Les caméras de vidéoprotection se multiplient dans le Cantal mais pour quels résultats ?
Il avait dû ferrailler face à sa propre majorité composée d’élus socialistes, radicaux, communistes et écologistes, en 2013. Pierre Mathonier, maire PS d’Aurillac garde un souvenir vif de l’installation des premières caméras de vidéosurveillance dans la cité Géraldienne. « Ce n’était pas une décision naturelle pour certains membres de mon équipe municipale », concède-t-il. Onze ans plus tard, la Ville dispose de 47 caméras qui filment l’espace public, sans compter celles braquées sur le matériel de la collectivité, notamment dans les parkings.
À l’origine, Pierre Mathonier voulait lutter contre les bagarres de fin de soirée, nombreuses et violentes autour des boîtes de nuit : « Je me réveillais les dimanches avec la boule au ventre de ce qu’il avait pu se passer. Il y avait une pression des familles. » Depuis, le développement des trafics de stupéfiants en centre-ville est passé par là.
Les problématiques de 2013 étaient totalement différentes. Il y a eu les attentats du Bataclan. Les objections philosophiques de l’époque pouvaient se comprendre, mais aujourd’hui, on n’est plus du tout dans la même logique. »
Pour les gendarmes du Cantal, le major Christophe Vallès, référent sûreté, confirme. En 12 ans, ce sont 15 communes qui se sont équipées, rejoignant Mauriac, Aurillac et Saint-Flour, tandis que deux autres s’apprêtent à sauter le pas (lire ci-dessous). Cela va des rurales Jaleyrac et Rouziers aux bourgs-centres, comme Montsalvy et Saint-Cernin. Porte d’entrée des élus dans l’institution, le sous-officier travaille à ce développement : « La vidéoprotection est rentrée dans les mœurs. Aujourd’hui, ce n’est plus un sujet. L’argumentation est facile pour moi quand une commune est frappée par la délinquance. »
Une délinquance en mouvementLa vidéo, « c’est omniprésent, c’est un acte réflexe pour tous les enquêteurs » Le Cantal est pourtant un département parmi les plus sûrs de France mais « c’est de la prévention, continue-t-il. Allez dire à une victime que l’on est dans le département le plus sûr de France : elle s’en fichera ». « Les vraies questions, ce sont “Jusqu’à quand ?” et “Comment fait-on pour que le Cantal reste sûr”, appuie le commandant Olivier Peyraube, officier adjoint de commandement au groupement de gendarmerie du Cantal. Les voleurs sont opportunistes et fainéants. La délinquance se déplace là où il n’y a pas de caméra. »Photo d'illustration Jérémie Fulleringer Ce n’est pas tout à fait l’unanimité, non plus. Si de plus en plus de communes s’équipent, d’autres attendent. Pour Christian Montin, président de l’Association des maires du Cantal, « je trouve qu’il est navrant d’en arriver là. On n’est pas soumis à la délinquance, à la criminalité. Dans la symbolique, cela reste attentatoire aux libertés. Ponctuellement, sur des points sensibles, pourquoi pas, mais la généraliser, partout… » Il pèse ses mots :
Le message n’est pas le bon. Ce n’est pas un message de confiance
C’est à Aurillac que le système de vidéoprotection est le plus souple. En lien avec la police nationale (qui reçoit les images en direct, la nuit, au commissariat), les caméras bougent au gré de la délinquance. « Pour moi, le rôle préventif est léger, estime Pierre Mathonier. Quand on voit apparaître un point de deal, on va empêcher son développement en le dérangeant avec une caméra, mais ce n’est pas vraiment de la prévention. »
Résolution d'enquêtePar contre, les images font l’unanimité sur la résolution des enquêtes. Il y a pléthore d’exemples dans le département. Celui du cambrioleur de Murat est le plus marquant : après 35 vols en dix jours, en août 2023, il n’avait laissé aucune trace ADN, aucune empreinte. Il a pu être confondu grâce à des images prises dans des magasins qu’il avait cambriolés : les enquêteurs l’ont reconnu grâce à sa silhouette, ont pu le suivre et le prendre en flagrant délit, résolvant, en tout, 182 vols sur trois années. Depuis ces épisodes, Murat a opté pour installer des caméras de vidéoprotection. L’argument est moins mis en avant que celui de la prévention de la délinquance. Surtout, il n’est pas nécessairement appuyé par une réalité statistique. Mais « c’est omniprésent, c’est un acte réflexe pour tous les enquêteurs, estime le commandant Peyraube. Ce ne sera pas forcément la preuve ultime, mais cela aide à orienter les investigations, à identifier un véhicule, à recouper avec des données téléphoniques. C’est crucial, mais on ne peut pas mettre un chiffre dessus ».Photo d'illustration Remi Dugne
À Aurillac, 38 réquisitions d’images ont été faites cette année par les enquêteurs de la police, sans compter 18 autres pour des caméras de parking. Pour Pierre Mathonier, cela évite un sentiment d’injustice en permettant la résolution des affaires. Si, au début, il s’agissait de bagarres embrumées par l’alcool, cela a également aidé sur la lutte contre les trafics de stupéfiants. « Ce n’est pas l’alpha et l’oméga d’une politique de sécurité, explique Bernard Berthelier, premier adjoint à Aurillac et en charge de la question. Il y a le travail en lien avec la police nationale, la présence de la police municipale dans la rue, les échanges avec les bailleurs sociaux, les associations… »
De nouvelles caméras bientôt installées à Aurillac ?
Les caméras, c’est « un outil supplémentaire, dissuasif, mais qui n’est pas d’une efficacité absolue. » Pour le commandant Peyraube, « ce ne peut être qu’une partie d’une action globale de sécurité, intégré dans un système. Dans notre jeu, la vidéoprotection est un atout-maître. »
Pierre Chambaud