Fils d'un ancien meunier à Cusset, il se remémore l'histoire du moulin familial au destin tragique
En partie haute de la rue des Moulins près du cours Lafayette, même si sur la façade du haut bâtiment ancien qui borde la rue subsistent encore des restes de l’enseigne peinte, bien peu nombreux sont ceux qui passant dans cette rue, se souviennent que se trouvait là, le dernier moulin de Cusset
Et encore moins qu’un drame s’est joué dans ces murs, une veille de Noël il y a bientôt 50 ans. Ici tournait un moulin dénommé tout d’abord moulin du Bateau, en raison de la tour du même nom qui se trouvait sur les fortifications à quelques pas, puis moulin des Cours, puis moulin Rizard et enfin moulin Delangle, du nom de son dernier exploitant.
Jean Delangle fut le tout dernier meunier de Cusset, disparu tragiquement le 24 décembre 1974, happé par une courroie alors que l’imposant mécanisme était en mouvement.
Le moulin du Bateau aura tourné à la force hydraulique jusqu’en 1942Son fils Lucien, bien connu à Cusset raconte : « Mon père, né en 1909, n’était pas prédestiné à devenir meunier, son père Vital Delangle étant mort en mai 1917 au Chemin des Dames, ma grand-mère s’est remariée avec Eugène Rizard, meunier de son état, du côté de Roanne, et c’est en 1921 que la famille arrive à Cusset, Eugène Rizard ayant racheté ce moulin, et c’est ainsi que mon père, dès sa douzième année, commencera d’apprendre le métier de meunier tout en se consacrant à ses études au collège de Cusset. »
Eugène Rizard exploitera le moulin du Bateau de 1921 à 1947. Entre-temps, par un arrêté du 5 décembre 1938, le conseil municipal considérant que les biefs et les douets s’y rattachant étaient devenus des égouts à ciel ouvert et étaient préjudiciables à la salubrité publique, décide de recouvrir le bief des moulins.
Les usiniers, (c’est ainsi que l’on dénommait les exploitants des moulins) sont donc invités à remplacer la force hydraulique par l’électricité pour continuer à faire tourner leurs moulins.
En avril 1941, alors que les exploitants font encore la sourde oreille, le maire, par un nouveau décret, exige que cela soit réalisé dans les meilleurs délais. C’est ainsi qu’Eugène Rizard fut obligé d’acquérir un moteur électrique de 15 CV et de contracter un abonnement à la Compagnie du Bourbonnais (ancêtre de l’EDF) pour la fourniture du courant électrique.
Le contrat, qui prenait effet à la date de mise en service de l’installation, soit le 1 er juin 1942, précisait que le minimum annuel de consommation était fixé à 37.500 Kwh, et le montant de la prime à la charge de l’exploitant était de 180 francs par Kva par an, avec un tarif réduit pendant les heures creuses, (qui existaient déjà à cette époque…).
Le moulin du Bateau aura tourné à la force hydraulique jusqu’à cette date. Le bief recouvert a permis d’élargir considérablement la rue des Moulins. Entre-temps, le jeune Jean Delangle aide son beau-père au travail de la meunerie, effectue son service militaire, se marie dans les années 1930. Appelé sous les drapeaux à la déclaration de guerre, il est fait prisonnier, retenu dans un stalag en Allemagne, mais gravement malade, il sera rapatrié en France dès 1943.
C’est en 1947, que Jean rachète en viager le moulin à son beau-père. Il espérait que Lucien, son fils unique, puisse prendre sa suite, mais celui-ci est plus intéressé par les trains que par la meunerie et fera sa carrière à la SNCF.
Lucien se souvient avoir aidé étant jeune, à porter les sacs de blé de 100 kg à dos d’homme. Le moulin était une entreprise artisanale, qui ne possédait qu’un seul ouvrier. Jean Delangle courait la campagne pour acheter le blé dans les fermes, qui allait être transformé en farine revendue aux boulangers du secteur.
Lucien se souvient avoir aidé étant jeune, à porter les sacs de blé de 100 kg à dos d’homme« Mon père, se souvient Lucien, était un travailleur infatigable qui ne s’accordait qu’un jour de repos par semaine, le dimanche, qu’il consacrait à la pêche à l’étang des Corres, seul moment de détente qu’il affectionnait, ne prenant jamais de vacances. »
Lucien se remémore aussi les belles périodes de la meunerie à l’époque où ses parents étaient des gens aisés et considérés, le meunier étant quelqu’un d’important.
Mais c’était sans compter avec l’arrivée des grandes minoteries, qui captaient la clientèle des boulangers et pâtissiers. Jean décida alors de moderniser son moulin en 1963 et, pour cela, s’endetta lourdement, mais c’était sans doute déjà trop tard, bien que sa farine fut d’excellente qualité.
L’activité périclitant, il chercha à vendre dès 1967, mais ne trouva pas d’acquéreur et continua l’exploitation tant bien que mal jusqu’à sa tragique disparition. Après le décès de l’ultime meunier de Cusset, sa veuve se résigna à vendre le moulin et ses murs, ce qui permit de rembourser les dettes.
Ainsi fut tournée la page de l’histoire d’un moulin familial, Rizard puis Delangle, qui compta beaucoup dans le paysage artisanal et laborieux de la cité des Chiens verts pendant tant d’années.