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Du 7 octobre à aujourd'hui : comment Israël est devenu plus puissant que jamais

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Ce 8 décembre, Benyamin Netanyahou atterrit à bord d’un hélicoptère militaire sur le plateau du Golan. Rayonnant, le Premier ministre israélien s’empare d’une paire de jumelles et observe la Syrie. Les faubourgs de Damas se situent à seulement une quarantaine de kilomètres. Au même moment, de l’autre côté de la frontière, dans la zone tampon, se déploient des blindés et des fantassins israéliens. Vétéran de la Sareyet Matkal, la meilleure unité d’élite de Tsahal, Benyamin Netanyahou se pique de stratégie militaire. Devant les caméras, il observe les cartes d’état-major et devise avec les officiers supérieurs. "Nous vivons un jour historique", se félicite le chef du gouvernement, avant d’énumérer les victoires de son pays au cours des derniers mois.

Le bilan est, il est vrai, impressionnant. Le régime de Bachar el-Assad vient d’être renversé, le Hezbollah ayant été incapable de le sauver cette fois-ci. Malmenée par une campagne militaire israélienne implacable au Sud-Liban, la milice chiite a perdu en quelques mois son chef historique, Hassan Nasrallah, l’essentiel de son arsenal et des milliers de combattants. Avec la chute d’Assad en Syrie, le Hezbollah se voit de surcroît privé de sa liaison terrestre avec l’Iran. A Gaza, la branche militaire du Hamas est en lambeaux au prix d’une dévastation du territoire et de plus de 45 000 morts, selon le mouvement islamiste. Décapitée, sa direction se terre et serait même prête à accepter le principe d’un cessez-le-feu et d’une libération d’otages sans retrait de l’armée israélienne de Gaza. Quant à l’Iran, les mollahs voient leur "axe de la résistance" se réduire et craignent, par contagion, un effondrement de leur régime.

Nouvel ordre régional

Ces derniers jours, l’aviation israélienne bombarde quasi quotidiennement les capacités militaires syriennes (dépôts d’armes, systèmes de défense aérienne, chars, avions et navires de guerre…). En parallèle de ces frappes préventives, I’Etat hébreu soutient les groupes hostiles à la Turquie et à l’Iran. "Israël doit renforcer ses liens avec les Druzes et les Kurdes afin de contrebalancer l’influence des rebelles islamistes et de la Turquie en Syrie, explique Chuck Freilich, expert en stratégie militaire et chroniqueur au quotidien Haaretz. Les récents événements lui procurent une opportunité unique de stabiliser le nouvel ordre régional qui en train d’émerger."

Israël plus puissant que jamais, au centre la recomposition du Proche-Orient. Belle revanche pour un pays victime d’un massacre de civils inédit dans son histoire, attaqué sur plusieurs fronts, conspué sur les campus occidentaux, critiqué par la plupart des chancelleries. Fragilisé comme jamais il y a quatorze mois, l’Etat hébreu a rétabli sa capacité de dissuasion et inversé le rapport de force avec ses ennemis. Retour sur une année qui a changé le visage du Moyen-Orient.

Au petit matin du 7 octobre 2023, les miliciens du Hamas parviennent à percer en plusieurs endroits un mur de séparation soi-disant infranchissable et à sidérer les maigres forces de Tsahal postées à la frontière. Les Israéliens des kibboutz et les jeunes festivaliers de Nova se retrouvent en première ligne du déchaînement de violence des terroristes, qui assassinent, mutilent, kidnappent ou violent plus d’un millier de personnes en quelques heures. Horreur indicible. "J’ai été particulièrement frappé par le témoignage d’une habitante d’un kibboutz cachée dans son réfrigérateur. Elle se demandait comment ses parents de Tel-Aviv, à près d’une centaine de kilomètres de là, allaient se défendre face aux terroristes du Hamas. Elle ne doutait pas un instant que tout le pays avait été envahi. Ce matin-là, beaucoup pensaient que l’Etat d’Israël était menacé dans son existence même", relate l’essayiste Denis Charbit (Israël, l’impossible Etat normal, éd. Calmann-Lévy).

"Bravoure" et tirs nourris

Pourtant, les Israéliens se ressaisissent très vite. Des centaines de civils armés se ruent vers le sud du pays pour pallier l’absence des forces de Tsahal, décimées dès les premières heures de l’assaut. Dans l’après-midi, des unités se reforment et parviennent à reprendre le dessus. Des combats acharnés ensanglantent les alentours de la bande de Gaza. Au matin du 8 octobre, les terroristes du Hamas qui n’ont pas été tués ont fui vers Gaza. La frontière est refermée, seuls les tirs nourris de roquettes menacent encore le sud du pays. "Le peuple d’Israël a montré sa grandeur et son unité ce jour-là. Religieux, laïques, de droite ou de gauche, ils ont combattu avec une bravoure incroyable. Cela compensait la déroute de l’Etat", constate le journaliste Amir Tibon, rescapé des massacres et auteur d’un récit sur le 7 octobre (Les Portes de Gaza, éd. Christian Bourgois).

Soudés dans la douleur et une même volonté de punir le Hamas, chauffés à blanc par les images des civils gazaouis célébrant les massacres du Hamas, les Israéliens exigent une riposte impitoyable. Ils seront exaucés au-delà de toute attente. Le 8 octobre, Tsahal enclenche une effroyable campagne de bombardements sur la bande de Gaza. "Israël a franchi toutes les lignes rouges parce que ses ennemis les avaient franchies, observe Denis Charbit. D’une certaine manière, Israël a saisi l’aubaine du 7 octobre pour régler tous ses comptes."

Car un nouveau front s’ouvre simultanément, à la frontière nord du pays. Le 8 octobre, en soutien au Hamas, le Hezbollah libanais lance vers le territoire israélien des dizaines de missiles de courte portée et de drones offensifs. Netanyahou ordonne alors l’évacuation de la zone frontalière. Entre 60 000 et 80 000 Israéliens se réfugient plus au sud. Dans les premiers mois, Tsahal se contente de répliquer aux tirs du Hezbollah par des éliminations ciblées d’officiers de la milice chiite. Disposant de renseignements étonnamment précis, les Israéliens parviennent à tuer plus de 400 cadres du Hezbollah basés au Sud-Liban. Une hécatombe qui révèle le haut niveau d’infiltration de Tsahal au sein de l’organisation.

Mais la grande offensive contre le Hezbollah doit attendre, car le Hamas s’avère un ennemi coriace qui mobilise des dizaines de milliers de soldats. Malgré des bombardements intensifs, une opération terrestre de grande ampleur et la dévastation de quartiers entiers de l’enclave palestinienne, le Hamas ne plie pas et garde la haute main sur les otages. Maître absolu de la bande de Gaza depuis 2007, le mouvement islamiste a bâti un vaste réseau de tunnels. Insaisissables, les miliciens du Hamas surgissent de nulle part pour viser les blindés de Tsahal avec des roquettes antichars ou pour piéger un bâtiment. Malgré une nette infériorité numérique et technologique, ils infligent à l’armée israélienne ses pertes les plus lourdes depuis la première guerre du Liban au début des années 1980 : près de 400 soldats tués et 12 000 blessés.

Soutien constant de Biden

Les funérailles militaires s’enchaînent mais les Israéliens consentent majoritairement à la poursuite de la guerre. L’union sacrée se fissure toutefois sur la question des otages. Chaque samedi soir, des centaines de milliers d’Israéliens manifestent pour réclamer un accord avec le Hamas. Hormis deux opérations commandos réussies, Tsahal se montre incapable de libérer les personnes kidnappées. Une centaine d’Israéliens, morts ou vivants, sont encore détenus à Gaza après l’échange otages/prisonniers opéré au début du conflit. Les manifestants reprochent à Netanyahou de durcir la position israélienne afin de prolonger la guerre par intérêt politicien et pour échapper à la justice.

Mais le Premier ministre, seul maître à bord avec une coalition à sa botte, n’entend pas céder à la principale exigence du Hamas : le retrait de l’armée israélienne de Gaza. Les stratèges de Tsahal insistent sur le maintien d’une présence militaire sur l’axe de Philadelphie, à la frontière entre l’Egypte et Gaza. Long de 14 kilomètres, il est traversé par des tunnels de contrebande par lesquels le Hamas faisait entrer armes et munitions. En dépit des mises en garde américaines, Netanyahou engage en mai 2024 la bataille de Rafah, la ville frontalière. "Même durant les pires périodes de tensions avec Netanyahou, Biden n’a jamais lâché Israël et a continué à lui livrer des armes. Ce soutien constant a été essentiel pour la victoire israélienne", juge Eldad Shavit, de l’INSS, le centre de recherche de l’université de Tel-Aviv.

La conquête de Rafah par Tsahal déconnecte le Hamas du monde extérieur. Au début de l’été, le groupe armé montre des signes de faiblesse. Les tirs de roquettes vers l’Etat hébreu se raréfient. Exsangues, les troupes encore opérationnelles peinent à se déplacer. L’armée israélienne a détruit ou neutralisé la plus grande partie des tunnels et, en plus de Philadelphie, elle contrôle l’axe de Netsarim qui coupe en son milieu la bande de Gaza.

Pour le symbole – et aussi pour reconquérir une opinion révoltée par le fiasco du 7 octobre –, Tsahal pourchasse les organisateurs des massacres, sur le modèle de la traque des terroristes des JO de Munich en 1972. Après chaque élimination, les noms et les photos des terroristes sont publiés dans la presse. Le 31 juillet, Ismaïl Haniyeh, le chef politique du mouvement, est assassiné en plein Téhéran. A la même période, Mohamed Deif, le légendaire chef de la branche armée, meurt dans une frappe israélienne à Khan Younès. Enfin, Yehia Sinwar, le grand ordonnateur de l’invasion et chef du Hamas à Gaza, est tué, presque par hasard, le 16 octobre à Rafah. A deux reprises, l’Iran attaque Israël pour venger la mort des chefs du Hamas et du Hezbollah. En mars et en octobre 2024, la République islamique tire des salves de missiles de longue portée vers Israël. Les dégâts sont mineurs car la plupart des projectiles sont interceptés avant d’atteindre le territoire israélien.

Cette photographie prise depuis une position dans le sud d'Israël montre un char israélien roulant le long de la frontière avec la bande de Gaza, le 19 janvier 2024, au milieu de batailles continues entre Israël et le groupe militant Hamas.

Gaza sous contrôle, l’Etat hébreu change de braquet face au Hezbollah. L’offensive débute par une opération d’une sophistication inouïe, sans équivalent dans l’histoire des conflits armés. Le 17 septembre vers 15h30, des milliers de membres du Hezbollah voient leur bipeur leur exploser au visage. Ces petits terminaux de messagerie avaient été piégés par le Mossad plusieurs années auparavant. Le lendemain, les services israéliens récidivent avec des talkies-walkies, dont certains explosent dans les cortèges des enterrements des victimes de la veille. Outre le bilan humain, "l’opération bipeurs" provoque un vent de panique dans les rangs du Hezbollah. L’armée israélienne intensifie les bombardements sur le quartier général du mouvement dans la banlieue sud de Beyrouth où, le 27 septembre, les renseignements israéliens localisent Hassan Nasrallah. Il rencontre ses principaux lieutenants dans un de ses bunkers, à 18 mètres sous terre. Avec l’accord des Américains, les F-15 israéliens larguent 80 bombes de près d’une tonne chacune sur le bâtiment. Le corps de Nasrallah sera retrouvé dans les décombres.

Camouflet pour le "parti de Dieu"

Trois jours plus tard, Tsahal envahit le Sud-Liban. Alors que Nasrallah avait promis "l’enfer" aux soldats israéliens, ils progressent rapidement dans ce fief du Hezbollah. Réputés bien entraînés et intrépides depuis la guerre civile syrienne, les combattants chiites peinent à se coordonner. La plupart du temps, ils désertent leurs positions, aussitôt dynamitées par Tsahal. Dans les maisons abandonnées sont découverts des stocks d’armes gigantesques et des plans d’invasion d’Israël. Selon toute vraisemblance, le Hezbollah préparait un 7 octobre en coordination avec le Hamas. Mais Sinwar a dégainé trop tôt.

Au terme d’une campagne de deux mois, le Hezbollah accepte un cessez-le-feu impliquant son désarmement et son retrait du Sud-Liban. Un camouflet pour le "parti de Dieu" et pour son parrain iranien. Et le début de la fin pour le régime d’Assad. "A la différence de Gaza, Israël se préparait depuis des années à cette guerre contre le Hezbollah. D’où cette victoire rapide", analyse Amir Tibon. Jadis crainte et adulée, la milice chiite pro-iranienne voit son prestige ruiné. Au Liban, des responsables chrétiens et sunnites demandent son démantèlement et le retour du monopole militaire à l’armée libanaise. La colère gronde contre Téhéran. Avec la neutralisation du Hamas à Gaza et du Hezbollah au Sud-Liban, les mollahs perdent leurs deux principaux bras armés. "Le Hezbollah était la pièce maîtresse du régime iranien, qui a fait de la destruction de l’Etat d’Israël son principal objectif", explique Sarit Zeevi, du centre de recherche Alma.

Désormais isolé au Moyen-Orient, l’Iran voit d’un mauvais œil le prochain retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. A la différence de son prédécesseur, le président élu pourrait s’aligner sur les positions israéliennes face à la république islamique. "Les Etats-Unis soutiendront une opération israélienne contre les installations nucléaires iraniennes et pourraient même œuvrer à un changement de régime", avance un diplomate de la région. Depuis le 7 octobre, l’Iran et Israël se sont contentés d’affrontements à fleurets mouchetés. Aux tirs relativement inoffensifs de missiles de longue portée censés venger l’assassinat de chefs du Hezbollah et du Hamas, Israël a riposté par des raids sur quelques sites militaires iraniens. Dans les prochaines semaines, le conflit entre les deux pays pourrait prendre une tout autre dimension.