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Retraite, peut-on se permettre un retour en arrière ?

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Le débat sur les retraites revient sur le devant de l’actualité. Faut-il ramener l’âge de départ à 62 ans voire 60 ans ? Quelles pourraient être les conséquences d’une telle décision en termes économiques ?

Rappelons ici le fonctionnement d’une retraite par répartition. Dans un système par répartition, les actifs, les personnes qui cotisent, voient une partie de leur salaire retranchée

(28% en l’occurrence[1] actuellement), pour payer les pensions des retraités. Cette partie retranchée est ce que l’on appelle les cotisations retraite. On comprend donc assez facilement, dans une première approche, que plus les retraités sont nombreux, notamment par rapport au nombre d’actifs et plus ils vivent longtemps et plus les cotisations retraite des actifs augmentent.

L’évolution et l’évaluation d’un tel système de retraite reposent principalement sur la démographie, le taux d’emploi et la productivité.

Les hypothèses démographiques, elles, reposent sur l’espérance de vie, l’indice de fécondité et le solde migratoire.

L’espérance de vie à la naissance a cru, en France, respectivement de 5% et 14%[2] pour les femmes et les hommes depuis 1994 et l’espérance de vie à 65 ans, en 2023[3] est de 23,6 ans chez les femmes et de 19,8 ans chez homme. Les gains d’espérance de vie à 65 ans sont de 0,7 à 1 an chez les femmes et de 1,2 à 1,4 an chez les hommes par décennie, ce qui, en projection, donne une espérance de vie à 65 ans de 26,7 ans pour les femmes et de 24,8 ans chez les hommes à horizon 2070.

L’indice de fécondité dépend du nombre de femmes en âge de procréer, entre 20 et 40 ans, et de leur fécondité. Depuis 1995 le nombre de femmes dans cette tranche d’âge a diminué de 8,5% et l’indicateur conjoncturel de fécondité est au plus bas à 1,68 enfant par femme après avoir connu un pic à 2,03 en 2010. Les projections retenues par le COR (Conseil d’Orientation des Retraites) sont de 1,8 enfant par femme en 2035.

Le solde migratoire est la différence entre le nombre de personnes entrées sur le territoire sur une période donnée et celles l’ayant quitté sur la même période. Ce solde, bien qu’étant sujet à une forte volatilité, s’est établi à +82 000 en moyenne au cours des 25 dernières années. Les hypothèses retenues pour le COR en la matière sont de +70 000 par an pour les 10 prochaines années.

Le taux d’emploi, quant à lui, mesure l’utilisation des ressources disponibles en main d’œuvre. Il est calculé par le rapport entre le nombre d’actifs travaillant et celui de la population en âge de travailler. Bien qu’étant un des plus faible de l’OCDE[4] à 68,4% il ne cesse de croître depuis ces dernières années, grâce aux différentes réformes sur les retraites et le chômage. Cependant il est très loin derrière des pays comme l’Autriche, l’Allemagne, le Danemark, La Suède, les Pays-Bas dont les taux d’emploi varient de 75 à 82%. C’est le facteur clé de la croissance économique d’un pays et marqueur important d’inclusion par le travail. Les projections du COR semblent extrêmement ambitieuses en la matière puisqu’il prévoit un taux d’emploi à 74% à 2040.

Tous ces chiffres, tant actuels que projetés, sont publics et connus de tous, au moins de tous chez le législateur. Alors procédons à quelques calculs basiques sur la population active, la population cotisante. Elle se définit, selon le BIT, par le taux d’activité de la population de 15 à 64 ans et est de 73,9%[5] en 2023

Population Active (15-64 ans) = 42 x 0,739 = 31 millions

Retraités (+ de 64 ans) = 14,7 millions

Actifs/Retraités = 30/14,7 = 2,11

Maintenant, passons l’âge de la retraite à 60 ans

Population active (15-60 ans) = 37,8 x 0,739 = 27,9 millions

Retraités (+ de 60 ans) = 19 millions

Actifs/retraités = 26,8/19 = 1,47

Une telle décision aurait un impact sur le taux de cotisation de : 2,11/1,47, soit 1,43. Celui-ci passerait donc de 28% à 40%[6] où à l’inverse il faudrait baisser toutes les pensions de 12% pour supporter le coût de cette décision, où continuer à faire exploser la dette. Comment peut-on, décemment, imaginer prendre une telle décision, sur la base de ces chiffres non discutables puisqu’actuels ?

En 2023, le montant des retraites a culminé à 384 milliards d’euros, 13,6% du PIB. Seuls 257 milliards d’euros ont été financés par les cotisations des agents du secteur privé, malgré un taux de cotisation de 28% et les cotisations salariales des agents publics. Les 127 milliards[7] manquants (33%) sont financés par de l’impôt, des subventions et autres contributions destinés à assurer l’équilibre du régime de la fonction publique d’état ainsi que les régimes spéciaux (RATP, SNCF, etc…).

Certes, l’incertitude économique et politique a également une grande influence sur ces projections, mais cependant des tendances lourdes, mondiales dans les économies développées se dessinent. Si celles-ci se prolongeaient, la population française devrait croître jusqu’en 2044 pour atteindre quasi les 70 millions d’habitants avant de décroitre pour s’établir à 68 millions en 2070, soit à peu de chose la population actuelle[8]. Mais la pyramide des âges sera totalement modifiée. La part des plus de 65 ans atteindrait 29% de la population contre 21% aujourd’hui les plus de 75 ans devrait croitre de 5,7 millions tandis que celle des moins de 60 devraient chuter de 5 millions.

Comment peut-on décemment vouloir une exception française sur les retraites et comment ne pas ouvrir les yeux et se rendre compte que le seul financement par répartition ne sera plus supportable ? Peut-on accepter d’étouffer les générations futures en prélevant toujours plus de cotisations ? Le système de retraite par répartition ne tient que par une solidarité basée fondée sur ce contrat intergénérationnel. Il nous faut sortir du « scénario de l’irresponsabilité » que décrivait déjà Michel Rocard en 1991. Les réformes structurelles sur la retraite, mais également sur l’école, sur l’apprentissage, sur le chômage, pour entrer plus vite, plus efficacement et pour plus longtemps dans la vie active doivent être menées avec courage. Car à terme, cette masse colossale de dettes et de charges sur les ménages et les entreprises va mettre en péril notre capacité d’épargne et d’investissement, donc notre compétitivité et nous entrainer dans les profondeurs d’un déclassement déjà bien entamé.


[1] Taux moyen de cotisation sur le super brut

[2] https://www.insee.fr/fr/statistiques/2416631

[3] https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/294617.pdf

[4] https://www.oecd.org/fr/data/indicators/employment-rate.html

[5] https://www.insee.fr/fr/statistiques/7767065?sommaire=7767424

[6] Une augmentation de 0,28 x 0,43 soit 12%

[7] https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/294617.pdf

[8] Algava E. & Blanpain N.  (2021) https://www.insee.fr/fr/statistiques/5893969