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Dorothy Bishop, son combat fou contre Elon Musk : "J’ai quitté la Royal Society pour le chasser"

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C’est l’histoire d’une démission. Mais pas de n’importe laquelle. Le renoncement dont on parle ici a ceci d’historique qu’on le croyait impossible, impensable. En 150 ans, jamais personne n’avait quitté la Royal Society, l’illustre société savante britannique. Isaac Newton, Charles Darwin, ou encore Albert Einstein ont parcouru les couloirs de cette assemblée d’érudits, une des plus anciennes au monde. Dorothy Bishop, elle, en a claqué la porte. Elle a chiffonné son titre, et l’a fait savoir, espérant ainsi déclencher un soulèvement. Son but ? Chasser Elon Musk, membre honorifique, pas assez intègre à son goût. La psychologue ne s’était jamais expliquée sur son départ dans la presse française. Elle livre à L’Express les détails de son combat contre le milliardaire.

L’Express : On ne quitte pas la Royal Society, au risque de redevenir simple mortel. Et pourtant, vous l’avez fait, à la fin du mois de novembre. Êtes-vous satisfaite ?

Dorothy Bishop : Disons que j’aurais voulu éviter d’en arriver à ces méthodes. Mais je dois dire que j’ai été surprise par le soutien qui m’a été montré à la suite de ma démission. Je ne m’attendais pas à ce qu’on me suive, en réalité. Mais j’ai reçu de nombreuses approbations, y compris par certains des sages de la Royal Society - même s’ils ne voudraient certainement pas que je révèle leur nom.

S’en prendre à Elon Musk, l’homme le plus puissant du monde, cela doit être un peu intimidant ? Vous vous étiez préparée ?

Je craignais des menaces ou des vengeances. Elon Musk peut être un personnage horrible, surtout avec ceux qui le critiquent. Il peut entamer des poursuites judiciaires ou détruire des réputations. Il a l’argent et les réseaux pour. Mais pour l’instant, je n’ai aucune nouvelle de lui.

Pourquoi vouloir le faire partir de la Royal Society ?

Rappelons d’abord que la Royal Society est une très vieille société savante. Elle est née en 1660, et un de ses premiers membres était l’illustre physicien Isaac Newton. Pour y entrer, le processus s’avère très sélectif. En devenir membre est un grand honneur, j’en ai été très contente d’ailleurs, je dois bien l’avouer. Il n’y a pas que les scientifiques qui ont accès à ce titre. Des membres de la société civile sont aussi choisis, car ils sont considérés comme des interfaces importantes entre la population et la science. Ce fût le cas pour Winston Churchill, par exemple. C’est comme ça qu’Elon Musk est arrivé sous les ors de l’institution, en 2018.

Son élection a été discutée, mais à l’époque, elle pouvait se justifier : Elon Musk était perçu comme un grand innovateur, développeur de voitures autonomes, avec Tesla, de fusées réutilisables, avec Space X, et de robots intelligents. Il a pendant longtemps été, à sa manière, le porte-parole de la science. Mais ces dernières années, ses positions vis-à-vis de la méthode scientifique ont changé. Il s’est mis à propager de plus en plus d’avis allant à l’encontre de la science. Plusieurs membres de la société savante ont donc commencé à s’interroger.

Que lui reprochez-vous exactement ?

En s’emparant de Twitter, Elon Musk a changé les règles de la plateforme. Il a sciemment facilité la diffusion de la désinformation, et des discours de haine, ce qui a contraint les scientifiques à fuir. Sur son réseau, il a aussi directement tenté d’interférer avec les croyances de la société britannique. Un cas de meurtre d’enfant a secoué le Royaume-Uni cet été. Elon Musk a utilisé son infrastructure pour propager l’idée qu’un musulman avait fait cela, ce qui n’était pas vrai.

Il a également multiplié les attaques contre Anthony Fauci, l’ancien conseiller médical en chef du gouvernement américain, au bilan pourtant plus que raisonnable. Il s’est positionné contre le consensus scientifique à plusieurs reprises durant la crise sanitaire. Il ne voulait pas des confinements, pour protéger son business. Il disait que les vaccins n’étaient pas judicieux. Et il a aussi partagé du climatoscepticisme, là où pourtant les experts s’accordent à dire qu’il y a un vrai danger climatique, généré par l’homme.

Si on prend aussi en compte les interrogations sur les études qu’il a menées avec Neuralink, sur les règles éthiques qu’il aurait bafouées, le faisceau d’indices est clair. Il n’est plus compatible avec ses missions de représentation scientifique. Il me semble très dangereux de garder, comme membre d’une des plus influentes sociétés savantes au monde, quelqu’un qui ne respecte pas ses valeurs, d’autant qu’Elon Musk a une audience inédite.

Votre avis a-t-il été suivi au sein de la Royal Society avant que vous ne partiez ?

Nous étions plusieurs à nous faire la même réflexion. Une lettre critique a été rédigée. 74 membres l’ont signée, et elle a été remise à la présidence de la société savante. Rien que cette missive représentait déjà une situation inédite : l’ambiance est habituellement très feutrée au sein de la Royal Society, les critiques y sont rares. La présidence a fait venir des avocats. En lisant les statuts, ils ont conclu qu’Elon Musk n’était pas un contrevenant, même si certaines de ses activités sont répréhensibles, car ses actes anti-science n’ont pas été faits au nom de la société royale. Ils n’ont donc rien fait, c’est regrettable, car les valeurs morales de la Royal Society ont été bafouées. Cette séquence m’a fait comprendre qu’il était très difficile d’expulser quelqu’un de ce cénacle - cela ne s’est pas produit depuis 150 ans. Il semble donc probable qu’Elon Musk conservera son titre de membre et je ne voulais pas être associé à cela.

Comment la Royal Society a réagi à votre démission ?

L’administration a été très choquée. Puis elle a accepté. J’ai dit que je voulais être capable de critiquer Elon Musk, et que si je voulais être prise au sérieux, je devais le faire de l’extérieur. Des gens ont dit que la société royale se porterait mieux sans moi. Mais j’ai surtout reçu des encouragements. Je n’étais pas très connue sous le titre de membre de la société royale, ce qui m’a facilité la tâche. Vous savez, j’ai beaucoup de respect pour l’institution, mais je suis de nature à considérer qu’il faut juger sur le travail accompli, pas les titres récoltés. Alors cela ne m’a pas dérangé de partir.

Où en est Elon Musk ? Qu’est-ce qui a changé depuis votre démission ?

Rien, ou presque. Il faudra dans tous les cas attendre des mois pour voir si des mesures seront prises. Les processus de la société savante sont très longs et très conservateurs. Il faudrait à la fin, un vote de tous les membres pour exclure Elon Musk. Mais je ne pense pas que cela ira jusque-là, car l’institution est faite pour éviter ce genre de cas de figure, dans un souci de préservation de sa réputation.

Alors on en reste là ?

Il faudra tout de même surveiller l’évolution d’Elon Musk. S’il devient de plus en plus extrême, peut-être qu’il prendra des décisions impossibles à soutenir pour la Royal Society. A son poste dans l’administration Trump, il pourrait s’attaquer au NIH, ou à la Nasa, ces institutions chargées de la recherche médicale et spatiale. Pour l’instant, on ne sait pas ce qu’il va faire, même si c’est ce qu’il a promis. Au fond, il n’a pas complètement tort : il faut améliorer le système, le réformer. Mais quelles sont ses motivations réelles ? Veut-il se venger, ou aider la science ? Les scientifiques américains sont très inquiets. S’il a un bon impact, j’aurais eu tort, et j’en serais ravie. Si j’ai raison, la Royal Society n’aura d’autre choix que de se positionner.

Aux Etats-Unis, la réélection de Donald Trump marque la victoire du scepticisme envers la science. Comment expliquez-vous cet engouement ?

Nous nous trouvons dans une ère de désinformation. La difficulté, avec le développement des réseaux sociaux, c’est qu’on ne sait plus à quoi se fier. Tout à l’air de se valoir. Et c’est normal : ces outils sont l’aboutissement d’années de recherche en sociologie et en science cognitives. Ils sont conçus pour avoir une prise sur notre attention. Il faut se demander : est-ce que j’aime quelque chose parce que cela confirme mon opinion, ou parce que c’est vrai ? La désinformation marche, car elle confirme nos croyances.

Je crois aussi que la science a participé elle-même à cette crise de confiance. Je suis moi-même très engagée contre la fraude, notamment au sein de FoSci, ce nouveau collectif qui vise à "décontaminer" la science des manipulations et trucages, et que j’ai rejoint récemment. Les affaires de ces dernières années, ces stars de la science déchues, ces milliers de papiers rétractés, ces maisons d’édition toutes entières qui se sont effondrées, ont engendré de la défiance.

A vous entendre, la science pourrait elle aussi finir par être contaminée par la désinformation…

C’est un risque qu’il ne faut pas sous-estimer. Il y a une forme de porosité. Les mêmes groupes d’influence qui pourrissent le débat public tentent aussi d’infiltrer les productions scientifiques. Des gens idéologisés tentent d’ouvrir leur journal et de faire croire qu’il est respecté, ils écrivent des études relues par leurs amis. C’est de plus en plus dur de distinguer, au sein de la science, ce qui est vrai ou pas.

Même si dans la très grande majorité des cas les scientifiques arrivent encore à faire la différence, les frontières entre la science et la politique sont de plus en plus diluées. Nous devons veiller, en tant que scientifiques, à être le plus objectifs possible et de ne pas avoir l’air de choisir un camp, ou une idée. C’est un sujet qui m’a intéressé durant ma carrière : nous avons tous des biais cognitifs. Il faut les comprendre, et les challenger.

Que doit faire la science pour résister ?

Je pense que plus d’ouverture est la solution. Je ne parle pas seulement d’articles de recherche accessibles gratuitement et facilement, comme c’est de plus en plus le cas actuellement. Il nous faut rendre systématiquement publiques les données utilisées par les chercheurs, leurs analyses, les éléments repérés lors des relectures. Nous devrions avoir des rapports publics résumant ce qui a été fait durant la relecture. Plus la science sera ouverte, plus difficile il sera de cacher la fraude, ou d’affirmer qu’on nous cache des choses. Il faut aussi plus de sanctions pour les fraudeurs, de la part des journaux et des institutions, qui parfois ferment les yeux. J’ai d’ailleurs écrit en 2023 une lettre ouverte au CNRS, à propos de cela. Espérons que les institutions prennent ces sujets plus au sérieux à l’avenir.