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La chronique du temps présent de Mazarine M. Pingeot : "Identité numérique"

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La question de l’identité hante l’espace public : faut-il ou non revendiquer une identité, celle par exemple de l’appartenance à une minorité, ou au contraire dissoudre les identités pour contrer le retour à l’identitarisme qui oppose les uns aux autres sur des critères soit communautaires, soit carrément « raciaux ». Et il ne s’agit pas seulement d’une antienne politique en période de crise, car l’identité est aussi un marché : celui de ce que la philosophe Vanessa Nurock appelle la « cybergénétique récréative ». Identité numérique

Le mariage de l’informatique et de la génétique a accouché de nouvelles entreprises qui vendent directement au consommateur sans passer par la médiation scientifique, des tests génétiques à bas coût.

N’importe qui peut commander un test pour avoir des informations directement traitées par ces compagnies (qui au passage récupèrent les data) sur son identité : provenance géographique, maladies potentielles, généalogie. Comme si les « origines » uniquement traitées sur la base de statistiques et les « gènes » allaient nous en apprendre plus sur nous-mêmes. Voilà revenir en fanfare le « biologique » comme pourvoyeur d’identité. 

Dans les années 80, des chercheurs de l’Université de l’État d’Arizona, en enquêtant sur le diabète auprès de la tribu Havasupai ont découvert grâce aux prélèvements génétiques, l’origine géographique de leurs ancêtres. Deux problèmes se sont alors posés : d’une part, ces scientifiques ont détourné le matériel génétique pour des analyses auxquelles les Havasupai n’avaient pas consenti ; d’autre part, cette conclusion venait contredire l’histoire orale de cette tribu selon laquelle ils étaient originaires du Grand Canyon et en étaient les gardiens. Lisant cette histoire étonnante, je me suis demandé pourquoi une identité narrative, faite de mythe, d’histoires orales, de transmission, d’inscription symboliques dans l’espace et le temps, devait céder le pas à une identité « scientifique » non « vécue » puisqu’elle venait s’opposer frontalement à la version mythique.

Qu’est-ce qui donnait le plus de sens aux membres de cette tribu ? Connaître leur ADN et leur héritage génétique ou se raconter une histoire qui orientait leurs croyances et valeurs ? 

Quand la science est détournée par la cybergénétique récréative pour devenir un commerce, elle produit une nouvelle forme d’ignorance : fausses racines, nouvel imaginaire projeté vers des régions du monde dont « nous venons », mais dont nous ignorons la plupart du temps qu’elles ont changé de nom et de configuration : les nationalités actuelles ne recouvrent en aucun cas les populations anciennes, et les réalités géopolitiques ont eu le temps de se transformer ! Le marché de l’identité a de beaux jours devant lui tant que nous lui offrirons presque gratuitement nos données génétiques pour qu’il nous livre clé en main le mystère de notre identité…Mazarine M. Pingeot

Les chroniques du temps présent s'inscrivent dans la tradition créée par Alexandre Vialatte.