Inondations en Haute-Loire : plusieurs fois sinistrés, ils songent sérieusement à quitter leurs maisons
En parcourant les pièces du rez-de-chaussée de sa maison, le constat est alarmant. « Les murs s’effritent, les cloisons ont gonflé, les portes ne s’ouvrent plus, tout est à refaire », se désole Jean Sauron. En plus de l’eau, il y a la boue, avec cette odeur caractéristique, qui est rentrée partout et a tout imprégné. À 64 ans, ce retraité de l’équipement vit sa deuxième inondation dans sa maison située rue des Moulins, à Brives-Charensac.
« On a acheté car le barrage était prévu »Dans la cuisine, l’eau est montée autour de 1,40 m, soit 50 cm au-dessus de l’inondation de 2008. Pourtant, Jean avait tout envisagé. Sur la porte d’entrée et celle du garage, il a aménagé un système de batardeaux, avec des panneaux étanches pour se préserver d’une montée de la Loire. « Tant qu’on avait 60 cm d’eau dehors, dans la rue, je n’avais pas une goutte dedans, jusqu’à 10 h 30… » Simple et efficace, le système a été totalement submergé par la hauteur de l’eau atteinte à la mi-journée, le 17 octobre dernier.
Cette maison, lui et son épouse y sont très attachés. Ils y ont fait leur vie.
Cela fait 37 ans que l’on vit ici, on a élevé nos enfants dans cette maison. Alors tout perdre là, comme ça, encore une fois, c’est dur… Les photos que l’on ne retrouvera pas, les souvenirs, les jouets des petits enfants…
Au total, il a fallu deux bennes de déchets pour tout évacuer, entre mobilier et affaires personnelles. « Nous avons été très bien alertés et nous avons pu sauver des choses, mais on ne peut pas tout emmener à 4 heures du matin à l’étage, c’est impossible. » Et quand on lui demande pourquoi il a acheté une maison en zone inondable (l’eau était montée au premier étage en 1980), Jean s’explique sans détour. « Quand on a acheté, ils devaient construire le barrage de Serre de la Fare qui nous aurait protégés ! » Mais l’ouvrage ne sera pas construit. À la place, le Plan Loire Grandeur Nature a été mis en œuvre, avec des aménagements très importants réalisés entre 1996 et 1999 sur Brives-Charensac.
Attachés à leur maison malgré toutEn 1996 déjà, Jean Sauron avait évoqué l’idée de partir de sa maison, voyant que des entreprises voisines étaient démolies et déménagées dans des zones loin de Brives et des caprices du fleuve. « On nous avait répondu que nous serions bien prévenus la prochaine fois… »Et la prochaine fois vient de se produire. Alors, la réflexion fait son chemin. Depuis toutes ces années, et après deux inondations, l’idée de partir ressurgit. « On a entendu qu’il y aurait peut-être des fonds débloqués pour des gens dans notre situation, avec des maisons en zone inondable. Si demain on me proposait un bon prix, je suis prêt à l’entendre ». Partir oui, mais pas à n’importe quel prix donc.Car Jean et sa femme, Jeannine (native de Brives), sont attachés à leur maison. « On a encore le crédit de la toiture que l’on vient de refaire. On n’a pas envie de partir. Si on était sûr qu’on ne serait pas inondé, on resterait. Ça nous ferait trop mal au cœur de partir… »
« Ça nous ferait trop mal au cœur de partir… »Relogés provisoirement dans un gîte, ils vont devoir composer avec plusieurs mois de travaux, jusqu’en février. Des entreprises spécialisées vont se succéder pour nettoyer et assécher la maison au maximum avant le chantier.
« L’expert nous dit que la maison est réparable mais avec la côte de vétusté qui sera appliquée, nous ne savons pas comment nous allons être indemnisés, on va perdre beaucoup d’argent… »
À 300 mètres, d’autres riverains sinistrés sont un peu dans la même situation. Lorsque Marcel et Marie-Jeanne Tempère ont acheté leur maison en 1996, les travaux étaient en cours sur le lit de la Loire, juste devant chez eux. « On pensait que ça ne risquait rien avec tous ces aménagements ». En 2008, l’eau est montée à 90 cm dans le salon. Cette fois à 1,40 m. « Le risque zéro, cela n’existe pas, c’est sûr. Mais quand on regarde devant, quand je vois tous ces arbres partout de chaque côté, ils n’ont rien à faire là ! L’eau ne s’évacue pas. En face, il y a un grand pré : il n’y a qu’à le creuser », analyse Marcel, 72 ans. Comme son voisin plus haut, il avait pris la précaution de réaliser un batardeau devant le salon. Mais le niveau était bien trop haut. La baie-vitrée a explosé sous la pression de l’eau. Alors, eux aussi pourraient se poser la question de rester. « Si la compensation financière était à la hauteur, on partirait. Mais on n’a pas envie au fond, car nous sommes très bien ici », rappelle Marcel. Avec son épouse et après le bel élan de solidarité vécu les jours suivants la crue, ils essayent de relativiser. « Il faut se dire qu’il y a plus grave que ça… Mais quand même, quand j’ai amené tous les meubles à la déchetterie, ça fait mal au cœur, avoue Marcel, un peu ému. Cela a été dur… »
Lionel Ciochetto
Le fils de Jean Sauron a créé une cagnotte en ligne pour les personnes qui souhaitent leur venir en aide : https://www.onparticipe.fr/c/DQSjhbWY
Délais variables et situations complexesSi la solidarité a bien fonctionné, certains sinistrés ont eu moins de chance. À Brives, un locataire de la rue des Moulins a tout perdu.« J’étais très malade le jeudi, et je suis parti juste avec un sac et mon matériel d’artisan dans mon véhicule », explique le jeune homme. Il a tout, absolument tout, perdu dans cette inondation, avec 1,35 m d’eau et de boue à l’intérieur. Désormais, c’est une bataille d’experts. « Mon assurance va m’envoyer un expert le 7 novembre. Pour eux, c’est un dégât des eaux », explique-t-il, dépité.Le propriétaire de la maison est venu le voir, mais impossible d’évacuer tout ce qui est détruit tant que l’expert n’est pas passé. Alors toutes ses affaires pourrissent dans la boue. En attendant, il a trouvé une solution d’hébergement chez une tante à une quarantaine de kilomètres. Une situation très délicate pour lui et difficile à vivre.