Entre Pékin et Washington : une guerre des puces ?
Clés de notre époque, les semi-conducteurs sont partout : portables, avions, armes, voitures, machines-outils etc. La « loi de Moore » impose de renouveler régulièrement ces produits ; très rapide, le progrès technique périme les usines en deux ans, ce qui impose d’investir près de dix milliards d’euros pour les remplacer ! Régulièrement relevé par l’industrie occidentale privée qui s’appuie sur les Etats-Unis, ce défi industriel et financier est convoité par la Chine de XI qui tente de contrer des sanctions occidentales qui se multiplient depuis 2022.
D’après McKinsey, le marché mondial des puces électroniques était de 600 milliards de dollars environ en 2021. Les puces permettent l’intelligence artificielle, la biotechnologie, la radiographie médicale et la pléiade des véhicules, des machines et les automatismes qui sont indispensables à la vie moderne. Produites à Taïwan et en Corée du sud en très grande nombre, les puces électroniques les plus modernes concernent toute la planète et toute l’activité contemporaine.
Au sortir de la crise pandémique, d’importantes ruptures d’approvisionnement et de production ont gêné de nombreuses activités -parfois même des équipements militaires. Les livraisons [1] de puces pour l’automobile et pour d’autres équipements courants (téléphones et portables) ont été interrompues, perturbant la production en Europe et aux Etats-unis.
Retour des subventions ?
En 2015, la Chine annonça son ambition de produire 70% des puces dont son industrie a besoin. En septembre 2022, dans son rapport au XX° congrès du PC chinois, XI Jin Ping confirma cette volonté, faisant de l’industrie des circuits intégrés une priorité du quatorzième « Plan quinquennal » chinois. La région de Shanghai annonça en 2023 l’attribution de très importants prêts industriels pour financer 17 projets de la firme publique chinoise SMIC -concurrent direct du taïwanais TSMC’- à hauteur de 31 mds. de dollars, montant équivalent de celui que promet le Chip Act 2022 américain…
En août 2022, une visite-éclair de Nancy Pelosi à Taïwan aviva les tensions entre les USA & et la Chine populaire : Pelosi rencontra Mark Liu, président de Taïwan semiconductor manufacturing (TSMC), qui fournit environ 53% (en valeur) du marché mondial et une grande partie des puces les plus puissantes, destinées aux gros calculateurs électroniques et à l’intelligence artificielle, notamment.
En Corée, Joe Biden rencontra, fin mai 2022, son homologue coréen Yoon Suk-yeol et le vice-président de Samsung electronics Lee Jae-yong, ; il avait auparavant, en mars 2022, proposé à Taïwan et à la Corée du Sud de sceller avec les Etats-unis une alliance afin d’éviter que la Chine ne domine le secteur des puces électroniques.
Adoptée par le Congrès le 29 juillet 2022 et ratifiée en août 2022 par Biden, une loi américaine promet 52 milliards de dollars de subventions pour soutenir cette industrie, dont 39 milliards pour implanter des usines ultra-modernes sur le sol américain, en partie grâce à des entreprises comme TSMC ou Samsung qui ont prévu 60 milliards d’investissements en Arizona et au Texas.
Une industrie concentrée, d’inspiration américaine
Depuis que ces semi-conducteurs ont été mis au point, les États-Unis dominent la conception des puces électronique. Mais les géants américains comme Intel ou Texas Instruments ont progressivement confié la production des puces à des usines asiatiques situées notamment à Taïwan (TSMC), en Corée (Samsung electronic) ou au Japon (Toshiba).
La conception des puces, les équipements nécessaires à cette production et l’ingénierie de cette production sont restés, en revanche, une vraie spécialité américaine [2]; l’un des équipements essentiels, celui des appareils de lithographie qui dessinent, au micron près, les circuits électroniques sur de mono-cristaux de silicium, est fourni par le consortium néerlandais ASML, équipementier quasi-exclusif [3]. Les restrictions posées par la première administration Trump ont réduit ces exportations : les ventes à la Chine ont chuté. ASML exporte beaucoup à Taïwan et en Corée du Sud [4].
Après le passage de Nancy Pelosi, Pékin a organisé des manoeuvres aéronavales considérables, les plus impressionnantes, dit-on, depuis la dernière guerre mondiale ! La Chine communiste peut-elle envahir l’île par la voie militaire (wutong) ? Les occupants de l’île ont-ils la détermination suffisante pour repousser des agresseurs ? Questions sans réponse immédiate.
L’Amérique prend donc ses précautions ; elle contrôle de plus en plus les exportations vers la Chine, suscite le repli des plus récentes productions de puces vers l’Amérique et d’autres territoires éloignés de la Chine communiste ; elle exclut les opérateurs chinois du cartel électronique qui continue de mettre en œuvre la loi de Moore etc.
L’enjeu géopolitique de Taïwan !
Ce conflit latent sur les puces se greffe sur les revendications territoriales qu’affiche depuis 1949 la Chine communiste sur Taïwan, cette île qui fit sécession lorsque les nationalistes du Kuo Ming Tang (KMT) de Tchang Kaï Tchek, repoussés à la mer par Mao en 1949, se sont repliés à Taipei. !
Après de longues années d’autocratie (1949 à 1985) la République démocratique de Chine (nom officiel de Taïwan) est devenue une sorte de démocratie à l’occidentale, indépendante de la grande Chine. Le succès du parti indépendantiste de Mme Tsai Ing Wen (deux mandats présidentiels de 2016 à 2024) puis celui de son successeur Lai Ching Té, élu en janvier 2024 pour quatre ans, confirment cette évolution.
La situation de Taïwan n’est cependant pas simple car les descendants de Tchang Kaï Tchek et de son KMT ont récemment soutenu les revendication territoriale de Pékin. Leur influence, certes minoritaire à ce jour, est d’autant plus perturbatrice que la duplicité des communistes chinois est patente : leur promesse, « un pays, deux systèmes », n’a pas été tenue à Hong Kong, l’effondrement des libertés l’a prouvé. Pourquoi les communistes la tiendrait-elle à Taïwan, s’ils pouvaient en prendre possession ?
Formose (la belle île des portugais) serait-telle protégée par un « bouclier de silicium » ? Très improbable ! Que deviendrait alors l’industrie des puces que symbolise TSMC, si les communistes s’installaient à Taipei ?
Une seule chose est sûre : si les communistes chinois envahissaient Taïwan, Pékin serait définitivement exclu de l’électronique mondiale ! En attendant, l’administration Trump 2 fourbit ses armes, mobilise ses troupes industrielles et ses moyens financiers afin de stopper approvisionnement des chinois en machines et en savoir-faire américains. Les instructions données aux apparatchik chinois par leur chef XI ont assez peu de chance de produire des puces électroniques de très haute qualité par des moyens purement autochtones ; les importations pirates, en provenance de Taïwan ou d’ailleurs, risquent, par contre, de se poursuivre quelque temps. Cela serait-il suffisant pour tenir la dragée haute aux puces américaines de Nvidia ? Honnêtement, j’en doute !
Quelques sources :
Claude Leblanc: L’opinion, 10 août 2022
Jordan Schneider & Lily Ottinger : Chips Act & National Security, chinatalk@substack.com (consulté 7-08-24)
Arrian Ebrahimi : Groundbreaking Chip Sovereignty, Ifri Memo, 31 mai 2024, Paris.
Nicholas Welch : Best of Q2 2024 : WSJ Investigation , how easy it is to buy advanced chips on Xiao Hong Shu ! chinatalk@substack.com (consulté 7-08-24)
Nicholas Welch & Jordan Schneider, Biden’s Final Export Control Salvo Misfires 3 dec 2024, chinatalk@substack.com
Gérard Dréan : « L’industrie des composants » in : L’ére du numérique 2, ISTE-Wiley, Londres 2018 (pp. 169-180)
[1]La Chine produisait déjà 15% (en valeur) des puces électroniques en 2020 ; Taïwan et la Corée du sud produisent plus de 90% des puces de haute technologie (les plus puissantes et les plus rapides).
[2]Il en est de même, depuis le début du XX° siècle, en matière d’exploration, d’installation et d’exploitation pétrolière !
[3]Lithographies en ultraviolet profond (DUV) et en extrême ultraviolet (EUV) . Les contrats d’entretien d’ASML en Chine se poursuivent normalement, ; cela permet d’entretenir la production chinoise et parfois de l’améliorer sensiblement !
[4]Une partie des matériels expédiés à Taïwan serait toutefois ré-exportée vers la Chine populaire ! (Welch, 2024)