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En Belgique, les écoles ciblées par les islamistes : "Les jeunes filles sont désormais en première ligne"

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"Lorsque nous avons commencé à recueillir la parole des enseignants qui font face à la pression islamiste dans leurs classes, c’est leur sentiment de solitude qui nous a d’abord frappés". Dès l’avant-propos du livre Allah n’a rien à faire dans ma classe (ed. Racine, 2024), écrit par les journalistes Florence D’Hondt et Jean-Pierre Martin, on apprend qu’en Belgique comme en France, les professeurs doivent parfois faire face à des contestations de certains cours.

Ceux consacrés par exemple à la théorie de l’évolution. Ils sont également confrontés à des stratégies diverses élaborées par des jeunes filles désireuses de porter le voile au sein des établissements scolaires, aux pressions exercées par certaines familles, à la lâcheté de la hiérarchie qui préfère parfois détourner le regard en cas d’incident, aux jugements de collègues prompts à les traiter "d'islamophobes" et à les accuser de faire le jeu des extrêmes… L’idée de cet ouvrage était de libérer la parole sur un sujet jusqu’ici tabou en Belgique. Objectif atteint puisqu’il rencontre aujourd’hui un vif succès, tout en provoquant aussi quelques remous. Entretien.

L'Express : Récemment, vous deviez présenter votre livre dans un magasin Fnac de Woluwe-Saint-Lambert, dans la banlieue de Bruxelles. Or l’événement a été annulé à la suite de menaces. Que s’est-il passé ?

Jean-Pierre Martin : D’après ce que le porte-parole de la Fnac nous a rapporté, un petit groupe d’individus, des étudiants pour la plupart, serait venu à plusieurs reprises dans le magasin pour intimider le personnel. Ils auraient exigé l’annulation de notre conférence ainsi que le retrait des rayons de notre livre. Cet événement ne doit pas occulter le fait que notre ouvrage a été très bien accueilli par la presse et le grand public en Belgique, au-delà même de nos espérances. Il faut savoir que les professeurs, plutôt progressistes dans leur ensemble et ayant largement le cœur à gauche, avaient jusque-là du mal à aborder le sujet de la montée de l’islamisme à l’école. Essentiellement par peur d’être taxés "d'islamophobes", d’être pointés du doigt par leurs collègues, leur hiérarchie, les syndicats ou les parents d’élèves. La soixantaine d’enseignants que nous avons rencontrés et qui exercent de l’école primaire à l’enseignement supérieur nous ont confié se sentir souvent démunis et très seuls face à ces questions. Le but de ce livre était de les aider à se faire entendre et de susciter une prise de conscience collective.

Laurence D’Hondt : Je pense aussi que le livre est arrivé à un moment où le grand public était prêt à entendre ce que nous avions à dire sur le sujet. Sorti il y a un an, le film Amal, un esprit libre, réalisé par le belgo-marocain Jawad Rhalib et qui raconte le destin tragique d’une professeure confrontée à la radicalisation de ses élèves, avait lui-même bénéficié d’un bouche-à-oreille impressionnant et préparé en quelque sort le terrain. Même si les assassinats de Samuel Paty et de Dominique Bernard n’ont pas eu le même retentissement en Belgique qu’en France, nos concitoyens ont bien conscience de certains dysfonctionnements. Le succès de notre livre tient probablement aussi au fait qu’il s’appuie sur des témoignages très concrets de professeurs qui racontent par le détail les conséquences de l’influence de l’islam politique dans leurs classes et sur l’école belge.

Contestation des enseignements, pressions de certaines élèves désireuses de porter le voile à l’école, menaces et intimidations proférées par des parents… Pourquoi ces dérives, qui se multiplient dans les établissements scolaires belges, sont-elles aussi taboues ?

Laurence D’Hondt : Ce tabou est en partie lié au fait que la majorité des partis politiques belges ne veulent pas prendre de front les communautés maghrébines ou de confession musulmane de peur de perdre une partie de leur électorat. Prenons l’exemple de la Belgique francophone et donc de la Wallonie : les libéraux, à droite de l’échiquier politique, sont acquis à l’idée qu’il faut défendre la neutralité de l’école et sont donc favorables à une interdiction des signes "convictionnels", notamment du voile, au moins dans les écoles du réseau officiel [NDLR : enseignement public]. Or ils se heurtent au refus des socialistes qui cherchent à attirer les voix de ces communautés qui sont sous l’influence croissante des mouvements islamistes. Enfin les partis catholiques se prononcent également contre l’interdiction des signes religieux à l’école, au nom d’une certaine forme de tolérance vis-à-vis du fait religieux. Il y a chez eux une forme d’ambiguïté : même s’ils savent pertinemment que le voile est devenu l’un des symboles de l’islamisation et qu’il va à l’encontre de l’égalité entre les femmes et les hommes, ils s’opposent à ce que le gouvernement actuel de Wallonie interdise les couvre-chefs religieux, quels qu’ils soient, dans les écoles.

Jean-Pierre Martin : Tout cela tient à la spécificité institutionnelle très complexe de la Belgique. Nous sommes un pays de coalitions dans lequel aucun parti ne se dégage jamais très clairement lors des élections. Le fait que la gauche, la droite et le centre se retrouvent ensemble dans un même gouvernement empêche souvent la prise de mesures claires. Les décisions qui émergent sont toujours le fruit d’un consensus entre les différentes familles politiques. Les termes de "lasagne institutionnelle" ou de "millefeuille", que nous avons l’habitude d’utiliser, reflètent bien cette complexité qui s’exprime à tous les niveaux du pouvoir et de l’administration et influence bien des aspects de la vie des citoyens, à commencer par l’école.

En Belgique, aucune loi n’interdit le port du voile à l’école, contrairement à ce qui se passe en France. En revanche, chaque établissement a le pouvoir d’inscrire cette interdiction dans son règlement intérieur. Ces différences de traitement n’ont-elles pas tendance à entretenir un certain flou ?

Laurence D’Hondt : Nous faisons référence, dans notre livre, à l'affaire de Creil de 1989 [NDLR : trois jeunes filles qui refusaient d’enlever leur voile avaient été exclues de leur collège] qui, en France, a débouché sur le vote de la loi de mars 2004 relative à l’interdiction du port des signes religieux ostensibles. Il faut savoir que, cette même année 1989, la Belgique a elle aussi été confrontée à une polémique similaire partie d’une école de Molenbeek. Mais les juges y avaient répondu par une sentence en demi-teinte, statuant sur le fait que "les jeunes filles pourront porter leurs voiles en classe mais pas à la cantine, ni dans la cour de récréation". Cette décision illustre bien ce qui continue de se passer quotidiennement dans nos écoles aujourd’hui. L’absence de législation claire est une fragilité qui facilite la poussée islamiste dans les écoles et dans la société belge en général. Il faut savoir que la bataille juridique est une des méthodes privilégiées par les islamistes pour imposer leur vision du monde.

Jean-Pierre Martin : A noter que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, les jeunes filles sont désormais en première ligne lorsqu’il s’agit d’obliger l’école à adopter des normes islamistes. Après la figure du djihadiste armé parti en Syrie, c’est désormais la jeune femme voilée qui est devenue le symbole de cette poussée idéologique. Lorsque le voile est interdit dans un établissement, des élèves ont tendance à contourner le règlement en arrivant vêtues de jupes noires très longues ou de gants. Tout cela représente un combat quotidien pour de nombreux professeurs et établissements.

Notre système, s’il manque de clarté, est moins frontal

En quoi le système éducatif belge, basé sur la neutralité de l’Etat, diffère-t-il du modèle français laïque ?

Jean-Pierre Martin : En Belgique, la loi de 1905 qui acte la séparation complète des Eglises et de l’Etat n’existe pas et la laïcité ne constitue pas la colonne vertébrale de notre vivre ensemble. Le concept qui s’applique chez nous est celui de la neutralité de l’Etat. Les cultes y sont reconnus et subventionnés. Les élèves de l’école secondaire publique suivent d’ailleurs une heure de cours de religion par semaine et ont le choix entre l’islam, le catholicisme, le protestantisme, le judaïsme et un enseignement laïque. Car, et c’est là un paradoxe incompréhensible pour vous Français, la laïcité est perçue chez nous comme un culte et bénéficie en tant que tel de financements publics.

Laurence D’Hondt : Chaque système a ses avantages et ses inconvénients. Si le nôtre manque sans doute de clarté, il est aussi moins frontal et donne lieu à plus d’accommodements raisonnables. Reste à savoir lequel est le plus apte à contenir la progression de l’idéologie islamiste. Il est très difficile de répondre à cette question. En revanche, il est certain que la laïcité à la française est loin de remporter l’adhésion populaire en Belgique. Certains mouvements islamistes, comme celui des Frères musulmans, affichent une hostilité très prononcée vis-à-vis du mot laïcité qu’ils assimilent à l’athéisme et au rejet des religions. Un discours auquel adhère de plus en plus la jeune génération musulmane en quête d’identité et pour qui la défense de la laïcité s’apparente à une attaque personnelle.

Vous expliquez dans votre livre que l’école est bel et bien devenue la cible des Frères musulmans et des salafistes qui cherchent à y exercer leur influence. Pour quelles raisons ?

Jean-Pierre Martin : L’école occidentale, qu’elle soit belge ou française, est qualifiée de "mécréante" par les semeurs de haine et les bonimenteurs de l’islamisme. Car la mission des enseignants qui est de fabriquer des esprits libres et d’aider les élèves à penser par eux-mêmes va à l’encontre de leurs intérêts. Leur visée est avant tout de former de "bons musulmans", plus précisément des musulmans qui suivent leur vision politique de l’islam, basée sur une lecture rigoriste du Coran qui veut s’imposer comme unique mode de penser et de vivre l’islam. Les cours les plus contestés ne sont pas ceux de mathématiques ni de physique, mais plutôt ceux dédiés à la littérature et à la philosophie où l’on apprend à réfléchir et à construire une pensée autonome et un esprit critique. L’enseignement scientifique n’est toutefois pas épargné : Dans certaines écoles, il arrive que des professeurs, lorsqu’ils abordent la théorie de Darwin, se heurtent à des élèves pour qui "Dieu seul a créé l’univers".

Cette idéologie qui réfute au fond certaines des valeurs occidentales fondamentales comme le respect de la liberté de conscience, se diffuse à grande vitesse et trouve un écho chez les jeunes via les réseaux sociaux comme TikTok ou des groupes WhatsApp. La stratégie des Frères musulmans est d’autant plus difficile à contrer que ces derniers ont réussi à s’immiscer dans tous les rouages de la société belge. Certains exercent comme professeurs, travaillent dans les administrations publiques, occupent de hautes fonctions dans les partis politiques ou dans la magistrature. Je précise que Bruxelles, en tant que capitale de l’Europe, représente un terrain de conquête particulièrement stratégique pour cette nouvelle génération d’islamistes en costume Armani et en Nike.

La Belgique se heurte aussi au manque de mixité sociale dans certains "établissements ghettos" dans lesquels les mouvements islamistes ont beaucoup plus de prise qu’ailleurs…

Laurence D’Hondt : C’est évident. Mais comment faire évoluer la composition de certaines "écoles ghettos" comme à Molenbeek ou à Anderlecht qui regroupent une grande majorité de familles de confession musulmane ? Inévitablement, les établissements scolaires reflètent la composition de leurs quartiers. Il arrive que non seulement les élèves et leurs parents, mais aussi les directeurs d’école, les enseignants, les surveillants soient issus de la même communauté. Ce manque de mixité a forcément des conséquences.

Jean-Pierre Martin : Un tiers des professeurs que nous avons interviewés dans le cadre de notre enquête est de confession ou de culture musulmane. Or il est très frappant de voir que ces derniers, qu’ils soient croyants ou pas, sont parfois la cible de leurs collègues plus dogmatiques. Certains se retrouvent pointés du doigt au sein ou à l’extérieur de l’établissement sous prétexte que leur attitude ne serait pas conforme à ce que l’on attend d’eux ou qu’ils n’adhèrent pas à cette idéologie. Parmi tous les enseignants que nous avons rencontrés ce sont eux qui souffrent le plus de cette montée de l’islamisme à l’école.