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Macha Makeïeff au Mucem : "Je crois beaucoup à la puissance de la fantaisie"

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Si l’on excepte le vestibule, qui fait office de préambule dans le vaste espace d’exposition temporaire du Mucem, En piste ! se déploie d’un seul tenant, riche en propositions et surimpressions, mises en regard d’objets, animaux empaillés grandeur nature, œuvres d’art d’hier et d’aujourd’hui, accessoires forains en tous genres. Beaucoup de choses, donc, mais que le regard peut embrasser dans leur ensemble. Hommage aux clowns, pitres et saltimbanques, c’est un parcours tissé de nostalgie et de lumière. Pour L’Express, la metteure en scène et scénographe Macha Makeïeff, inoubliable créatrice des Deschiens avec Jérôme Deschamps, revient sur la genèse de cette "exposition-spectacle" dont elle est la femme-orchestre. Entretien.

L’Express : En piste ! se présente comme une "exposition-spectacle". Comment l’avez-vous abordée ?

Macha Makeïeff : C’est un spectacle immobile. J’ai trouvé intéressant d’investir ce grand parallélépipède, comme une nouvelle scène. Ce qui m’importait, c’est ce qui allait se passer avec le public. On a inventé une mécanique, une géométrie, où on peut déambuler, regarder. Dans un spectacle, on est très attentif à la musicalité, à la rythmique, et ici cette rythmique est faite de séquences, de couleurs, de mouvements. Il se passe quelque chose de cinétique pour les visiteurs. Il fallait que ce soit une machine qui se mette à bouger avec eux. Avec leur imaginaire, surtout, car tout n’est pas dit, on n’accumule pas les informations sur les objets, c’est l’imaginaire de chacun qui leur donne vie. Il s’agit, comme au théâtre, de rester dans le questionnement, dans la proposition. Qu’est-ce que tu fais de ça ? De ce dialogue entre Niki de Saint Phalle, ces trapèzes rapiécés, ce chien qui a l’air d’attendre la parade des clowns ? Ce qui se dit ici, c’est que le spectacle n’en finit jamais.

D’où vient ce besoin intense d’exhumer des objets mis au rebut, de garder vivantes des choses qui n’existent plus ?

Il y a l’obsession de mettre ces pauvres choses, ces attirails, ces bazars, ces bêtes à l’intérieur d’un récit qui raconte l’humanité. Là réside d’ailleurs la force du lien que j’ai avec le Mucem, qui conserve des objets déclassés. Les choses, celles du spectacle en particulier, constituent un conservatoire très humain. Et je voudrais qu’on sorte un point de vue là-dessus, sur le destin des choses et des êtres. Cela vient aussi de mon histoire personnelle : quand je termine un spectacle, je me retrouve avec ces costumes, ces accessoires, ces bouts de décor voués à disparaître, qui racontent le déclassement, le destin de l’artiste une fois la scène, la piste et les loges désertées. J’ai pensé l’exposition comme le prolongement du spectacle, une autre célébration de ceux qui sont laissés-pour-compte.

N’y a-t-il pas quelque chose de l’ordre de la tristesse dans l’exhumation de ces vestiges d’un monde disparu ?

Dans l’exposition, comme au théâtre, je crois beaucoup à la puissance de la fantaisie. Les figures convoquées ici sont souvent des artistes qui ont fait rire, qui ont fait sourire, qui disparaissent une fois le plateau démonté, le music-hall fermé ou le maquillage enlevé. Ils ont la conscience de ce décalage et de la fragilité de leur condition. Agnès Varda, qui a photographié partout des gens du cirque, du théâtre, a attrapé ça d’une façon admirable, ce quelque chose de joyeux et d’en même temps profondément mélancolique. J’ai eu la chance de bien la connaître et on parlait souvent de ces choses immobiles qui se mettent à bouger parce que notre regard sur elles bouge.

"Hommage à Tati" (théâtre optique), 2010, par Pierrick Sorin.

Vous avez créé des spectacles vivants, mais aussi des scénographies d’exposition. Aujourd’hui les deux se fondent finalement…

La part plastique du spectacle vivant m’a toujours importée. Pour moi, relier les deux est juste. Dans cette déambulation au Mucem, il y a très peu de mots, hormis quelques textes d’introduction, des pancartes ici ou là où les poètes prennent la parole, mais il n’y a pas de commentaires écrasants parce que les objets, les bêtes et les œuvres sont suffisamment éloquents. On les a mis en perspective de manière qu’ils dialoguent, qu’ils racontent énormément à l’image des théâtres sans texte, comme le théâtre italien, par exemple, dont Molière s’est inspiré. Sur scène, on peut dire beaucoup de choses sans les mots.

Vous convoquez notamment Jacques Tati…

Il était venu voir les premiers spectacles qu’on a montés avec Jérôme Deschamps, il nous faisait venir dans son bureau et on passait des heures à l’écouter. C’était un grand monsieur qui a déposé en nous une exigence incroyable. Il figure dans l’exposition, notamment à travers l’œuvre de Pierrick Sorin, parce qu’il fait partie de ces saltimbanques. Avant même d’être un cinéaste, il partait en tournée dans des spectacles de music-hall. Colette disait de lui que c’était un centaure magnifique.

Colette, justement, est l’une des figures tutélaires d’En piste !

Elle est là à chaque instant, elle nous a couvés de sa pensée et de son regard tout au long de cette aventure. Colette, l’immense Colette, nous accompagne avec La Vagabonde et L’Envers du music-hall qui sont des livres fondateurs, tout aussi fondateurs que Stravinsky et Balanchine.