Comment le monde entier vient faire ses courses au Sommet de l'élevage en Auvergne
A peine débarqué à l’aéroport de Lyon en provenance de son Écosse natale, les derniers kilomètres, version serpentin, jusqu’au Gaec de la colline d’Urfé, à Saint-Martin-la-Sauveté (Loire) ont tourné au supplice pour l’estomac de Ian Lavesey. Les contreforts du Forez se méritent. L’éleveur britannique peut en témoigner. Mais l’amour de la salers est plus fort que quelques désagréments digestifs. Dans la famille Lavesey, c’est la grand-mère, Ann, qui a eu le coup de foudre. « Elle a acheté les premières salers en 1987. Je suis né en 1990 », pose le trentenaire, au milieu d’un groupe d’une dizaine d’éleveurs écossais, invités en ce lundi gris sur l’exploitation de Lionel et Rémy Butin par Laurent Antignac.
Le marchand de bestiaux, à la tête d’Elite export, commerçait déjà avec la grand-mère et continue avec le petit-fils. Outre la qualité du travail des deux frères, installés en bio et finissant la plupart de leurs animaux, la localisation de ce rendez-vous de veille de Sommet de l’élevage, qui a ouvert ses portes mardi à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) et les ferme ce soir, ne doit rien au hasard.Laurent Antignac et Lionel Butin expliquent tout l'intérêt agronomique et alimentaire de la luzerne à la délégation écossaise.
« La topographie du terrain ici ressemble à celle des Borders ou des Highlands dont sont issus les éleveurs écossais, dont seulement deux ou trois ont aujourd’hui des salers. Ils vont pouvoir se rendre compte que la race est adaptée pour chez eux. J’aime bien proposer ce qui correspond. Car chaque pays a ses préférences sur les modèles de salers : couleurs, taille, cornes, etc. », glisse-t-il. L’avenir dira si cette visite et les quatre jours du salon auront converti de nouveaux scottishs au charme de la belle à la robe acajou. Mais Ian veut déjà acheter un nouveau taureau. « Le problème, c’est qu’avec la crise sanitaire de la FCO et de la MHE, on ne peut pas importer de France pour l’instant », regrette-t-il.
Si cette année, les restrictions sanitaires ont refroidi un certain nombre d’acheteurs habituels, Laurent Antignac, spécialise de la race salers, ne se fait pas trop de souci et sait ce qu’il doit au Sommet. « Je réalise la quasi totalité de mon chiffre d’affaires grâce aux contacts noués sur le salon. L’an passé, sur les 1.000 têtes que j’ai vendues, 30 % sont parties dans les Balkans, 20 % en Géorgie et en Espagne, viennent ensuite l’Écosse et l’Irlande. Pour cette édition, j’avais déjà une centaine de rendez-vous calés en amont », énumère-t-il.
Au fil des ans, Laurent Antignac a assisté à la montée en puissance de la clientèle internationale. « Le Sommet fait un énorme travail de promotion et n’oublie jamais de mettre en avant notre savoir-faire génétique. Benoît (Delaloy, N.D.L.R le responsable international, lire ci-contre) a un rôle central. On pourrait presque le transformer en émoticon. Tout le monde le connaît », félicite-t-il. Avec plus de 5.000 visiteurs en provenance d’une centaine de pays, sur les 120.000 attendus cette année, le Sommet de l’élevage porte à merveille son titre de “Mondial de l’élevage durable”. La planète entière, et pas seulement l’Europe, s’y donne rendez-vous pour faire ses courses. Même les pays dont on ne soupçonnerait pas la présence en ces temps géopolitiques troublés comme l’Iran. Alors que Téhéran est au bord d’une guerre ouverte avec Israël, une petite délégation a quand même effectué le déplacement en Auvergne.Vida et Shima Ehsannia, à la tête d’une grosse exploitation laitière, en compagnie de Mohsen Abbasi, éleveur laitier également et Afrand Sheikholeslami, représentant du Sommet en Iran. Mais inutile d’essayer d’évoquer la situation politique. En revanche, quand il s’agit de parler élevage, les langues se délient vite. Leur père, Amirhussein, n’ayant pas obtenu son visa, les deux sœurs Vida et Shima Ehsannia sont venues avec une liste bien précise en France. Le paternel, jamais très loin par la magie des conversations vidéos, entend mettre les choses au clair d’entrée : « L’Iran est un grand pays laitier, le deuxième au monde derrière les États-Unis. Nous n’avons rien à leur envier en matière de modernité », explique-t-il tout en filmant l’exploitant d’Azadeh, aux portes de Téhéran, qui compte 8.500 holsteins et produit 150.000 litres de lait par jour. Un lait de qualité transformé par le Lactalis iranien, Klai, et exporté essentiellement en Russie et en Chine.
« Nous avons besoin de gros tracteurs, de machines et de semences pour augmenter la production de nos vaches. Le problème, c’est qu’avec les sanctions, il est difficile de trouver des sociétés qui veulent commercer avec nous », glissent les deux sœurs qui ne désespèrent pas de parvenir à remplir leur caddy. Dans l’intimité des stands, il leur faut pour cela trouver des entreprises qui acceptent de fonctionner via des sociétés écrans basés à Dubaï ou dans d’autres pays arrangeants afin de contourner les sanctions de Washington. Une mission difficile mais pas impossible. La preuve, les Iraniens, certes en nombre variable, sont fidèles chaque année au Sommet.Owais Raheem (à droite), magnat de l'immobilier pakistanais, voudrait aider les petits éleveurs de son pays afin d'enrayer l'exode rural. Le rendez-vous auvergnat attire des profils plus atypiques. Owais Raheem, magnat de l’immobilier à Islamabad, à la tête, selon ses dires, de 1.000 sociétés, a fait le déplacement dans un but plus philanthropique. « Je suis là pour essayer de nouer des partenariats afin d’aider les petits éleveurs de mon pays à se professionnaliser et éviter ainsi l’exode rural qui est très fort. En augmentant les cheptels et la productivité, ils pourraient mieux vivre de leur travail. Il y a aussi la piste de la transformation fromagère. Nous privilégions la chèvre car le risque financier est moindre », avance-t-il, se disant prêt à financer sur sa fortune la modernisation de centaines de fermes au Penjab, Cashmire et KPK.
Le Pakistanais reste cependant un peu sur sa faim. « Les interlocuteurs que j’ai eus ici connaissent mal le Pakistan qui est pourtant un grand pays agricole de 300 millions d’habitants. Je leur ai dit : vous travaillez avec la Turquie, l’Iran, pourquoi ne pas pousser plus loin ? », lâche-t-il.
"Le plus grand show du continent"Mais si les visiteurs étrangers viennent essentiellement au Sommet pour faire leurs courses en produits français, certains sont là aussi pour vendre. C’est le cas de Ricardo Cantarelli, un Argentin branché sur du 10.000 volts. Après avoir créé un pôle génétique dans la région de Salamanque en Espagne, il entend désormais vendre en Europe d’Angus et de Hereford. « Le Sommet est le plus grand show du continent. L’an prochain, nous prendrons un stand. Notre but est notamment de faire la promotion du croisement red angus Argentine limousine. Cela donne d’excellents résultats. Les animaux grossissent plus vite en mangeant moins. C’est plus rentable et meilleur pour l’environnement », fanfaronne-t-il, sûr de son fait.L'Argentin Ricardo Cantarelli entend vendre des semences de red angus sud-américaine en Europe pour des croisements avec la race limousine. Sur le même continent sud-américain, Juan Lozano Berrios, importateur de matériels d’élevage au Pérou, est à la recherche de nouvelles sociétés à représenter. « Je m’intéresse à tout ce qui est automatisation dans les élevages, comme les robots de traite. Je suis déjà importateur exclusif de la firme italienne Merlo. Et j’ai justement eu des discussions avec deux sociétés françaises qui fabriquent justement des accessoires pour Merlo. On m’avait conseillé de venir ici en raison de la taille de la manifestation. Je ne suis pas déçu. L’an prochain, je reviendrai même avec des clients », assure-t-il.Le Péruvien Juan Lozano Berrios en compagnie de Yael Vuilleminroy, consultante du Sommet de l'élevage pour l'Amérique du sud. Les contacts noués pendant les quatre jours de la manifestation se traduisent par des centaines de contrats qui nourrissent pendant l’année le carnet de commandes des 1.650 exposants qui colonisent les quelque 100.000 m2 de surface. Reste que le Sommet de l’élevage ne se résume pas à du business en argent sonnant et trébuchant. Il existe un autre volet, peut-être aussi important, celui des coopérations internationales.
16.000 adhérents et 4,5 millions d'animauxLa veille du Jour J, lundi, une délégation marocaine s’est rendue sur le site de Fedatest, une station de testage boucher pour cinq races ovines allaitantes, à Mazeyrat d’Allier (Haute-Loire). À sa tête, Hassan Agdim, directeur des filières de production au ministère de l’Agriculture marocain, et Saïd Chatibi, le directeur de l’Anoc, association ovine et caprine qui regroupe 16.000 adhérents et 4,5 millions d’animaux. Confrontés au changement climatique et à la raréfaction des ressources fourragères, les professionnels marocains veulent généraliser le recours à l’insémination artificielle afin de gagner en productivité.Jean-Luc Chauvel, de Fedatest, discute insémination artificielle en compagnie des responsables marocains Saïd Chatibi (à gauche) et Hassan Agdim (à droite).
« Nous voulons passer d’un agneau par an par brebis à trois en deux ans », dévoilent les deux hommes. Pour y parvenir, un protocole d’accord a été signé avec Fedatest. « L’objectif est notamment d’apporter une forme d’expertise dans l’évolution de leur schéma génétique », avance Jean-Luc Chauvel, responsable de Fedatest pour l’international.
Dans le même esprit, une délégation malgache est également de la partie. Dans le cadre d’un jumelage avec la France et l’Italie, financée par l’UE, pour renforcer la surveillance du contrôle qualité et de la conformité sanitaire, des responsables du ministère de l’Agriculture ont multiplié les contacts.Jocelyn Merot, responsable du jumelage entre Madagascar et la France et l’Italie, a piloté une délégation très intéressée par le développement de partenariats.
« L’un de nos objectifs est de nouer des partenariats autour de la formation de nos techniciens et plus globalement de moderniser notre élevage grâce à la génétique et au matériel. Nous sommes ouverts aussi à des partenariats privés. Le Sommet est une bonne vitrine des savoir-faire adaptés aux besoins de Madagascar. C’est une vraie source d’inspiration », résume Andritiana Luc Randrianaivomanana, coordinateur général des projets et des partenariats au ministère de l’Agriculture malgache.