Thierry Laget, prix Vialatte, a passé vingt-cinq ans à deux mètres du Premier ministre
Un amoureux des mots qui décide de devenir muet. Un homme au cœur de la République, mais invisible. Un agent qui voit, mais joue les aveugles. Qui entend, mais sait faire le sourd.
Auvergnat dans le sang et le cœurCet homme, c’est Thierry Laget. Un Auvergnat. Un vrai de vrai. Qui aime voyager mais dit systématiquement que « ça ressemble à l’Auvergne ». Qui a vécu vingt-cinq ans à Paris, mais trouve la ville « trop grande, trop de monde, trop de mouvement ».
Né il y a 65 ans à Clermont dans une rue « qui n’existe plus » où trône aujourd’hui la fac de droit. Qui a grandi rue de l’Oradou, puis à Aubière. « C’était bien différent, juste un bourg de campagne. » Jusqu’à ce que son père, médecin à Vichy, et sa mère qui travaille en hôpital psychiatrique décident de s’installer en Touraine. C’était il y a 55 ans, et depuis Thierry Laget n’a plus jamais vécu en Auvergne. « Oui, mais je suis auvergnat. Je suis auvergnat, français et européen. Et italien par goût. Clermont est plus proche de l’Italie que de la Loire. » L’Italie, où il a vécu trois ans, à Florence. Et traduit des dizaines d’ouvrages dans la langue de Dante.
Une vie de bohême avant le palais BourbonParce que l’amour premier est là. Le mot. « Mon amour principal. Je ne sais rien faire d’autre que mettre des mots en place. La musicalité est plus importante que le fond pour moi. Si une phrase est belle mais dit le contraire de ce que je pense, ça me va. »Cet amour du mot l’amène à étudier les lettres, à boucler une thèse sur Marcel Proust et collaborer à le faire entrer dans la Pléiade. Et puis ?
Je ne voulais pas enseigner. J’ai travaillé un peu dans l’édition, mais j’aimais trop les textes pour les traiter commercialement.
Alors, pendant un temps, l’homme mène « une vie de bohème », faite de traduction, de plume louée. Mais deux enfants rappellent la réalité. « J’avais besoin de stabilité. J’ai entendu parler du concours de l’Assemblée nationale, je l’ai passé et j’y ai passé vingt-cinq ans. »
Arrêter les horloges de l’AssembléeUn quart de siècle, au pied de la tribune, « à deux mètres du Premier ministre ». Thierry Laget débutera au côté de Lionel Jospin et prendra sa retraite en face de Jean Castex. « Qui répétait tout trois fois. Qui répétait tout trois fois. Qui répétait tout trois fois. » Thierry rit. Parce que oui, au-delà d’un phrasé qui n’aurait pas sonné faux dans un salon du XIXe, l’humour affleure. En permanence. Comme c’est souvent le cas avec les cerveaux bien faits. Ceux qui prennent toujours un pas de côté. Savent l’éphémère même dans le sérieux.
Concrètement, à l’Assemblée, Thierry Laget est rédacteur des débats. Ce sont ses mots que l’on retrouve dans le Journal Officiel. Ceux qui restent aux archives et dans l’histoire. Un travail de concentration énorme.
Une IA ne pourrait pas faire ce travail. Il faut pouvoir distinguer les interruptions. Et puis, s’il y a des tensions, c’est que le débat dérange, c’est donc important de les rapporter
Le travail est long. Quiconque a déjà suivi un débat à l’Assemblée connaît son aridité technique, ses longueurs. D’autant que les députés arrêtent parfois physiquement les horloges de l’hémicycle pour boucler le débat avant minuit, quand bien même dehors le jour se lève. « Et après, nous devons encore rédiger, il reste du travail. Heureusement, nous avons de l’aide. Les huissiers par exemple, qui sont très physionomistes. Je leur demandais souvent : “qui est le député qui vient de parler ?”. »
Les services secrets et le BataclanDes députés que Thierry Laget a pu égratigner dans ses écrits. Mais qu’il défend toujours. « C’est devenu très technique, on leur demande d’avoir toutes les compétences. Je pense que c’est un métier très dur. Les plus brillants vont dans le privé, où ils sont mieux payés et ne se font pas attaquer en permanence par cet antiparlementarisme tragique qui a mené à l’attaque du Capitole aux États-Unis. Et puis, s’ils étaient des orateurs parfaits, je n’aurais plus de travail, comme un médecin sans malade. »Et puis, il y a ces moments qui marquent une vie. Comme « après les attaques du Bataclan. Les forces de l’ordre qui nous racontent les événements plus crûment que dans les médias. Ou le récit des services secrets ». Avant de harceler Thierry Laget, sachez qu’il est toujours soumis à la confidentialité.
De toute façon, les gens me demandent toujours la même chose : “Est-ce que le président à une maîtresse ?”.
Il y a aussi ces débats qui s’enveniment. « C’est plus violent aujourd’hui qu’à mes débuts. Mais moins que pendant l’affaire Dreyfus ou les attentats anarchiques des années 1880. On a une démocratie plutôt apaisée. »Jalousie du SénatMais son plus beau souvenir, ce sont « ces petites heures du matin, ces heures blafardes à l’atmosphère cinématographiques ». Et oui, le décorum compte. « Les ors de la République… J’aurais préféré le palais du Luxembourg (siège du Sénat, NDLR). »Ces souvenirs planent au-dessus de l’Atlantique. Jusqu’au Québec où Thierry Laget et sa femme ont rejoint leurs enfants. « C’est un pays où les gens sont tellement gentils. On dirait l’Auvergne. » Et dire qu’il y a vécu jusqu’à ses 10 ans seulement…
RoyatCe week-end, Thierry Laget sera présent au salon du livre de Royat-Chamalières.
Simon Antony