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Procès des viols de Mazan : n’occultons pas la responsabilité de chacun, par Sophie Galabru

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Dans l’affaire Mazan, procès de viols collectifs par soumission chimique, les énigmes se succèdent. Comment expliquer qu’un homme, époux le jour, devienne ennemi la nuit ? Comment tous ces hommes qui comparaissent à ses côtés peuvent-ils être décrits comme de bons conjoints, de bons frères et de bons pères de famille par leur entourage ?

La question du mal cherche depuis toujours ses réponses. Socrate expliquait que ceux qui commettent l’injustice ignorent où se situe le bien, sinon le confondent avec leur intérêt propre. La psychiatrie et la psychanalyse ont pris le relais pour sonder l’esprit humain. Elles le comprennent au prisme de l’histoire infantile : la façon dont un enfant a été élevé est déterminante pour son développement. L’OMS estime que "les enfants maltraités, devenus adultes, sont davantage exposés à divers problèmes comportementaux, physiques ou psychiques". Cette observation cruciale permet de nuancer le volontarisme naïf. Pour autant, rien ne peut préjuger de la trajectoire d’un être : ses facultés innées, alliées à d’autres facteurs salutaires (la rencontre d’adultes prompts à aider), peuvent influer sur l’évolution de chacun. Le libre arbitre n’est pas aboli, auquel cas il serait impossible de maintenir l’institution judiciaire.

Cependant, à partir du XIXe siècle, la tâche du juge est complexifiée : il lui faut juger un crime tout en évaluant le degré de responsabilité de l’accusé. Pour cela, le juge sollicite le médecin qui l’aidera à établir le discernement et les motivations de l’accusé, qui produira un récit de sa vie à la barre du tribunal. L’intérêt thérapeutique s’entend. Mais comprendre une vie permet-il de mieux juger un acte ? Pour certains, la réponse est positive, pour d’autres, le doute est permis. Ainsi, Michel Foucault qualifiait l’expertise de "grotesque", considérant qu’elle dénaturait à la fois la justice et la psychiatrie : veut-on juger un acte ou normaliser des comportements ? L’individualisation des peines a progressé et les experts, uniquement sollicités pour établir le discernement, sont devenus des auxiliaires du juge pour établir une responsabilité psychique et morale.

Nous jugeons toujours des choix

La psychologisation des protagonistes d’un procès démontre qu’il ne s’agit plus seulement de juger un crime, mais de cerner une personnalité, voire d’en purger les erreurs. La justice humaniste oscille ainsi entre éducation et punition, estimant qu’on ne peut sanctionner sans comprendre ni comprendre sans punir. Pour notre société progressiste, le défi consiste à éviter deux excès contraires : ne céder ni à la pure répression bannissant l’espoir de réintégration, ni à l’absolue bienveillance occultant la responsabilité de chacun.

A trop renvoyer l’individu au contexte psychosocial dans lequel il se trouve, nous risquons de perdre de vue sa responsabilité. Cette tendance se retrouve au cœur même du procès Mazan. Certains accusés dénient ainsi toute intention de viol, arguant tantôt d’avoir été manipulé par Monsieur Pélicot, tantôt d’avoir été victime d’un passé malheureux et violent. Sans dénier que des phénomènes d’influence culturelle, d’emprise mentale, sinon d’aveuglement puissent intervenir, il est surprenant de constater que l’erreur ne suscite pas un sursaut de responsabilité pour le présent.

Aucun déterminisme n’est absolument contraignant.

La recherche des causes morales d’un acte se fonde sur deux présupposés. D’abord, il serait le résultat d’une personnalité. Mais il peut aussi bien constituer l’une des pierres permettant de l’édifier. Ensuite, il serait le résultat d’un enchaînement de causes et d’effets. Aussi fortes soient les influences subies, elles ne sont pas strictement déterminantes. Les dilemmes éthiques sont, à cet égard, les moments les plus propices pour faire sentir à quelqu’un les diverses possibilités qui s’offrent à lui. Nous pouvons rechercher les motivations des actes, mais nous jugeons toujours des choix. Comme l’a affirmé Gisèle Pélicot à son ex-mari : "Moi j’ai toujours essayé de te tirer vers le haut, vers la lumière. Toi tu as choisi les bas-fonds de l’âme humaine. C’est toi qui a choisi."

Aucun déterminisme n’est absolument contraignant. Les expertises psychologiques comme la contextualisation sociale sont intéressantes, mais impuissantes à tout expliquer. N’occultons pas la liberté qui permet à tous, y compris aux malheureux, de repousser la cruauté. A vouloir tout comprendre, nous risquons d’altérer le mystère et la grandeur de la responsabilité individuelle.

*Sophie Galabru est philosophe et l’auteure de Faire famille (Allary) et Le Visage de nos colères (Flammarion).