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“The Apprentice” d’Ali Abbasi, le biopic clinquant sur Trump ressemble à un sketch

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À un mois de la présidentielle américaine, The Apprentice arrive en salle sous le masque usurpé du brûlot. Usurpé, car si le film a effectivement traversé quelques intempéries judiciaires venues du clan Trump, dont notamment une cocasse tentative de blocage par un de ses propres argentiers (un milliardaire mal informé qui pensait financer un biopic de campagne, et non un pamphlet vachard), ces attaques ont plutôt été de nature à lustrer sa street cred qu’à réellement le mettre en danger.

En réalité, il faudrait être aveugle à tout ce que le système médiatique américain a pu déverser de parodies inefficaces, voire contre-productives de l’ex-président ces dix dernières années pour encore s’imaginer qu’un tel objet pourrait réellement le menacer.

D’un sketch du SNL à une performance oscarisable ?

Si le film est inoffensif, il n’en est pas moins complexé par la question. C’est même son problème central : le véritable défi auquel a dû faire face Ali Abbasi a été de se distinguer d’un champ si saturé de caricatures qu’elles avaient fini par se neutraliser entre elles. Comment donner une valeur ajoutée à sa propre satire ?

La seule qu’il a trouvée est un vernis de noblesse, répondant à la recette suivante : prenez n’importe quelle imitation de Trump (Taran Killam, Alec Baldwin, Shane Gillis, Matt Friend… la liste des humoristes récemment spécialisé·es dans l’exercice est longue), passez en mezza voce toutes les composantes du numéro (la bouche en cul de poule, les pouces et index joints, les tics langagiers…) ; ça y est, vous imitez toujours Trump, mais plus assez grotesquement pour que ça ait l’air d’une farce, et c’est ainsi qu’on glisse d’un sketch du SNL à une performance oscarisable. Denis Podalydès avait appliqué la même recette à son Sarkozy dans La Conquête, proche cousin français.

Critique convenue du faste de l’Amérique

Tout ceci pour raconter quoi ? À l’extrême surface des choses (à peine celle du film – plutôt celle de son synopsis Allociné), les années de “formation” du businessman par son mentor Roy Cohn, célèbre avocat ultraconservateur qui aura surtout laissé à la postérité son homosexualité viscéralement refoulée et sa mort du sida, racontée notamment dans la pièce Angels in America, de Tony Kushner. En réalité, Cohn ne fait pas grand chose de Trump, personnage absolument buté, sourd à toute forme d’apprentissage, sinon l’admettre dans son cercle.

En dessous, il n’y a rien : un défilé clinquant de décors, critique convenue du faste de l’Amérique reaganienne, pour laquelle le film éprouve tout de même une nostalgie fétichiste prononcée, et qu’il reproduit jusqu’à la texture de l’image (un parfum de VHS et de grain cathodique). En lui rendant quelque peu service, on pourrait arguer qu’il a la conscience du rien, et que The Apprentice traite au fond du caractère vaporeux, virtuel de la fortune de Trump.

Comment devient-on Trump ?

Le golden boy, qui peu à peu devient aussi un corps, affecte ses excès et son orgueil comme un Dorian Gray chauve et adipeux, est surtout un être magique, une volonté inébranlable jusqu’à l’absurde, un agent de pure dépense dont le refus opiniâtre d’admettre un tort, un échec ou une difficulté de paiement fait immanquablement plier le réel, concrétisant ses projets pharaoniques en dépit de toute rationalité économique ou politique. Sur le rien, sur le faux, est bâti un empire – et le destin présidentiel auquel il conduira est évidemment l’objet de clins d’œil balourds.

De facture très sophistiquée, le film n’en est pas moins un cuisant échec au regard de la seule véritable chose que l’on attendait de lui – et qui n’est certes pas une mince affaire : répondre à la question “Comment devient-on Trump ?” Inapte, et peut-être peu désireux de sortir le personnage de son unidimensionnalité et de sa bêtise sans fêlures, Abbasi n’a pas d’autre idée que : “En l’ayant toujours été”. C’est peut-être la vérité, mais c’est tout de même un peu léger.

The Apprentice par Ali Abbasi, avec Sebastian Stan, Jeremy Strong, Maria Bakalova. En salle le 9 octobre.