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En Creuse, ces femmes atteintes d'un cancer du sein font bien plus que papoter au Café papote

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« C’est un rituel. Le dimanche soir, je me dis : “Demain matin, on va aller voir les copines de parcours ! » Un rendez-vous que Martine ne raterait pour rien au monde. Ce lundi matin, la porte du 7 rue Joseph Ducouret s’ouvre et se ferme sur l’effervescence des conversations, l’odeur des croissants, du café et les sourires qui jaillissent des canapés. On dirait un rendez-vous entre copines et c’est finalement un peu cela.

Depuis un an, Jacqueline est l’une des premières à arriver au Café papote. « J’appelle ça ma récréation. Ça fait du bien au moral », sourit-elle. Ici, elle trouve le réconfort et l’écoute qui lui manque parfois à l’extérieur. À 61 ans, elle sait qu’elle vivra avec la maladie jusqu’à la fin de sa vie. Son cancer du sein s’est métastasé aux os.

Un café et ça repart

Chimiothérapie, mastectomie, radiothérapie, thérapie ciblée, elle a tout vécu, mais le plus difficile sans doute, c’est d’avoir fait cette traversée bien seule… « J’ai un mari qui est très pessimiste. Pour lui, je n’avais aucune chance, il me voyait déjà morte », confie-t-elle.

« Il fallait que je m’occupe de moi un peu mentalement. »

Ce Café papote, c’était l’endroit où commencer à s’occuper de soi, où parler, où se confier, où se lâcher, décompresser et faire route ensemble.

L’association Rose en Marche a lancé l’idée l’année dernière, à l’occasion d’Octobre rose. « Avant je faisais des permanences tous les jours au local et puis, quand j’ai commencé à travailler à mi-temps, il y a eu moins de présence au local, explique Marie Austin de l’association Rose en Marche. Les gens trouvaient parfois porte close, alors on s’est dit qu’on allait mettre en place ce temps d’échange, ce Café papote, d’abord une semaine sur deux et finalement tous les lundis ! » @Julie Ho Hoa

Un rendez-vous où se réunissent une dizaine de femmes, parfois plus, parfois moins, pour une demi-heure ou pour plusieurs heures, où toutes ont en commun le cancer.

« Moi j’attends le lundi matin avec impatience », sourit Martine, pétillante sexagénaire. Pour « recharger les batteries » et affronter les injections, la chimio, les rayons, les rendez-vous médicaux, la fatigue.

« On se retrouve, on se raconte comment notre semaine s’est déroulée, on se comprend parce qu’on passe par les mêmes choses. Moi je suis bien après, ça me rebooste. »

Kelly vient pour la seconde fois. À 37 ans, cette jeune maman apprécie ce moment « réconfortant », « qui fait penser à autre chose ». « On se donne mutuellement de la force, on se soutient », ajoute Anaïs, 51 ans, qui regrette le manque de prise en charge psychologique, cet enveloppement humain qui aide à supporter le médical. Elle a fini par le trouver ici.

« Un matin, je suis sortie de mon travail et je suis venue directement ici », se souvient-elle. C’était en mai, peu de temps après avoir appris son cancer. Les caps difficiles, les questionnements incessants, les inconnues, Anaïs peut ici partager ce qu’elle traverse et trouver des réponses qui l’aident à avancer dans son parcours.

On le savait déjà pour le café mais le Café papote, « c’est mieux qu’un antidépresseur », assure, à côté d’elle, Nadia, 58 ans, qui a découvert Rose en Marche en passant devant le local pour se rendre à son travail. Quand le cancer lui « est tombé dessus », elle a fait des recherches sur l’association et a découvert, parmi toutes ses activités, le Café papote.

Un refuge sans jugement ni rejet

La première fois qu’elle a poussé la porte, « c’était peu de temps après avoir eu le diagnostic, avant de commencer le traitement », elle ne savait pas vraiment ce qu’elle venait chercher. « Peut-être des infos, du réconfort. »

« Ici, chacun sait de quoi l’autre parle en fait. Il n’y a pas de tabou, on peut lâcher nos émotions, chose qu’on ne fait pas forcément avec nos proches parce qu’on veut les protéger ou parce qu’ils ne comprennent pas forcément. Le parcours que je vis, ils ne le vivent pas et à l’extérieur, on se heurte à beaucoup de maladresses. »

« On a parfois même plus de soutien ici que dans notre famille proche », reconnaît Anaïs. Ici, il n’y a ni gêne par rapport à la maladie, ni de regards insistants sur des cheveux amincis, pas de paroles blessantes, pas de peurs à aborder de front le cancer, à confesser ses douleurs.

« Au début, je n’osais pas venir alors je venais un peu tard. Maintenant, si on me demande ce que je fais le lundi matin, je suis prise parce que je veux vraiment être ici », sourit Nadia. Pour elle, ce moment de papote fait partie du chemin vers la guérison et même « franchement, du parcours de soins ». « Je trouve ça essentiel. Vraiment », insiste-t-elle.

On papote, mais d’ailleurs pas forcément de la maladie. « C’est une parenthèse » résume Anaïs, dans un quotidien rythmé par le cancer. « On peut parler couture, cuisine, promenades, enfants, comme des copines autour d’un café quoi ! ». Mais des copines qui partagent dans leur chair plus qu’un café, qui restent malgré tout ce que la maladie change. Le caractère, l’humeur, le corps.

Depuis qu’elle a été opérée en février 2022, Martine confie qu’elle n’a « plus remis les pieds » dans la petite ville où elle habite. Elle se fait livrer ses médicaments par le pharmacien pour ne croiser personne, a pris le parti de faire ses courses ailleurs pour ne pas « être dévisagée, ou croiser des gens qui tournent la tête quand vous dites bonjour » ou entendre des « t’as vu la tête qu’elle a, comme elle a maigri, comme elle a grossi, t’as vu ses cheveux ». « J’ai trop entendu les gens parler sur des personnes qui étaient malades. C’est blessant, c’est rabaissant. C’est horrible. » Au Café papote, elle sait qu’« il n’y a pas de jugement ».

« Ici, je me sens bien, parce qu’on sait de quoi on parle, on n’a pas besoin de se justifier, d’expliquer. On est dans le réel. On sait. On peut arriver en pleurant, on peut arriver en étant fatiguée, on peut arriver en ayant des frayeurs, en ayant des terreurs, on sait qu’ici, on pourra l’exprimer et que même si on ne peut pas l’exprimer, on trouvera de toute façon du réconfort autour de nous. C’est un sas ».

À bientôt 60 ans, Brigitte se bat contre un autre cancer, le lymphome. C’est son amie Agnès, 64 ans, qui l’a convaincue de venir. « Ça fait du bien de parler, ça permet d’évacuer et puis quand on est toutes ensemble, on parle le même langage. On se comprend. On est sur la même longueur d’onde », ajoute cette dernière. « J’ai besoin de parler à des gens qui comprennent ce parcours, qui comprennent ce qu’on peut vivre », reprend Brigitte. Un espace où ne pénètrent pas « la connerie des gens, la méchanceté », où l’on oublie que parfois, « on n’est pas soutenus comme on aimerait ».

Ces moments entre « combattantes », entre « guerrières », les rires, les larmes aussi, les échanges, le simple plaisir de boire ensemble un thé ou un café, elles le confirment, « ce sont des choses qui nous permettent de survivre », tout simplement.

Où & quand ? Le Café papote a lieu tous les lundis à partir de 10 heures au local de Rose en Marche, 7 rue Joseph Ducouret à Guéret. Tél. : 05.87.56.18.29.

Texte & photos : Julie Ho Hoajulie.hohoa@centrefrance.com