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Ноябрь
2024

Michel Barnier joue le Sénat contre l'Assemblée nationale

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L’Assemblée nationale incontrôlable, l’exécutif se tourne vers le Sénat, maison que le nouveau Premier ministre, Michel Barnier, connaît bien. Le cœur du pouvoir législatif semble ainsi être passé du palais Bourbon au palais du Luxembourg.

Le Sénat n’est pas la plus connue des institutions de la République ou alors à travers sa caricature : « Le Sénat ? Une assemblée d’hommes à idées fixes, heureusement corrigée par une abondante mortalité », raillait Édouard Herriot.« La Constitution de 1958, rappelle plus sérieusement Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris 2 Panthéon-Assas, a fait le choix d’un bicaméralisme presque égalitaire car, d’une part, le Sénat ne peut pas renverser le gouvernement au contraire de l’Assemblée nationale et, d’autre part, cette même Assemblée nationale peut en plus avoir le dernier mot si le gouvernement le lui donne. »

Le Sénat paie là le mode de suffrage indirect qui désigne pour six ans ses membres. « Pourquoi, feint de s’interroger le constitutionnaliste, le Sénat n’est que la deuxième chambre et pas la première?? La légitimité est un critère de cette relative relégation voulue. Les députés, élus au suffrage universel direct, ont une légitimité plus grande que celle des sénateurs élus au suffrage universel indirect. Dans les années 1990, les Philippines ont eu la mauvaise idée de faire prévaloir la chambre de représentants élus au scrutin majoritaire plutôt que celle de représentants élus au scrutin proportionnel intégral qui confère une plus grande légitimité ; ce qui a aussitôt posé de gros problèmes politiques… »

Sous le Directoire

« Le scrutin sénatorial n’est pas parfait, insiste-t-il, parce qu’il ne peut pas l’être. Les sénateurs n’en sont pas moins des élus nationaux, les représentants du peuple territorialisé. Le peuple souverain est à la fois représenté par les sénateurs et les députés. Les seconds participent, par ailleurs, avec les élus locaux, à l’élection des premiers. »

Le choix du suffrage universel indirect pour l’élection des sénateurs dit la place, mais aussi le rôle que joue le Sénat. 

« Plus politisés, plus conscients des enjeux, les élus locaux et les députés sont censés désigner des représentants plus “responsables” et leurs votes aboutir à une chambre modératrice. Il y a des précédents, notamment sous le Directoire avec le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens. Les premiers, pour reprendre une formule de François-Antoine de Boissy d’Anglas, étaient l’imagination de la République et les seconds, sa raison. »

La mandature inaugurée par la dissolution de l’Assemblée nationale après l’échec du camp présidentiel aux élections européennes semble, cependant, donner plus d‘importance au Sénat, tout au moins en apparence.

 « Il y a, note Benjamin Morel, beaucoup de sénateurs au gouvernement et Michel Barnier, lui-même, a été sénateur. Il y a sans doute quelque chose de rassurant pour le Premier ministre de se rapprocher du Sénat, plus représentatif du vieux monde politique. Est-ce un bon calcul?? Je n’en suis pas convaincu. »

Et d’expliquer : « Si le mode de désignation des sénateurs confère moins de légitimité que celui des députés, il a pour avantage de ne pas conditionner leur réélection à une parfaite discipline aux ordres de l’exécutif. D’où une capacité d’indépendance, mais dans l’opposition, le Sénat dispose aussi de moyens de fragiliser la majorité à l’Assemblée. On l’a vu avec les débats parlementaires autour de la dernière loi dite immigration. Les sénateurs ont adopté des amendements qui se voulaient autant ou presque de bombes pour faire voler en éclats d’éventuelles majorités à l’Assemblée. Les divisions de la majorité au sein de celle-ci renforcent le poids du Sénat, lui permettant de conjurer le risque d’un dernier mot. »

Poil à gratter

« Face à une majorité introuvable, reprend le constitutionnaliste, Michel Barnier sait au contraire pouvoir compter sur le palais du Luxembourg. Son soutien est acquis à la différence de l’Assemblée nationale où le Rassemblement national, la Droite républicaine, les macronistes d’Ensemble pour la République et le Modem ont son sort entre les mains. »

De fait, si, jusque-là, le Sénat a été le « poil à gratter » de la Macronie, il se montre, pour l’heure, bienveillant vis-à-vis de Michel Barnier qui, d’ailleurs, le lui rend bien. 

« Le Premier ministre mise sur le débat parlementaire au Sénat. Mais le texte adopté par la chambre haute risque de déplaire à la chambre basse, ne fût-ce que parce que les députés ne manqueront pas d’y voir un désaveu. Il joue l’opinion contre les députés, mais l’opinion ne vote pas les censures. Son intérêt serait plutôt de donner des gages aux députés plus qu’au seul Sénat déjà acquis et qui ne peut ni le renverser ni avoir le dernier mot. »Bref, Michel Barnier, comme ses prédécesseurs à Matignon, ne tardera pas retrouver les vieux réflexes de l’article 49, alinéa 3…

Jérôme Pilleyre

Lire. Benjamin Morel, Le Sénat et sa légitimité : l’institution interprète de son rôle constitutionnel, Dalloz, 2018, 65 euros.