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Délit de sale gosse

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L’éditorial de juin d’Elisabeth Lévy


J’avoue. Je suis coupable de recel et de diffusion de littérature à caractère pédopornographique. Et pas qu’un peu. Il y en a plein ma bibliothèque. Passons sur la Bible et les deux filles de Loth, ces salopes qui enivrent leur père pour le violer. Mais prenez la petite Volanges dans Les Liaisons dangereuses : d’accord, elle est bien contente de voir le loup – qui n’est pas celui de son fiancé attitré, trop niais pour la déniaiser. Pire, la friponne en redemande. Le problème, c’est qu’à 13 ans, elle n’a pas pu consentir. Valmont est donc coupable de viol, Laclos d’apologie du viol et ma pomme, de recel des mêmes crimes. Et puis, il n’y a pas que les mots, il y a aussi les images. Heureusement, les mangas avec Japonaises en socquettes, c’est pas mon truc. Mais j’aimerais savoir où est passé l’album de Gotlib où cette coquine de Cosette taille une pipe à ce vieux pervers de Jean Valjean, je crois que je l’ai passé à ma nièce de 9 ans. Mon compte est bon. Et à moins que vous ayez arrêté la BD à Tintin et la littérature au Petit Prince (deux héros parfaitement asexués), le vôtre aussi.

J’ai l’air de blaguer mais pas du tout. Le 27 mai, Bastien Vivès, ex-enfant chéri de la BD française a comparu devant le tribunal de Nanterre pour « diffusion d’images à caractère pornographique de mineurs ». On se dit que le gars estl’un de ces gros dégoûtants qui se masturbent devant des photos de gamine et que c’est bien fait pour lui. Sauf qu’on n’a aucun acte ni propos délictueux à lui reprocher. Son seul crime, c’est de dessiner. En particulier trois ouvrages pornos-rigolos (vendus sous plastique): La Décharge mentale, Les Melons de la colère et Petit Paul, récit des aventures érotiques d’un garçon à gros pénis qui lutine des femmes à gros seins – dont sa mère me semble-t-il. Si ça se trouve, ça a donné des idées tordues à certains lecteurs. Fin 2022, ces joyeuses obscénités choquent des étudiants des écoles d’art d’Angoulême qui dénoncent « la banalisation et l’apologie de l’inceste et de la pédocriminalité » et obtiennent par voie de pétition l’annulation d’une exposition consacrée au dessinateur. Ils font froid dans le dos, les artistes de demain. Dans la foulée, trois associations de protection de l’enfance qui doivent manquer de vrais enfants à protéger saisissent la justice. Les réseaux sociaux font le reste : Vivès est un pédo-pornographe et, pourquoi s’arrêter là, un pédophile. Il reçoit des tombereaux d’insultes, des menaces de mort, ses livres sont retirés de la vente. Le cauchemar ordinaire des victimes de chasses aux sorcières.

À lire aussi, Annabelle Piquet : Procès Bastien Vivès: de mauvais desseins?

Le plus inquiétant, c’est que la Justice se soumet à l’air du temps. En 2019, la section « mineurs » du parquet de Nanterre, saisie de plaintes similaires contre les mêmes ouvrages, avait eu la seule réaction raisonnable : les jeter au panier. Trois ans plus tard, la même section du même parquet estime au contraire indispensable d’engager des poursuites. Pendant deux ans et demi, des policiers et des magistrats travaillent pour protéger Petit Paul et sa sœur Magalie des agissements criminels de leur créateur. Celui-ci est soumis à un test ADN, comme s’il y avait de vraies victimes, interrogé sur ses pratiques masturbatoires et inscrit au fichier des délinquants sexuels. Pour des dessins. Les enquêteurs estimant que l’absence de dents de sagesse prouve que Petit Paul est mineur, Malka produit une étude affirmant que de très nombreux adultes en sont dépourvus. Ils veulent aussi savoir si Petit Paul était consentant (sic). « Et les Romains, dans Astérix, ils sont consentants pour prendre des tartes ? » s’amuse Richard Malka, l’avocat du dessinateur. Il croit cependant nécessaire de préciser dans ses conclusions adressées à la cour que Petit Paul et Magalie ne sont pas des êtres humains, mais des « créatures oniriques aux caractéristiques physiques n’existant pas, puisque Petit Paul est doté d’un sexe de 80 centimètres et que toutes les femmes apparaissant dans cette BD ont des poitrines singulièrement disproportionnées ». On en est là : un avocat doit expliquer à des juges qu’il y a une différence entre la réalité et la fiction. Malka ayant soulevé un problème de compétence territoriale, le procès a été renvoyé et peut-être n’aura-t-il jamais lieu. Il est possible que quelqu’un au parquet de Nanterre finisse par comprendre que la Justice se ridiculise quand elle prétend combattre le mal en interdisant sa représentation. Mais ce précédent risque de donner des ailes aux ligues de vertu et autres lobbys hargneux qui n’existent que par leurs criailleries numériques et leurs manigances judiciaires et trouveront dans la fiction des perspectives infinies de plaintes et de proscriptions. Remarquez, quand on sera tous en taule, on pourra au moins se raconter des blagues cochonnes.

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