D. Le Fers : « Il faut que nos offres financières soient davantage associées et intégrées aux offres commerciales des entreprises françaises »
Dans cet entretien exclusif accordé au Moci en marge de la dernière « Rencontre clients assurance export 2025 », le 27 juin à Paris, Denis Le Fers, directeur général de Bpifrance assurance export (BAE) depuis juin 2024, revient en détail sur les annonces de nouveautés produits et la volonté de l’agence de crédit export française de sortir de l’ombre afin d’être mieux connue des acteurs de la Team France Export et des exportateurs français.
Le Moci. L’arrivée de Donald Trump au pouvoir aux États-Unis, avec sa politique protectionniste et ses incertitudes, a-t-elle impacté votre activité ? Les entreprises sont-elles allantes ? Se replient-elles ?
Denis Le Fers. Bpifrance assurance export est peu exposé au risque américain. Sur l’assurance-crédit, nous sommes sur des secteurs qui ne sont pas a priori touchés par les droits de douane. La principale exposition est constituée par les bateaux de croisières, que les Chantiers de l’Atlantique de Saint-Nazaire construisent pour le compte du croisiériste floridien Royal Caribbean Cruise Ltd. Ensuite on a un peu d’aéronautique avec Airbus. De mémoire, une seule entreprise française a bénéficié de l’assurance-crédit aux Etats-Unis. Donc en fait, sauf si des mesures sont introduites par l’Administration américaine pour la construction navale, l’activité de Bpifrance assurance export n’est pas impactée par les droits de douane. Sur l’aéronautique, c’est plus incertain et le risque est réel.
Concernant l’assurance prospection, nous nous sommes légitimement interrogés avec les collègues du réseau de BPI en région, au moment des annonces de hausses drastiques des droits de douane du « Liberation day », le 2 avril. Était-ce raisonnable de continuer à proposer les États-Unis comme débouché commercial ?
Finalement, la réponse qui a émergé était d’attendre l’issue des négociations commerciales entre Washington et Bruxelles. Et en attendant, « business as usual », on continue. Le marché américain est un marché important pour beaucoup d’entreprises françaises, notamment les PME et ETI.
« Sur les grands comptes, nous sommes à +40 % »
Le Moci. Quelles sont les principales tendances de vos activités sur les cinq premiers mois de l’année ? A la hausse ? A la baisse ?
Denis Le Fers. Pour l’assurance-crédit, sur les grands comptes, nous sommes à + 40 % pour le nombre de demandes de garanties acceptées et des montants deux fois plus importants. Ce qui signifie que les grands groupes français connaissent un fort dynamisme commercial malgré une conjoncture incertaine.
En revanche, dans le segment PME et ETI, nous avons constaté une baisse des demandes et des montants. Cependant, grâce à un effort commercial du réseau de Bpifrance dans les territoires, avec plus de « cross-selling », nous enregistrons une augmentation de 70 % des nouveaux clients, ce qui est positif pour notre activité à long terme car cela va permettre d’élargir notre portefeuille.
Le Moci. Et pour l’assurance prospection, qui est un bon indicateur de l’état d’esprit des dirigeants de PME et ETI sur l’export ?
Denis Le Fers. Nous sommes sur une tendance un peu plus lente que l’année dernière, avec une décroissance de – 10 % par rapport à la même période de 2024. Comme ce sont des entreprises de plus petite taille, qui se lancent parfois pour la première fois dans une démarche de prospection commerciale active, nous pouvons considérer que le contexte international est défavorable et a pesé dans cette tendance. Cela dit, nous avons un objectif d’atteindre 60 % du nombre d’AP dirigés vers l’industrie et nous restons tout à fait dans cette épure grâce à la mobilisation de nos équipes et du réseau de Bpifrance.
L’autre grand objectif qui nous est fixé est d’avoir 50 % de toutes les AP dirigées vers des activités « vertes ». Nous déployons nos actions conformément à cet objectif.
Une assurance change pour « sécuriser les prix
sur une chaîne d’approvisionnement »
Le Moci. Avec le regain d’instabilité monétaire enclenchée depuis le retour de Donald Trump, l’assurance change marche également très bien depuis le début de l’année…
Denis Le Fers. Cela s’explique simplement : plus vous avez de volatilité monétaire, en particulier sur euro/dollar, plus ça fonctionne ! Le produit que nous proposons pour l’export est totalement adapté.
Nous travaillons actuellement à un nouveau produit, que nous souhaitons lancer l’année prochaine, et qui permettra de sécuriser, sur l’aspect taux de change, l’importation d’intrants pour la fabrication de produits ayant vocation à être exporté. Cette nouvelle offre, dans la gamme de nos produits d’assurance-change, permettra de stabiliser et sécuriser les prix sur une chaîne d’approvisionnement et nous pensons que ce sera très impactant pour les industries qui ont des fournisseurs à l’étranger.
Le Moci. Les cautions de préfinancement export ont également du succès. Pourquoi selon vous ?
Denis Le Fers. L’an dernier nous avons traité près de 600 dossiers d’assurance caution et assurance de préfinancement export ce qui constitue un résultat considérable. Au début de l’année, nous avons enregistré une petite baisse, de l’ordre de 5 %, sur les trois premiers mois de l’année par rapport à la même période de l’année dernière. Nous attribuons ce ralentissement à une sorte de « tétanie post-Trump » qui a frappé nombre de dirigeants d’entreprises. Elle ne nous inquiète pas, nous sommes en train de rattraper le retard progressivement même si cela reste un défi.
Les garanties de cautions restent un très bon outil pour les PME et ETI exportatrices. Je me suis récemment rendu à Nolay, près de Beaune, chez l’entreprise Cleia, pour participer à une rencontre avec une vingtaine d’entreprises de Bourgogne Franche Comté. Tout le monde a souligné l’utilité de disposer d’un tel outil qui permet d’être commercialement compétitif et de sécuriser les banques. Nous encourageons d’ailleurs les dirigeants d’entreprises à venir nous voir en premier pour obtenir notre accord pour une telle couverture avant d’aller solliciter leur banque pour une caution ou un préfinancement. Le banquier sera plus disposé à octroyer un financement s’il est sûr d’être couvert.
Garantie de projet stratégique (GPS) : « La défense et l’aéronautique entrent pleinement dans les critères d’éligibilité »
Le Moci. Un secteur est en train de connaître un bel essor : les industries de défense. Avez-vous une stratégie spécifique pour soutenir les entreprises de la Base industrielle et technologique de défense (BITD), qui ont souffert ces dernières années d’un manque de soutien des banques, certaines étant devenues frileuses pour des raisons de politique RSE ?
Denis Le Fers. Bpifrance assurance export soutient les industries de défense depuis toujours. C’est quasiment 35 % de notre portefeuille d’encours car nous soutenons les grands contrats sur le risque financier mais aussi sur le risque d’interruption de contrat en cours de fabrication. C’est un segment d’activité traditionnel pour nous.
Le sujet du financement de la BITD n’est pas tant un sujet de financement export qu’un sujet de capex – besoin de financement des investissements- et de besoin en fonds de roulement. Les grands groupes comme Thales ou Dassault n’ont pas besoin d’instruments particuliers en matière de Capex. Le besoin de financement émane en revanche des PME et ETI de la chaîne de sous-traitance.
Cela dit -et je fais le lien avec l’aéronautique et ce que nous venons de faire en soutenant un gros investissement industriel d’Aubert et Duval, fournisseur des constructeurs aéronautiques grâce à cet instrument-, avec notre produit Garantie de projet stratégique (GPS), qui s’applique à des projets internationaux mais aussi domestiques, on peut garantir 80 % d’une partie importante du financement bancaire d’un projet industriel sur le sol français. La défense et l’aéronautique entrent pleinement dans les critères d’éligibilité.
La GPS n’est pas encore assez connue, c’est un produit pour lequel nous devons faire davantage d’effort de communication auprès des entreprise du secteur défense, avec nos collègues de la Délégation générale à l’armement.
La shopping line « offre plus de souplesse »
Le Moci. Vous planchez actuellement sur plusieurs nouveaux produits, notamment une « shopping line », que l’on peut traduire par « carte de fidélité ». Pouvez-vous nous en dire plus sur ces nouveautés ?
Denis Le Fers. La « shopping line », c’est une vision un peu revisitée de ce que l’on appelait les lignes de crédit et sur laquelle nous travaillons avec nos collègues du Trésor. Vous avez un acheteur, avec une assise relativement large et puissante, et qui a un flux de contrats relativement régulier avec des entreprises françaises. Il s’agit de nous engager, à travers la définition d’une enveloppe de financement montée avec un pool bancaire que nous garantissons, à ce que cette ligne soit tirée à chaque transaction sans examen au cas par cas. On définit au départ l’enveloppe, on définit des critères d’éligibilité, l’analyse est faite essentiellement sur l’acheteur. Le critère sur lesquels nous resterons inflexible est celui de la part française. Et ensuite, sur cette ligne sera imputée chaque contrat et Bpifrance assurance export les garantira.
Cela offre de la souplesse car nous ne ferons plus un examen approfondi systématique pour chaque contrat selon la nature du contrat. Nous sommes en train de travailler sur les procédures.
Le Moci. Avez-vous déjà identifié des acheteurs qui pourraient bénéficier d’une telle « shopping line » ?
Denis Le Fers. Nous sommes en discussion avec deux acheteurs saoudiens et nous avons engagé un travail préliminaire avec l’OCP (Office chérifien des phosphates) du Maroc. Mais c’est tout nouveau pour nous : nous travaillons au design du produit avec les banques et un pays partenaire. L’objectif est de faire un « first of kind », c’est à dire mettre en place un premier projet, et ensuite de voir comment le démultiplier.
Il va de soi que nous prendrons en compte le risque acheteur, car nous ne ferons pas de « shopping line » avec des acheteurs de mauvaise qualité. Mais l’objectif est que ce nouveau dispositif soit opérationnel d’ici à Bercy France Export 2026.
« Nous n’interviendrons en ‘ single risk ‘ que pour combler une faille de marché »
Le Moci. Quelles sont les autres nouveautés à venir ?
Denis Le Fers. Nous travaillons sur un produit de court terme (moins de deux ans) « single risk. Le principe est que nous n’interviendrons en « single risk » que pour combler une faille de marché. Autrement dit, si les assureurs-crédit privés du court terme ne veulent pas aller sur un marché, nous nous irons, en subsidiarité. Ce sont des partenaires, nous ne sommes pas là pour leur prendre du business mais pour être complémentaires.
Le Moci. N’est-ce pas déjà plus ou moins assuré par le dispositif Cap Francexport ?
Denis Le Fers. Non. Cap Francexport est un mécanisme différent et devenu très ciblé sur certains secteurs, agricoles notamment, avec les céréales et les vins et spiritueux. C’est de la réassurance d’assureurs-crédits privés. Avec le « single risk », nous prenons directement du risque sur du financement bancaire.
Le Moci. Ce produit « single risk » court terme vise à répondre à la demande de quels secteurs en particulier ?
Denis Le Fers. Il n’y a pas vraiment de secteurs précis. Il répond à des besoins de PME et ETI industrielles dans divers secteurs des biens industriels. Ce qu’il faut retenir, c’est que nous irons là où les assureurs-crédits privés ne veulent pas aller.
Avec la Team France Export, « il faut que nous fassions beaucoup plus »
Le Moci. Bpifrance assurance export est-elle concernée par les travaux du Conseil présidentiel pour le commerce extérieur (CPCE) ?
Denis Le Fers. Oui. Avec notamment les futurs potentiels nouveaux outils que je vous ai cités : la « shopping line » et le « single risk » court terme. Ce sont les deux principaux points sur lesquels nous travaillons qui, nous l’espérons, seront consacrés lors du CPCE.
Un autre point sera rappelé probablement : le fait que Bpifrance assurance export travaille avec l’ensemble des acteurs de la Team France Export, en premier lieu les collègues du développement export de Bpifrance, et c’est on ne peut plus naturel, Business France, les CCEF, les membres de CCI FI, les OSCI, au service des exportateurs français.
Nous le faisons déjà mais il faut que nous fassions vraiment beaucoup plus : il faut que nos offres financières soient mieux connues de ces acteurs et davantage associées et intégrées aux offres commerciales des entreprises françaises. On a beaucoup de retard dans ce domaine.
Propos recueillis
par Christine Gilguy
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