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Октябрь
2024

"Le travail ne paie plus, il faut un nouveau contrat social", plaide Antoine Foucher, un proche de Laurent Berger

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Quand il était le directeur de cabinet de Muriel Pénicaud, au ministère du Travail, ou l’émissaire du Medef, « le sherpa du patronat » peu avant, Antoine Foucher s’est souvent retrouvé face à Laurent Berger dans les négociations.

Que ce spécialiste des questions sociales signe le premier ouvrage de la collection « La société du compromis », fraîchement créée par l’ancien leader de la CFDT aux éditions de l’Aube, n’est évidemment pas le fruit du hasard.

« C’est le symbole que le compromis est possible. Ce qui nous relie avec Laurent, c’est l’intérêt général. Pour l’un et l’autre, je pense pouvoir dire qu’il prime sur tout le reste », confie-t-il.

Son livre, Sortir du travail qui ne paie plus, au-delà du diagnostic, revêt un vrai projet politique. Désormais loin du macronisme. « De mon passage au ministère du Travail, j’ai retenu que le combat des idées était fondamental. Quand vous le gagnez, ceux qui veulent remporter les élections sont obligés de reprendre vos idées. C’est la mère des batailles. »

80 ans pour vivre deux fois mieux aujourd’hui là où il fallait 15 ans dans les années 1950 à 1970. Pourquoi l’ascenseur du travail est-il en panne ? Le travail ne paie plus car il ne permet plus aux gens de changer de niveau de vie. La promesse de vivre de mieux en mieux grâce à son travail est rompue depuis une quinzaine d’années déjà. On peut donc formuler l’hypothèse d’une nouvelle époque. J’y vois trois raisons.

La première, c’est la désindustrialisation de la France. Car c’est dans l’industrie que se font les gains de productivité et donc la hausse du pouvoir d’achat. Il y a encore quarante ans, ce dynamisme rayonnait sur tous les territoires au profit de familles entières.

La deuxième raison provient de notre déclassement en termes de compétences. Depuis quinze à vingt ans, nous sommes dépassés par à peu près 25 pays dans le monde. Ce qui est vrai pour la formation des élèves l’est aussi pour les travailleurs. Dans l’économie mondialisée, la France est plus ou moins reléguée à la distribution et à la consommation de ce qui est produit et inventé ailleurs.

Enfin, depuis une quarantaine d’années, on fait porter uniquement aux travailleurs le poids de nos dépenses sociales supplémentaires, soit 320 milliards d’euros de plus par an. En 1960, quand on gagnait 100 euros, on en gardait 69, dans les années 1990, 60 et maintenant, 54.

Une nation qui privilégie la naissance et la rente plutôt que le travail, comme vous l’observez, se met-elle en danger ? Prenons les chiffres officiels, là encore : quand on travaille, on garde donc 54 euros sur 100, quand on investit, c’est 70 euros en dividende, quand on est retraité, 86 euros en pension et quand on hérite, on conserve 94 euros.

Dit autrement, le travail, en France, est taxé huit fois plus que l’héritage, trois fois plus que les retraites et une fois et demieplus que la rente. C’est un choix politique?; il n’est pas tenable. Sinon, on prendra le chemin d’un affrontement comme l’histoire de France en a connu à chaque siècle.

Notre démocratie est en jeu, sa promesse passe par le travail. Or, 60 % de ce que possèdent les gens aujourd’hui provient du hasard de la naissance et non plus du mérite individuel. Les efforts collectifs peuvent, dès lors, être rejetés. On l’a vu avec les Gilets jaunes puis lors de la fronde agricole, mais ce peut être aussi le refus de payer des impôts, de régler ses cotisations…

Un autre facteur vient se greffer : pour la première fois, les retraités ont un niveau de vie moyen supérieur aux actifs. Ce peut être source de tensions à venir ? La taxation toujours plus importante du travail s’explique effectivement principalement par les retraites. Les cotisations pesant sur le travail ont doublé en quarante ans. Ce qui est logique puisqu’à l’époque, ils étaient trois travailleurs pour payer la pension d’un retraité, et que nous ne sommes même plus deux pour un aujourd’hui. Cela crée une situation de tension intergénérationnelle, qui contraste avec l’entraide importante à l’intérieur de la plupart des familles.

Il n’empêche, la question de la répartition de l’effort pour financer notre modèle social se pose, elle est devant nous. Et je pense qu’on n’évitera pas un rééquilibrage au profit des travailleurs et au détriment des retraités les plus aisés dans les années qui viennent. Cette année, la France a dépensé 20 milliards d’euros de plus pour les retraités que l’année dernière. Avec 20 milliards d’euros, on aurait pu, par exemple, augmenter le salaire de tous les enseignants de France de 30 %.

La masse des pensions, c’est 400 milliards d’euros, 25 % des dépenses publiques, la moitié des dépenses sociales. C’est un choix politique lié au poids électoral : les retraités constituent un tiers des inscrits et 50 % des votants.

Bonne nouvelle : le travail est ce qui nous divise le moins, dites-vous. Vous plaidez pour un nouveau contrat social. Quelle en serait l’architecture ? Il repose sur trois piliers : un travail qui permet de changer de niveau de vie, de concilier vie personnelle et vie professionnelle et dans lequel on s’épanouit, qui rend fier. Pour redonner du pouvoir d’achat, la mesure est de réduire l’écart entre le salaire brut et le salaire net, qui serait financé par un effort des rentiers, des retraités les plus aisés et des héritiers les plus chanceux.

La création d’un compte épargne-temps universel, couplée à une retraite à points, donnerait à chacun la liberté de faire varier l’importance de son travail selon les différentes époques de sa vie. On va devoir travailler un peu plus pendant la vie, mais on peut le faire de façon beaucoup plus libre et individualisée. Par exemple, beaucoup travailler quand on est jeune et sans enfant. Et lever le pied au moment où l’on fonde une famille. Ou bien, travailler toute sa vie à temps partiel mais plus longtemps, jusqu’à 70 ans par exemple. Ou travailler moins longtemps et plus intensément.

Ça, c’est vraiment à portée de mains et ça ne coûterait pas plus cher. En revanche, cela suppose des règles communes : un seul régime de retraite et pas 42, en particulier. Il n’y aura jamais une adéquation entre la somme des emplois dont la société a besoin et la somme de nos désirs individuels. Mais notre objectif peut être d’avoir un job qui nous plaît à un moment ou un autre de notre vie. Si ce n’est pas possible à 20 ans, alors à 30 ou à 40 ans. On créerait, là encore, un nouveau droit : le droit à la reconversion.

Parvenir à ce « big-bang populaire », dont vous parlez, impose des compromis. Lesquels ? Dans la rémunération du travail, pour obtenir une répartition plus équitable, on doit trouver des compromis entre d’une part les travailleurs, d’autre part les rentiers et les retraités. Pour ce qui est de choisir son travail et qu’il laisse la place à une vie privée, le compromis se trouve en chacun de nous : il doit se nouer entre le travailleur, le consommateur et le citoyen.

Prenons l’exemple du service de propreté. On l’oblige à passer très tôt le matin ou très tard le soir pour ne pas déranger. Ce qui prive d’une vie privée normale les salariés de ce secteur. Le compromis, c’est d’accepter que le ménage soit fait pendant les heures de bureau.

« Sortir du travail qui ne paie plus », par Antoine Foucher. Éditions de l’Aube, 144 p., 17 €.

Nathalie Van Praagh