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Le Doliprane donne la MIGRAINE aux obsédés de l’État stratège

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Douleurs et fièvre dans notre douce France encore toute baignée de l’éclat universel de sa flamme olympique : notre fleuron pharmaceutique national Sanofi envisage de vendre le Doliprane à des Américains, via la cession de 50 % de sa filiale grand public Opella, productrice du célèbre antidouleur à base de paracétamol. L’horreur absolue est consommée : le médicament préféré des Français, symbole du savoir-faire industriel et de la souveraineté sanitaire du pays, va être sacrifié sur l’autel des profits !

Des réactions politiques unanimes mais déplacées

Les réactions hostiles, dans une unanimité touchante de tout l’éventail politique et syndical, ne se sont pas fait attendre. Pour Jordan Bardella (RN), « la vente à la découpe de la France se poursuit », tandis que Fabien Roussel (NFP-PC) fustige « encore un symbole de notre perte de souveraineté ». Les députés du groupe central (d’où est issu le gouvernement Barnier) ne sont pas en reste, qui déplorent une opération allant à l’encontre du « rétablissement de la souveraineté française en matière de santé ». Quant aux députés LFI, ils réclament la nationalisation d’Opella « pour poser la première pierre d’un pôle public du médicament. »

Le gouvernement français lui-même, gêné aux entournures par les promesses antérieures d’Emmanuel Macron sur la sécurité des approvisionnements en médicaments en général et en antidouleurs à base de paracétamol en particulier, s’est dit prêt à entrer au capital d’Opella si le fonds américain candidat au rachat CD & R ne donnait pas des garanties satisfaisantes sur le maintien de l’emploi, la pérennité des sites industriels concernés et la continuité du service.

Voilà qui est fort de café. On sort tout juste d’une séquence budgétaire qui n’a pas masqué combien les marges de manœuvre de nos finances publiques s’étaient évanouies dans des niveaux de déficit et de dette alarmants, mais on pourrait s’endetter encore un peu plus pour investir dans la fabrication du Doliprane ? Et ce faisant, devenir juge et partie en entrant en concurrence avec d’autres acteurs de ce marché comme UPSA par exemple ?

Ridicule, bien sûr, et typique des gesticulations aussi incohérentes que surjouées qui accompagnent chaque évocation du mot « souveraineté. » D’autant qu’à la suite d’un décret de mars 2021, les industriels français du médicament sont déjà tenus de faire des stocks plus ou moins importants en fonction de l’intérêt thérapeutique des produits, afin de parer aux possibles pénuries.

Car bien sûr, tout le monde a en tête les pénuries de médicaments, notamment de Doliprane pédiatrique, qui se sont développées en France pendant l’hiver 2022-2023. À l’époque, la fin de la période Covid nous a aussi fait négliger les gestes barrières, ce qui a redonné de l’ampleur conjoncturelle est maintenant derrière nous.

La question essentielle des prix des médicaments

Il existe cependant des pénuries de médicaments beaucoup plus structurelles, liées au contrôle des prix exercé par l’État français pour faire pression à la baisse sur ses dépenses de santé. Il s’avère en effet qu’en moyenne, le prix des médicaments est beaucoup plus bas en France que dans le reste de l’Europe.

Une problématique qui n’a pas échappé à la patronne du laboratoire français UPSA, fabricant de paracétamol sous les marques Efferalgan et Dafalgan. Dès 2025, le principe actif de ces comprimés sera fabriqué en France, à Agen, dans des conditions écologiques dernier cri. Mais, a-t-elle souligné en mars 2024 lors d’une conférence de presse, pour ne pas céder « aux sirènes de la délocalisation », il faudrait mieux valoriser le « fabriqué en France » c’est-à-dire « prendre en compte (le prix) de la fabrication locale ».

Autrement dit : on ne peut pas nous demander de faire du local avec des prix fixés plus bas qu’ailleurs et des coûts de production plus importants qu’ailleurs du fait de charges sociales élevées et de contraintes écologiques et réglementaires complexes. On en déduit assez facilement que la viabilité de notre souveraineté nationale du médicament comme en rêvent tous nos politiciens planificateurs/nationalisateurs ne pourra exister qu’à travers le renchérissement des prix pour le patient français – ou par la dégradation du produit et de sa disponibilité, voire par tout cela à la fois…

La « souveraineté » vraiment ?

En promoteur inlassable de la « startup nation », Emmanuel Macron ne manque jamais une occasion de se féliciter de l’attractivité de la France auprès des investisseurs étrangers. Il en a même fait un grand show annuel rassemblé sous le mot d’ordre « Make it iconic, choose France ». Mais finalement, de quels investisseurs parle-t-il ? Dès qu’un dossier de reprise ou de rapprochement mettant en scène une entreprise française et une entreprise étrangère se présente, les imprécations habituelles des obsédés du souverainisme industriel reprennent. Il en va de notre sécurité sanitaire, alimentaire, culturelle, et que sais-je encore.

On se rappellera par exemple le projet de fusion entre notre Carrefour national et le groupe alimentaire canadien Couche-Tard (2021). Salué positivement par les marchés, il fut néanmoins abandonné par les protagonistes peu de jours après le début des discussions, en raison de l’opposition immédiate du gouvernement français. À peine informé, l’ex-ministre de l’Économie Bruno Le Maire avait décidé de rejeter toute entente de cette nature au nom de notre souveraineté alimentaire. C’était grotesque compte tenu des caractéristiques des acteurs, mais c’était ce Bruno Le Maire dont on se souviendra longtemps qu’il fut instrumentalisé lors dans la pitoyable présentation de nos comptes publics.

Les enjeux réels du Doliprane

Concernant spécifiquement le Doliprane, de quoi parle-t-on exactement ? Le groupe pharmaceutique français Sanofi, 43 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans le monde en 2023, veut se séparer de 50 % de sa filiale grand public Opella, laquelle, forte de 11 000 salariés répartis dans 13 sites dans le monde, est spécialisée dans les vitamines, les minéraux, les compléments alimentaires et les médicaments sans ordonnance (dont justement le Doliprane) pour un chiffre d’affaires total de 5,2 milliards d’euros en 2023. En France, Opella représente 1 600 salariés actifs sur les sites de Lisieux et Compiègne.

Un pré-accord de cession a été trouvé sur la base d’un prix de 15,5 milliards d’euros pour l’ensemble d’Opella donc plus de 7,5 milliards pour les 50 % concernés.

Le Doliprane étant essentiellement vendu et produit en France et ses usines de production étant des plus modernes grâce aux investissements réalisés par Sanofi, il est peu probable que le nouvel investisseur s’empresse de tout délocaliser après avoir payé une telle somme pour acquérir cette marque. Mais le ferait-il que la France ne serait pas dépourvue pour autant de paracétamol, chez UPSA par exemple. De plus, rien n’empêche quiconque de lancer une ligne de comprimés de paracétamol s’il juge qu’il a une place sur ce marché. Il s’agit d’une production générique simple, sans brevet, qui consiste à mélanger un principe actif fabriqué par d’autres avec des farines et des sucres afin d’obtenir une dragée facilement assimilable. Aucune technique spécifique là-dedans, pas de recherche médicale de pointe, ni de secret de fabrication à garder jalousement.

À vrai dire, à travers cette cession qui recentre son activité sur la recherche et les médicaments innovants du futur, tout en lui fournissant d’appréciables capitaux pour la financer, Sanofi n’agit pas autrement que nombre de ses concurrents du marché mondial : l’an dernier, par exemple, le suisse Novartis s’est séparé de son génériqueur Sandoz tandis que le britannique GlaxoSmithKline procédait de même avec son pôle de santé grand public Haleon (Advil, Voltaren). Un mouvement en rapport avec les immenses défis de la santé au XXIe siècle et les non moins immenses progrès de la recherche médicale – immunothérapie, ARN messager, etc.

La mise sur le marché de nouveaux produits novateurs adaptés aux pathologies des populations occidentales vieillissantes est une entreprise de longue haleine qui exige beaucoup de temps et de capitaux pour développer des molécules prometteuses et déposer de nouveaux brevets à mesure que les plus anciens s’éteignent. Gardons à l’esprit qu’il faut en moyenne 11,5 ans pour la mise au point d’un médicament et que seuls 7 % des médicaments entrant dans un essai clinique de phase 1 accèderont au marché (chiffres du LEEM, syndicat des entreprises du médicament en France).

Conclusion

Finalement, la question qui se pose est la suivante : comment la santé (l’alimentation) des Français sera-t-elle le mieux garantie et prise en charge ? Plus qu’une affaire formelle de nationalité, c’est une question de qualité, de disponibilité, d’acheminement et de distribution des produits, le tout au meilleur prix possible pour les patients (consommateurs). En tous ces domaines, rien ne vaut la liberté d’entreprendre, la prise de risque, l’innovation, la concurrence non faussée et la recherche du profit.

Oui, du profit. Rappelons-nous ce qu’en disait l’économiste autrichien Ludwig von Mises : « L’une des fonctions principales du profit consiste à placer le contrôle du capital entre les mains de ceux qui savent comment l’employer au mieux pour la satisfaction du public. » Et il précisait même : « Les pertes et profits sont les instruments par lesquels les consommateurs transmettent la direction des activités de production entre les mains de ceux qui sont le plus à même de les satisfaire. »

Transposons ces propos à la cession d’Opella. N’étant pas un groupe de recherche pharmaceutique, l’acquéreur ne saurait s’intéresser à la mise au point de nouveaux médicaments. En revanche, en tant que fonds d’investissement, il a une expérience dans la reprise d’entreprises de distribution et/ou d’industries expérimentées et il pourra servir de tremplin à Opella pour dynamiser sa croissance et élargir son marché américain. Ce dernier représente actuellement 24 % de son chiffre d’affaires mais marque le pas depuis quelque temps.

Du côté du groupe Sanofi, l’équation est la suivante. En vendant Opella, il récupère la mise de son investissement dans cette branche et s’exonère d’avoir à consacrer des ressources à de la pure gestion de marques grand public dont les marges s’amenuisent. En contrepartie, il se donne les moyens de se consacrer à ce qu’il sait faire le mieux et qui lui a valu de devenir le groupe qu’il est aujourd’hui, à savoir la recherche et le développement sur longue durée de molécules novatrices qui seront utiles à la santé des humains d’aujourd’hui et de demain.

Ce qu’il faut préserver, ce qu’il faut encourager, ce n’est pas la production somme toute banale du Doliprane, mais la capacité des entreprises françaises à se placer aux avant-postes de la recherche technologique et de l’innovation mondiale.