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“La Noire de…”, le chef-d’œuvre d’Ousmane Sembène, ressort en salle

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La seule fois de ma vie que j’ai rencontré Ousmane Sembène (1923-2007), c’était à Cannes pour son dernier film (et chef-d’œuvre), Moolaadé, présenté en 2003. Son apparence n’était pas banale : boubou blanc sur veste bleue chinoise, casquette de marin breton, pipe au bec, il était très chic. Il n’avait pas l’air commode, ce roc. Mais cachait sous ses airs bourrus et un caractère d’airain, une humanité extrême, ultra-sensible, sublime, et un humour pince-sans-rire irrésistible.

À plus de 80 ans, il militait frontalement, dans Moolaadé, et dans la vie, pour l’abolition totale de l’excision dans le monde entier. Il m’apprit cette expression que je (me) cite très souvent : “Quand tu ris, tu pleures.” Il récupérait tous les magazines de cinéma qui traînaient sur les tables du festival, pour les rapporter chez lui, à Dakar, où sa bibliothèque était ouverte aux enfants du voisinage.

Prix Jean-Vigo 1966

Sa vie n’a rien eu de banale : né en 1923 dans une famille modeste de Casamance, dans le sud du Sénégal, il est d’abord maçon. Il devient tirailleur sénégalais au sein du 6e régiment d’artillerie coloniale en 1942, où ses premiers sentiments anticolonialistes naissent… Après être reparti au Sénégal, l’ex-combattant pour la France doit toutefois revenir clandestinement dans l’Hexagone pour y travailler comme docker à Marseille en 1948. Devenu militant communiste, il s’engage activement en faveur de l’indépendance du Sénégal.

Il commence à écrire (il est l’auteur d’une dizaine de livres, essais ou romans). Après l’indépendance, en 1960, il part en URSS apprendre à faire du cinéma. Considéré comme le premier long métrage d’Afrique subsaharienne, La Noire de… est son premier film de fiction, et obtiendra le prix Jean-Vigo en 1966.

La Noire de… (ces trois points désignent un mot de cinq lettres rendu historique par le général Cambronne) raconte l’histoire d’une jeune femme sénégalaise, Diouana (Mbissine Thérèse Diop), qui va tomber sous la coupe d’un couple d’expats français·es qui la ramènent à Antibes pour s’occuper de leurs enfants et l’exploitent rapidement, l’humilient, la maltraitent. Tout ira de mal en pis.

Peu de moyens et une sobriété de style

Ce long métrage militant, sombre, dénonce sans prendre de gants le comportement des ancien·nes colonisateur·rices. Mais La Noire de… est avant tout un film de cinéma, de mise en scène. Tourné avec peu de moyens et une sobriété de style d’une grande efficacité, c’est son image très contrastée, en noir et blanc, qui frappe d’emblée le·la spectateur·rice. À l’aide d’une voix off (dite par une autre actrice que Mbissine Thérèse Diop), Sembène nous fait aussi entrer dans la tête de son héroïne, sa lente et inévitable plongée dans la dépression. Remarquable.

Après La Noire de…, il réalise le premier long métrage en wolof, Le Mandat, couronné par le prix de la critique internationale au Festival de Venise 1968. Ses films des années 1970 – Emitaï (Dieu du tonnerre), Xala et Ceddo – marquent aussi les esprits. En 2008, la Cinémathèque française lui avait rendu hommage, en présence de son fils et de Mbissine Thérèse Diop. Il faut revoir La Noire de… aujourd’hui.

La Noire de…, d’Ousmane Sembène, avec Mbissine Thérèse Diop, Anne-Marie Jelinek, Robert Fontaine. En salle le 9 octobre.