Nous avons demandé leur avis sur la question à Sam Manuard, Guillaume Verdier et Vincent Lauriot-Prévost, ces architectes impliqués dans le développement de ces carènes d'IMOCA toujours plus performantes. Retour sur plus de 30 ans d'évolution !
[caption id="attachment_189872" align="aligncenter" width="500"] Du plan Harlé 36 15 Met, que VDH hissera à la 3e place du premier Vendée Globe, aux engins volants d’aujourd’hui, c’est une épopée technique qui s’étend sur 35 ans en 10 tours du monde. Crédit : Frederic Clement / Alea.
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D’Ecureuil d’Aquitaine II au
Vulnérable de Thomas Ruyant, c’est un peu la grande galerie de l’évolution… Lors de la première édition, les IMOCA affichaient des formes équilibrées, relativement peu tendues, dans la continuité des « cigares » de Gilles Vaton ou de Philippe Harlé. Quatre ans plus tard, le
Bagages Superior d’Alain Gautier, un plan Finot, s’est élargi pour gagner de la puissance, le centre de gravité
reste bas tandis que le pont est complètement plat.
Elargir les carènes au maximum
L’introduction, sur le Vendée Globe 1998, de la quille basculante, des ballasts et des dérives, va permettre aux architectes d’élargir encore un peu plus les carènes, toujours dans cette optique de puissance. Les départs au surf commençaient alors autour des 13 nœuds et les IMOCA « planches à voile » étaient clairement typés pour la performance au portant. C’était le cas de
Geodis, signé du cabinet Finot-Conq et barré par Christophe Auguin, puis du
PRB (3) de Michel Desjoyeaux qui l’emporte en 2000. Rebelote en 2004 mais avec cette fois-ci Vincent Riou aux commandes.
[caption id="attachment_189871" align="aligncenter" width="500"] Sur l'IMOCA de Christophe Auguin, la puissance de la carène était donnée par la largeur au maitre bau. Crédit : Daniel Allisy / Alea[/caption]
En 2006, l’architecte néo-zélandais Bruce Farr va améliorer le concept, bientôt suivi sur cette voie par le cabinet VPLP/Verdier, en lançant des unités moins lourdes, certes toujours aussi larges au maître bau mais avec des coques dites « boîtes à chaussures », caractérisées par des bouchains bas et des bordés verticaux, à l’image du
Safran de Marc Guillemot, de
Foncia (deuxième victoire de Desjoyeaux en 2008) ou du
MACIF de François Gabart, vainqueur de l’édition 2012.
La révolution des IMOCA à foils
Mais l’apparition des foils ne va tarder à chambouler l’ordre établi.
Banque Populaire VIII est le premier IMOCA foiler à remporter le Vendée Globe en 2016. Il s’agit alors avant tout de gagner de la puissance en diminuant la surface mouillée grâce à des appendices latéraux qui soulagent le bateau. La philosophie de carène est grosso modo la même pour rester compétitif en mode archimédien.
[caption id="attachment_189875" align="aligncenter" width="500"] Banque Populaire VIII, mis à l'eau en 2015 est le premier IMOCA à foils à remporter le Vendée Globe en 2017. Crédit : Vendée Globe.[/caption]
C’est véritablement en vue de l’édition 2020 que tout s’accélère ! Les IMOCA ont été repensés : les foils ont pris de la surface, les bateaux de l’altitude et les marins doivent désormais s’abriter de la mer et des chocs. La puissance ne se joue plus via la largeur de carène mais bien grâce au travail des foils. C’est l’éclosion d’une première série d’IMOCA construits autour des appendices comme
Charal, LinkedOut ou encore
Hugo Boss.
L'arrivée des étraves arrondies
Depuis, sur les IMOCA de dernière génération (ceux construits depuis 2022), la largeur au maître bau diminue (de 5,70 m en moyenne à 5 m aujourd’hui), les francs-bords sont généreux, les ponts dégagés, autant pour l’aérodynamisme que pour limiter la stagnation des paquets de mer.
[caption id="attachment_189876" align="aligncenter" width="500"] 1er plan Manuard à étrave de scow engagé sur le dernier Vendée Globe, l'Occitane En Provence est désormais aux mains de Louis Burton (Bureau Vallée). Crédit : Pierre Bouras.[/caption]
Les étraves arrondies, dont
L’Occitane de Sam Manuard était le précurseur, sont de plus en plus spatulées pour mieux passer la mer tandis que la plage d’utilisation des foils augmente. Enfin, on pourrait croire que le déplacement est à la baisse mais ce n’est plus le cas puisque le rajout des foils et le renforcement des structures (les efforts sont énormes) impliquent un supplément de poids non négligeable…
Quid du potentiel d'évolution dans les années à venir ?
Le point de vue de Sam Manuard sur ce Vendée Globe 2024
Pour l’architecte de Charal 2, Initiatives-Cœur 4 et Bureau Vallée 3, les derniers IMOCA mis à l’eau sont le fruit d’une évolution maîtrisée de la technologie et d’un professionnalisme grandissant des équipes techniques des différents teams. Il constate une grosse augmentation des performances depuis 2022 et un accroissement sensible du niveau général de la flotte IMOCA.
[caption id="attachment_189863" align="aligncenter" width="500"] Etrave spatulée, lignes défendues, foils plus profonds : Charal illustre bien l'avènement d'une nouvelle ère architecturale. Crédit : Eloi Stichelbaut.[/caption]
La preuve, les écarts entre les concurrents sont de plus en plus faibles et la moindre erreur se paie cash. Sur ce Vendée Globe, le niveau de maturité des 60 pieds à foils saute aux yeux. Ils ont bénéficié des transats de qualification pour se renforcer structurellement et améliorer leurs petits défauts de jeunesse. On doit donc s’attendre à une première partie de course de haute intensité, du moins jusqu’au cap de Bonne Espérance. Les cadors du circuit vont sans doute tout donner sans trop se soucier des dégâts matériels possibles. La préservation du bateau, ça sera pour plus tard, pour la longue chevauchée dans les mers australes…