Promenade magistrale sur les chemins de la littérature
Notre ami Paul Rafin publie Écrits sur la littérature. Deux tomes de critiques aussi variées que pertinentes qui offrent une bouffée d’air frais et un regard renouvelé sur notre patrimoine littéraire.
Le rôle du critique littéraire est, à l’évidence, le plus délicat qui soit. Celui-ci doit, en effet, se mettre, dans la mesure du possible, à la place de l’auteur. Sonder ses intentions. Décrypter, éventuellement, les sous-entendus, les allusions, les références implicites parsemant l’œuvre à commenter. Dans le même temps, il lui faut se glisser dans la peau du lecteur. Faire part, sans préjugés ni partis-pris, de ses réactions. Porter, enfin, un jugement équitable. Tâche des plus ingrates, surtout à l’époque actuelle où la production littéraire se confine dans une morne médiocrité. Sauf exceptions, évidemment. Mais enfin, depuis des années, on attend en vain le chef-d’œuvre incontestable qui rallierait tous les suffrages.
Chroniqueur sans frontières
Heureusement, le passé offre des ressources inépuisables, et ce, depuis l’Antiquité. Ce n’est pas Paul Rafin qui nous contredira. Son avidité de lecteur ignore toutes les frontières, tant spatiales que temporelles. La curiosité de ce professeur de lettres devenu avocat le pousse à aborder tous les genres littéraires. À porter sur les écrivains des jugements motivés, sans tabou ni exclusive. C’est, avant tout, ce qui frappe dans les deux volumes de ses Écrits sur la littérature.
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D’entrée de jeu, le critique annonce la couleur : aucun magistère revendiqué, mais des choix personnels clairement assumés – avec ce que cela implique de possibles réserves de la part du lecteur. Une telle modestie tranche sur l’attitude trop fréquente des donneurs de leçons qui sévissent souvent en la matière, les Breton, « pape du surréalisme », Sartre ou Robbe-Grillet, que Kléber Haedens surnommait « l’arpenteur de notre littérature ».
Le premier tome réunit des articles écrits entre février 2021 et juin 2023, le second entre août 2023 et juillet 2024. D’abord publiés sur Internet, ils abordent tous les genres littéraires, de la poésie au roman et à l’essai. Un éclectisme témoignant d’une vaste culture et d’un intérêt pour le fond aussi bien que pour la forme. Ainsi se dégage une vision d’ensemble des plus cohérentes et circonstanciées.
L’art de la mise en perspective
La trajectoire de Paul Rafin le conduit des écrivains antiques grecs et latins (Homère, Suétone, Plutarque, Tacite) aux auteurs contemporains (dont Malraux), sans oublier un détour par l’étranger. Dante, Shakespeare y sont passés au crible, et aussi Dickens, Carlyle et Oscar Wilde. Il établit entre eux des passerelles, révèle des parentés inattendues. Son art du décryptage conduit le lecteur non seulement au cœur des œuvres analysées. Mieux encore, il en explore toutes les harmoniques.
Un exemple particulièrement frappant, celui des Deux Étendards, roman de Lucien Rebatet. Citer le seul nom de cet écrivain maudit relève déjà de la témérité. Voire de la provocation. Célébrer, à juste titre, son roman comme un chef-d’œuvre reste impardonnable – même s’il avait séduit François Mitterrand lui-même, qui déclarait que le monde se divisait en deux catégories, ceux qui avaient lu Les Deux Étendards et ceux qui ne l’avaient pas lu. René Etiemble pourrait témoigner de la qualité de ce roman. Pour s’y être risqué lors de sa publication, il fut illico banni par Sartre de la revue Les Temps modernes. L’auteur d’Écrits sur la littérature relève pourtant le défi. Avec un brio inégalé, il montre les résonances de cette œuvre maîtresse, tant sur le plan littéraire qu’artistique, intellectuel, philosophique et religieux. Et il ne s’agit là que d’un exemple : une telle virtuosité innerve maintes pages, sinon la totalité des deux volumes. Parmi les « antimodernes », aux côtés de Rebatet, Barrès, Maurras, Joseph de Maistre, entre autres, donnent lieu à des commentaires pertinents. Ailleurs, sont célébrés les poètes de la Pléiade, Ronsard et Du Bellay, ou encore Tallemant des Réaux dont les Historiettes sont bien oubliées aujourd’hui.
« Le très grand dix-neuvième »
Léon Daudet écrivit en son temps Le Stupide dix-neuvième siècle, exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis cent-trente ans. À quoi André Lebois répliqua, plus tard, par un Admirable XIXe siècle, écrit, il est vrai, dans une optique différente. À l’évidence, Paul Rafin se range du côté de Lebois. Les Liaisons dangereuses, de Laclos, Adolphe, de Constant, La Recherche de l’absolu, de Balzac, ou encore Gautier et ses récits fantastiques, Flaubert et Maupassant sont livrés au jugement sagace d’un critique dont l’érudition ne se dément jamais. À en juger par le nombre d’articles à lui consacrés, c’est toutefois Victor Hugo qui remporte la palme. Quand on lui demandait quel était, selon lui, le plus grand poète français, André Gide répondait : « Victor Hugo, hélas ! » Paul Rafin ne partage pas tout à fait cet avis. À propos de l’auteur des Contemplations dont l’œuvre considérable fait l’objet de plusieurs commentaires, il écrit : « Les Odes et Ballades témoignent à plus d’un égard du génie littéraire de Victor Hugo. Le nombre de poèmes, la variété du vocabulaire, la richesse des rimes et la puissance du style forcent l’admiration, quand on sait que l’ouvrage fut composé alors qu’il n’avait que vingt ans. » L’argument de l’âge est-il imparable ? Vaut-il aussi pour Rimbaud, Radiguet ou Minou Drouet ? À chacun d’en juger.
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Résumons-nous, comme eût dit Alexandre Vialatte. Ces Écrits sur la littérature sont, à n’en pas douter, une vraie réussite. Variété et pertinence du propos, légèreté, fluidité de la forme. Ils donnent envie de se plonger ou de se replonger dans des œuvres inconnues ou oubliées, de renouer avec des écrivains dont certains sont, depuis longtemps, perdus de vue. En outre, cette cavalcade à travers les siècles se révèle des plus roboratives. Une bouffée d’air frais. Elle prend l’exact contre-pied de la culture woke qui prétend déconstruire, depuis ses fondements, notre civilisation. Celle-ci a encore de brillants défenseurs, au nombre desquels on rangera Paul Rafin. Voilà pourquoi on ne manquera pas de le suivre, sur son site (lesgrandsarticles.fr) et dans Causeur. En attendant un troisième volume de ses Écrits.
Paul Rafin, Écrits sur la littérature, I, 2023, et Écrits sur la littérature, II, 2024.
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