétences de Jean-Pierre Farandou (nommé au Travail et aux Solidarités), d’Édouard Geffray (nommé à l’Éducation nationale) ou encore de Serge Papin (chargé des Petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat, du tourisme et du pouvoir d’achat) ne sont aucunement remises en cause ; il serait d’ailleurs injuste de préjuger de leurs futures performances. Mais, comme le notait un ministre à la veille de sa reconduction dans le gouvernement Lecornu II, "il serait cocasse de penser qu’une crise politique puisse être résolue par des gens hors du champ politique, qui n’ont jamais eu de prises de position publiques ou d’engagements syndicaux". Celui-ci se remémore peut-être que le double mandat d’Emmanuel Macron est pavé d’échecs de membres du gouvernement ne venant pas du monde politique, parfois capables de bourdes ou dérapages, parfois incapables de s’adresser avec confiance aux parlementaires ou de tenir leur administration. Quoi de mieux, ces temps-ci, que saper la réputation des professionnels de la politique ?

Des symboles

De fait, pour l’heure, ces nouvelles personnalités, inconnues du grand public, ne sont que des symboles. Des signaux, non pas envoyés aux forces politiques pour échapper à une censure, mais aux Français eux-mêmes. Il n’a pas échappé à Emmanuel Macron et Sébastien Lecornu qu’une partie de plus en plus large de la population, au travers des différents sondages, souhaite davantage d’experts et de personnalités issus de la société civile au gouvernement, et même… à Matignon. Mais faut-il flatter les aspirations populaires aux dépens du contexte, voire de la politique menée depuis des mois ? Sous la présidence de la nouvelle ministre de la Transition écologique Monique Barbut, WWF France s’était notamment déclaré en défaveur de l’intégration de l’énergie nucléaire dans la taxonomie verte européenne. Cherchez la logique.

D’un paradoxe à l’autre, passons aux signaux envoyés aux autres formations politiques. Notamment aux Républicains. Certes, le "socle commun" tel que nous l’avons connu n’existe plus ; il est même "mort" pour le président des LR et ex-ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Sans participer, la formation gaulliste reste tout de même en soutien du gouvernement, pour la simple et bonne raison que sans elle, Lecornu II n’aurait pas plus de légitimité numérique que la coalition de gauche. Mais voilà que le Premier ministre a décidé de nommer six membres de LR, entraînant dans la foulée leur exclusion du parti. Le Premier ministre avait assuré qu’il n’y aurait pas de débauchages au sein de sa nouvelle équipe : il a donc inventé le débauchage chez ses propres alliés, tendant des relations déjà très fraîches avec la droite.

Une part de provocation ?

Pour sa défense, Sébastien Lecornu se trouvait entre le marteau et l’enclume. Qu’aurait-on dit si son gouvernement s’était encore davantage recroquevillé autour des seuls Renaissance et MoDem ? Alors que le "socle commun" est en état de mort cérébrale, qu’Édouard Philippe et Gabriel Attal ont définitivement rompu avec Emmanuel Macron, lui se devait de montrer et de se féliciter d’une pluralité de sensibilités au sein de son équipe gouvernementale, comme il l’a fait ce lundi après-midi 13 octobre lors de sa première réunion. Raison pour laquelle il a également nommé le président du groupe Liot Laurent Panifous au ministère des Relations avec le Parlement, au risque d’horripiler ses collègues dont certains, dit-on, sont "en toupie". Des voix qui pourraient pourtant s’avérer précieuses au moment d’une motion de censure…

Pas à un paradoxe près, le couple exécutif n’a décidément pas l’intention, du moins dans ses nominations, de se rendre la tâche facile avec ce satané Parti socialiste qui joue au faiseur de rois. Même si celui-ci n’attend que les mots "abrogation de la réforme des retraites" pour maintenir le pouce en l’air - et encore… -, était-ce absolument nécessaire de conserver les irritants Gérald Darmanin et Rachida Dati ? "Je me demande même s’il n’y a pas une part de provocation dans l’élaboration du gouvernement. Franchement, maintenir Gérald et Rachida, si ce n’est pas de la provoc'…", souffle un ancien ministre et interlocuteur régulier d’Emmanuel Macron.

Il en va de même pour la nomination au porte-parolat de Maud Bregeon, déjà à ce poste dans le gouvernement censuré de Michel Barnier, qui a déclaré il y a quelques jours, sur X : "En tant que députée Renaissance attachée à la stabilité institutionnelle et économique du pays, je n’accepterai pas un gouvernement mené par Olivier Faure." Fermement opposée à une suspension de la réforme des retraites, l’élue des Hauts-de-Seine devra trouver des trésors d’inventivité (et de souplesse) lorsqu’elle sera interrogée sur le sujet. À vaincre sans péril, on triomphe certes sans gloire. Mais faut-il pour autant se mettre des bâtons dans les roues ?