"Je ne vais pas vous raconter d'histoires" : entre colère et attentes, dans les pas de Michel Barnier au Sommet de l'élevage
Le Premier ministre était attendu de pied ferme, mais le président du Sommet de l'élevage Jacques Chazalet avait, dans le même temps, préparé le terrain : Michel Barnier, grand habitué des lieux, venait en "ami", ce vendredi, à Clermont-Ferrand. Les éleveurs ne lui ont pas donné tort. Là où certains politiques ont eu ces dernières années à subir reproches et sifflets, le nouveau Premier ministre n'a connu qu'un seul accroc... avec Pacific, un taureau salers venu titiller le front du chef du gouvernement d'un coup de corne.
Si l'ancien ministre de l'Agriculture était en terrain presque conquis, son style n'invite pas, non plus, aux coups d'éclat. À l'instar du discours qu'il porte depuis sa nomination, il est resté, en costard, droit dans ses bottes : "Je ne vais pas vous raconter d'histoires, mais je vais essayer de vous aider du mieux que je peux", a-t-il répété à tout bout de champ, au fil de près de trois heures de déambulation dans les allées du Sommet.
La détresse des éleveurs face à la FCOLes attentes, les inquiétudes sont pourtant nombreuses, et la colère toujours plus explosive. Elles ont émaillé chaque échange avec Michel Barnier, la présidente de la Fédération nationale ovine Michèle Boudoin ouvrant le bal, dès les premiers pas du Premier ministre, pour exposer la détresse des éleveurs face à la mortalité due à la fièvre catarrhale ovine (FCO) et au manque de vaccins.
Michel Barnier avait peu de réponses à leur apporter, à chaud. Alors il a écouté, surtout. "Pris note dans [s]a tête." Essayé de comprendre. "J'ai connu la FCO dans les années 2000, elle avait envahi l'Europe et on ne savait pas comment faire. Je veux comprendre pourquoi, malgré cette expérience-là, on en est là aujourd'hui", déplorait-il face à un éleveur.
Au milieu de la cohue médiatico-politique, entrecoupée de la curiosité des visiteurs du Sommet, l'exercice de la déambulation n'invite toutefois pas aux échanges de fonds. "C'est compliqué de se parler ici, mais gardons contact", se frustre presque le Premier ministre face à un représentant des JA de Corrèze, Pierre Cazes, venu lui parler installation des agriculteurs, transmission et rémunération.
Michel Blanc et tracteurSon style fait-il mouche ? Dans les allées, il crée parfois de la frustration chez certains éleveurs car s'il cherche à rassurer, il évite soigneusement les grandes promesses. Il n'échappe pas, aussi, à la défiance générale vis-à-vis du monde politique, exprimée ce vendredi subtilement, comme lorsqu'un exposant diffuse, au passage des élus, un titre de Massilia Sound System : Tout le monde ment, tout le monde ment, le gouvernement ment énormément...
Mais il plaît aussi à d'autres. "Il va faire du bien à la politique : il est posé, rassurant, jamais dans l'excès ou dans la petite phrase", commente un élu puydômois en l'observant. "Il est patient, respectueux et à l'écoute. Il n'est pas dans les grandes déclarations, il est dans l'efficacité", loue aussi Jacques Chazalet, à ses côtés durant toute la visite, tout comme les ministres de l'Agriculture et de l'Economie, Annie Genevard et Antoine Armand.
Comment Michel Barnier, attendu au Sommet de l'élevage, a noué des liens forts avec les agriculteurs du Massif central
Le prix du lait, l'export des reproducteurs salers, le projet d'accord de libre échange avec l'Australie... D'une allée à une autre, les éleveurs soufflent dans l'oreille du Premier ministre leurs craintes et leurs difficultés. Les discussions dépassent, parfois, l'ordre du jour agricole, comme lorsqu'il est invité à réagir à la mort de l'acteur Michel Blanc ou qu'un homme, perché sur son tracteur, s'amuse : "C'est plus facile à conduire que votre gouvernement !" Le Premier ministre acquiesce dans un sourire.
La visite protocolaire le mène, aussi, souvent sur les stands de la nouvelle génération d'agriculteurs, qui ne se privent ni d'un selfie avec le chef de gouvernement, ni de l'interpeller sur le manque de soutien à l'installation, la concurrence déloyale des importations, les normes administratives... "Il m'a écouté, mais on attend des changements car on a la corde au cou", grince Romain Lachenaud, en BTS au lycée agricole de Marmilhat.
75 millions d'aide pour les éleveurs confrontés à la FCOMichel Barnier l'a concédé sans mal, à l'issue de cette visite : il n'avait pas de réponses, ce vendredi, pour toutes les problématiques évoquées. Mais il avait, quand même, quelques annonces dans sa besace, à commencer par le déblocage d'une enveloppe de 75 millions d'euros pour indemniser les pertes des éleveurs confrontés à la fièvre catarrhale, "notamment pour faire face au FCO 3, un séréotype émergent pas pris en compte dans les financements et les indemnisations telles qu'elles sont organisées aujourd'hui pour d'autres dimensions de la maladie."
Quelles sont les annonces de la ministre de l'Agriculture, en visite au Sommet de l'élevage ?
Autres annonces : le lancement d'un programme spécifique de prêt garanti par l'Etat "pour ces exploitations qui ont besoin d'oxygène" et l'assouplissement des règles concernant l'épandage (possible jusqu'au 15 novembre au lieu du 1er octobre). "Il y a eu des protestations, une colère, une souffrance exprimées par le monde agricole en début d'année, je ne l'oublie pas, poursuit Michel Barnier. Nous allons prendre en compte les engagements qui ont été pris et les avancées qui ont été produites par ce travail avec les dirigeants agricoles. La loi d'orientation agricole sera réinscrite à l'ordre du jour en janvier, le plus tôt possible après le vote du budget." Cet autre grand chantier attendu la semaine prochaine et pour lequel Michel Barnier sera en terrain bien moins conciliant.
Arthur Cesbron Photos Rémi Dugne