Pour le chercheur Vincent Tiberj, la victoire de Donald Trump sanctionne "le bilan de l'administration Biden"
«Il faut se faire à l’idée que le vote Trump n’est pas un vote de court terme. » Auteur de La Droitisation, mythes et réalités, Vincent Tiberj est aussi le rédacteur d’une thèse où il compare les présidentielles françaises et américaines. En ce sens, la victoire de l’ancien magnat de l’immobilier ne l’a « pas vraiment surpris » : « Les sondages avaient vu juste sur les swings states et la dynamique dans ces états. Il y avait également pas mal de modèles économétriques qui prédisaient une victoire de Trump. Aujourd’hui, il ne suffit pas de créer de l’emploi, il faut aussi créer une qualité de vie pour les électeurs. »
Or, à ce niveau-là, le compte n’y est pas. « Ce n’est pas Kamala Harris qui est sanctionnée, c’est le bilan de l’administration Biden », estime le chercheur français. La question de l’inflation et du pouvoir d’achat a joué un rôle central. Malgré de bons chiffres sur l’emploi, « les États-Unis sont beaucoup plus inégalitaires aujourd’hui qu’à la fin du mandat précédent de Donald Trump, explique Vincent Tiberj. D’après les exit polls (sondage à la sortie des urnes), ceux qui plaçaient l’économie en enjeu numéro 1 ont voté à 80 % pour Trump. »
« Polarisation »Cette prédominance se retrouve notamment dans le phénomène des « splits tickets », où les électeurs ont voté, à la fois en faveur de Trump et de la défense de l’avortement, comme en Floride. Elle explique également, « la nouveauté du vote 2024, le décrochage de l’électorat latino masculin » chez les démocrates, alors que leurs homologues latinas ont voté Harris à 60 %. « En 2020, il y avait déjà un décrochage des hommes afro-américains par rapport au vote des femmes, même si cet électorat reste largement démocrate », ajoute le politiste.
Pour Vincent Tiberj, cette élection 2024 consacre une approche « intersectionnelle » des résultats. « On ne peut comprendre le facteur genre que si on le cumule avec d’autres variables », avance-t-il. « Le gender gap » et un éventuel vote caché des femmes en faveur de Kamala Harris, lié aux droits reproductifs, n’a pas fonctionné davantage qu’avec Joe Biden, en 2020. « Il reste équivalent », mesure le chercheur : autour de 55 % des femmes ont voté Harris, comme Biden en 2020.
« Zemmour ferait plus de voix qu’en France »Au contraire, Donald Trump a tiré profit de « l’effet de polarisation ». « La société américaine est très différente de la société française. Les LGBT représentent 8 % de l’électorat et votent à 80 % démocrates. Les sans-religion progressent, à 17 %, ils sont très alignés sur le parti démocrate aussi, mais ils sont moins nombreux qu’en France, par exemple. »
"En face, Trump fait des scores en hausse chez les conservateurs, blancs et protestants. Mais ce qui change la donne, c’est que ces derniers sont beaucoup plus nombreux qu’en France et en Europe".
Or, « les enjeux liés à la famille et la sexualité travaillent durement cet électorat. Le clivage est beaucoup plus fort qu’en France. Si je grossis le trait, Éric Zemmour y ferait sans doute plus de voix qu’en France ». « La droitisation de la société médiatique aux USA est encore plus importante et le système plus explosé qu’en France, conclut Vincent Tiberj. Cela explique la culture du backlash conservateur (retour de bâton, NDLR). On est presque dans une guerre de religion. Le religieux recule moins là-bas qu’ici. Sur ce point, la société américaine s’éloigne un peu des sociétés occidentales. »
Sébastien Dubois