Trouver la bague: le jeu qui enflamme les soirées du ramadan à Bagdad
Loisir extrêmement populaire, le Mheibes, dérivé du mot Mahbas, chevalière sertie d'une pierre portée par une large partie de la population masculine irakienne, se pratique traditionnellement pendant le mois de jeûne pour les musulmans.
D'après la légende, ce jeu d'équipe fait son apparition dans le Bagdad des Ottomans, dès le XVIe siècle, confirme à l'AFP l'expert du folklore irakien, Adel al-Ardawi. Les joueurs s'affrontent pour découvrir qui dans l'équipe adverse dissimule la bague au creux de la main.
"C'est un jeu du patrimoine, le jeu de nos ancêtres, qui unit tous les Irakiens", s'enthousiasme Jassem al-Aswad, véritable étoile du Mheibes depuis des décennies, devenu président de la Fédération nationale.
Dans un pays déchiré par des décennies de conflit, ayant vécu de 2006 à 2008 le paroxysme d'une guerre confessionnelle émaillée d'attentats kamikazes et d'enlèvements, la pratique du jeu en avait pris un coup.
Jouer sur un pont
Mais pour Baqr al-Kazimi, c'est la pandémie du coronavirus qui a contraint les joueurs à suspendre leur hobby. "Malgré les violences confessionnelles, on jouait dans les cafés", assure le joueur quinquagénaire.
Il se souvient d'une partie entre les joueurs du quartier sunnite d'Al-Adhamiya, et ceux de Kadhimiya, quartier majoritairement chiite, deux districts reliés par un pont fermé pendant des années en raison des violences.
"On a joué sur le pont, On s'est réunit entre sunnites et chiites", raconte-t-il.
En cette soirée de mars, plus de 500 amateurs sont rassemblés, dans les gradins ou sur le terrain, pour deux rencontres. Le quartier bagdadi de Kadhimiya affronte Nassiriya (sud), tandis que al-Machtal, autre quartier de la capitale, s'oppose à Bassora, port du sud.
Avant chaque tour, l'équipe chargée de cacher l'anneau s'agglutine et s'entoure d'un tissu, protégeant les joueurs, qui sont une quarantaine, des regards indiscrets.
Assis au sol ou sur des chaises, ils adoptent ensuite un air grave, impassible, fermant les yeux, les bras croisés ou les poings serrés: ils vont subir les regards scrutateurs du capitaine du camp adverse, qui doit déchiffrer expressions et langage corporel pour trouver le joueur détenant la chevalière, en maximum dix minutes.
Il n'a pas droit à l'erreur. S'il échoue, l'autre équipe marque un point.
"Voilà, voilà Nassiriya", s'enthousiasme le public qui applaudit à tout rompre, chauffé par les trompettes et les tambours.
"Dans le sang"
Capitaine de l'équipe de Kadhimiya, M. al-Kazimi a découvert le jeu dès 11 ans: son père était un mordu de Mheibes.
"Les Irakiens aiment surtout le football, mais le Mheibes vient juste après. On l'a dans le sang", confie-t-il à l'AFP, rasé de près et vêtu d'une jellabah noir.
Originaire de Bassora, Ahmed Maala se souvient d'une partie avec une équipe de Bagdad ayant duré toute la nuit.
"J'ai appris le jeu en le pratiquant avec des amis et la famille", ajoute-t-il. "Le Mheibes restera dans l'histoire pour son très large public de fans dans tout l'Irak".
La passion est telle que parfois des disputes éclatent parmi les participants qui en viennent aux mains.
Dans un pays qui compte près de 400 équipes, des compétitions annuelles opposent une quarantaine de formations venues des quatre coins du pays, dont dix représentent des quartiers de Bagdad.
Le jeu se pratique depuis "300 ou 400 ans", assure Jassem al-Aswad, confirmant les origines ottomanes du Mheibes, d'où peut-être le vocabulaire turc émaillant sa pratique.
Son ambition: "transmettre ce jeu au monde entier comme le Brésil a popularisé le football".