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Syrie: la chute d’Assad et l’émergence d’un nouveau désordre

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Le régime de Bachar al-Assad est tombé en raison d’une offensive éclair menée par le mouvement HTS sous la direction d’Abu Mohammad al-Joulani, lequel a sapé les bases de la peur et de la corruption maintenant jusqu’alors la loyauté au régime, tout en rassurant les communautés minoritaires


Samedi soir, tandis que les chrétiens d’Occident célébraient la réouverture de Notre-Dame de Paris, un événement d’une ampleur historique bouleversait leurs frères d’Orient : la chute du régime de Bachar al-Assad. Ce séisme politique a plongé de nombreuses communautés syriennes dans l’angoisse. Leur inquiétude est légitime : avec la fuite d’Assad, c’est tout un système, fondé par le Baath et consolidé par Hafez el-Assad, qui s’effondre. Pendant plus d’un demi-siècle, ce régime a imposé un équilibre fragile mais efficace, garantissant sécurité et parfois prospérité à certaines des pièces complexes du puzzle ethnique et religieux syrien. Désormais, d’autres logiques vont modeler le destin des gagnants et des victimes de l’ancien régime.

Al-Joulani, le nouveau visage de la Syrie ?

La nouvelle force montante incarne un mélange d’islam politique sunnite et de nationalisme arabo-syrien. Les proportions exactes de ces ingrédients restent incertaines, mais le cocktail a désormais un visage : Ahmed Hussein al-Shar’a, alias Abu Mohammad al-Joulani. Syrien, islamiste et ancien jihadiste, il dirige une machine politico-militaire efficace et structurée, bien décidée à prendre la tête du nouvel État syrien. Son parcours inspire autant la crainte que l’assurance, tant il symbolise une rupture radicale avec l’ancien ordre.

Né en 1982 à Riyad, en Arabie saoudite, al-Joulani est d’origine syrienne, son père étant issu du Golan. En 1989, sa famille revient en Syrie, où il grandit à Damas, dans le quartier de Mezzeh. Son parcours bascule au début des années 2000, lorsqu’il s’engage dans des conflits internationaux. En 2003, après l’invasion américaine de l’Irak, il rejoint l’insurrection et grimpe rapidement dans les rangs d’Al-Qaïda en Irak (AQI), alors dirigé par Abu Musab al-Zarqawi. Capturé, il passe plus de cinq ans dans les prisons américaines d’Abu Ghraib et de Camp Bucca, véritables creusets idéologiques pour de nombreux leaders jihadistes, dont Abu Bakr al-Baghdadi.

En 2011, dans le contexte de la révolution syrienne, al-Joulani est envoyé par al-Baghdadi pour établir une branche d’Al-Qaïda en Syrie, Jabhat al-Nosra. Sous sa direction, le groupe s’impose rapidement comme une force majeure contre le régime d’Assad, grâce à des recrutements habiles et des attaques ciblées. Cependant, en 2013, al-Joulani refuse la fusion proposée par al-Baghdadi pour intégrer Jabhat al-Nosra à l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL, futur Daech). Cette rupture entraîne des affrontements violents entre les deux groupes, et al-Joulani choisit de prêter allégeance à Ayman al-Zawahiri, chef d’Al-Qaïda, pour préserver l’autonomie de Jabhat al-Nosra.

En 2016, al-Joulani annonce une rupture avec Al-Qaïda et rebaptise son groupe Jabhat Fatah al-Sham, puis Hayat Tahrir al-Cham (HTS) en 2017. Ce repositionnement stratégique vise à séduire les communautés locales et à s’éloigner du jihadisme mondial. Malgré cela, les États-Unis placent une prime de 10 millions de dollars sur sa tête.

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Contrairement à Daech, qui privilégiait la terreur brute, al-Joulani adopte une approche pragmatique et patiente, inspirée par Ayman al-Zawahiri. Sa stratégie repose sur l’intégration avec les populations locales et la construction d’institutions administratives à Idlib, où HTS perçoit des impôts, contrôle les douanes et exploite la filière lucrative du captagon. Cette flexibilité lui permet de naviguer entre des alliances fragiles et de maintenir son emprise sur une région diverse.

En 2023, al-Joulani intensifie ses efforts pour se présenter comme un leader nationaliste syrien, centrant son discours sur la reconstruction d’un État islamique syrien tout en se démarquant du jihadisme mondial. Lors d’un entretien marquant, il affirme que son combat est exclusivement syrien, consolidant son image de chef pragmatique avec une vision nationale.

Offensive éclair

Fin novembre 2024, HTS lance une offensive éclair qui, en 11 jours à peine, provoque l’effondrement du régime syrien. Israël, la Russie, l’Iran et même Assad lui-même sont pris de court. L’effondrement rapide de l’armée syrienne témoigne de la dissolution de la loyauté au sein des forces loyalistes. Al-Joulani aurait réussi à transmettre des messages clairs aux militaires et aux communautés minoritaires : il n’y aurait pas de représailles contre ceux qui se rendent, ni d’attaques contre les biens, familles ou croyances des civils. Ce discours a détruit le ciment de la peur et de la corruption qui maintenait l’alliance pro-Assad.

Abu Mohammad al-Joulani incarne une synthèse entre islamisme politique et nationalisme arabo-syrien, un modèle proche du « kémalisme islamique » d’Erdogan, alliant conservatisme religieux et pragmatisme économique. Contrairement aux visions ultralibérales de Dubaï ou aux excès de Daech, son projet s’appuie sur une modernité mesurée et un traditionalisme ancré et assumé. Plutôt Qatar ou l’Arabie saoudite que Dubaï.

Cependant, al-Joulani doit relever des défis titanesques. Maintenir une coalition hétéroclite après la guerre s’annonce difficile : les ambitions personnelles et divergences idéologiques, contenues durant le conflit contre Assad, pourraient resurgir. De plus, l’Iran et la Russie, grands perdants de cette transition, ne manqueront pas d’exercer des pressions pour préserver leurs intérêts stratégiques.

Enfin, al-Joulani devra gérer une Syrie en ruines, ayant perdu la moitié de sa population et profondément marquée par des divisions ethniques et confessionnelles envenimées par 14 ans de guerre civile. Sa capacité à transformer son succès militaire en un projet politique stable sera déterminante pour l’avenir de la Syrie post-Assad. Bien qu’il ait démontré une habileté certaine à fédérer contre un ennemi commun, la véritable épreuve commence maintenant : bâtir un consensus durable autour de son projet de société.

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