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Январь
2025

Aux portes de New York, le déclin inexorable des journaux locaux

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"J'ai le coeur brisé", témoigne Margaret Doman, au pied des immeubles qui poussent comme des champignons à Jersey City, seulement séparée de New York par l'Hudson River.

"Ce journal m'est utile pour plein de choses, pas seulement pour lire les infos mais aussi pour publier des informations, et pour savoir ce qu'il se passe en ville", se désole cette habitante de longue date, membre d'une association de quartier.

"C'est comme si l'on perdait un vieil ami", peut-on lire dans le courrier des lecteurs.

Au milieu des chantiers de Journal Square, quartier qui doit son nom au quotidien fondé en 1867, les grandes lettres rouges du Jersey Journal ornent toujours l'ancien immeuble de la rédaction.

Mais avec 17 employés et moins de 15.000 exemplaires vendus, le "Jersey", ne survivra pas à la fermeture de l'imprimerie qu'il partageait avec le Star Ledger, le plus grand quotidien du New Jersey qui passe au tout numérique ce week-end.
Phénomène ancien
Contacté par l'AFP, le président du Star Ledger, Wes Turner, a seulement renvoyé à un article sur le site NJ.com, auquel est affilié le journal. La fermeture de l'imprimerie y est justifiée par "la hausse des coûts, la baisse de la diffusion et la diminution de la demande".

Le groupe NJ Advance Media, qui possède NJ.com, et dont la maison mère contrôle aussi Condé Nast (Vogue, Vanity Fair), a également décidé de cesser l'impression du Times of Trenton et du South Jersey Times.

Le déclin de la presse locale est ancien aux Etats-Unis. Selon le dernier rapport de l'école Medill à l'université Northwestern, plus d'un tiers des journaux du pays, soit 3.300, ont cessé d'imprimer depuis 2005, victimes de la diminution des lecteurs et des fusions de titres aux mains de grands groupes.

"Quand un journal disparaît, cela a des conséquences concrètes: la participation aux élections diminue, le vote est moins diversifié et les sortants sont plus souvent réélus. La corruption, les mauvaises conduites policières peuvent aussi augmenter", énumère le directeur du rapport Zach Metzger.

Le déclin de la presse locale, et une information de plus en plus dominée par les grands sujets nationaux, sont aussi pointés comme l'un des facteurs de la polarisation de la société américaine entre progressistes et conservateurs.
"Institution"
NJ Advance Media n'a pu être joint par l'AFP. Son président Steve Alessi a affirmé sur NJ.com qu'"un nouveau chapitre du journalisme numérique dans le New Jersey" s'ouvrait et promis de nouveaux investissements pour le site internet, qui revendique plus de 15 millions de visiteurs uniques mensuels.

Il a mis en avant plusieurs projets phares d'investigation, sur l'extrémisme politique ou des scandales de gestion dans les écoles privées de la région, la production de podcasts et des newsletters pour attirer de nouveaux lecteurs.

"Mais il existe toujours une fracture numérique dans le pays", avec "des gens qui vont encore à la bibliothèque ou achètent un exemplaire imprimé de leur journal", s'inquiète le président de l'Association professionnelle des journalistes du New Jersey, Kenneth Burns.

"The Star Ledger est une institution", ajoute-t-il. "Et il n'y a déjà plus beaucoup de journaux qui suivent les affaires locales".

Le journal que déplie Tony Soprano dans la série sur la mafia dans le New Jersey avait été récompensé en 2005 du prestigieux prix Pulitzer, pour une série d'articles sur les ennuis politiques du gouverneur de l'Etat Jim McGreevey, contraint à la démission après avoir révélé son homosexualité et une relation adultérine.

Mais ses ventes ont chuté et plusieurs plans de licenciements l'ont affecté.

Avec le passage au tout numérique, son comité chargé des éditoriaux va être supprimé, a annoncé l'un de ses membres, Tom Moran.

Phil Murphy, l'actuel gouverneur de l'Etat, "peut dormir sur ses deux oreilles", a-t-il ironisé dans l'une de ses dernières chroniques.