Grèves dans les ports américains : « Nous sommes à l’aube d’une désorganisation globale du transport maritime »
Le 1er octobre 14 ports de la côte Est des Etats-Unis ont entamé une grève massive qui paralyse les échanges maritimes entre le Nouveau et l’Ancien continents. En jeu : le contrat qui liait depuis six ans l’International Longshoremen’s Association (ILA), syndicat de dockers, et la United States Maritime Alliance (USMX). Il est arrivé à échéance lundi 30 septembre à minuit sans que les deux parties aient pu se mettre d’accord sur les termes d’un nouveau contrat entrainant un important mouvement de grève. Emilie Pierron, Trade manager pour l’Amérique chez Kuehne + Nagel France, répond aux questions du Moci sur ses conséquences immédiates
Le Moci. Au deuxième jour de cette grève, quelle est la situation sur place ?
Emilie Pierron. Depuis le 1er octobre à minuit heure de New York, les 14 ports de la côte Est et du Golfe du Mexique sont fermés, de Boston jusqu’à Houston, à l’exception du port de Chester, en Pennsylvanie, où les dockers ne sont pas affiliés à l’ILA. On ne sait pas quand reprendront les négociations, c’est la grande inconnue. L’USMX a fait une dernière proposition le 30 septembre avec une augmentation de 50 % des salaires sur six ans, rejetée par l’ILA qui demandait une hausse de 77 %.
« Les compagnies maritimes commencent à invoquer la force majeure »
Le Moci. Quelles sont les conséquences de cette grève sur les échanges entre l’Europe et les Etats-Unis ?
Emilie Pierron. Les navires qui vont toucher les États-Unis sont à l’ancre devant les ports en attendant d’être reroutés. Les compagnies maritimes commencent à invoquer la force majeure, ce qui signifie qu’en cas de déviation, les coûts sont à la charge du propriétaire de la marchandise. Ils commencent également à annoncer des annulations d’escales. Nous nous attendons également à des annulations de voyages en cascade, plus communément appelés des blank sailings.
Le Moci- Quelles sont les alternatives possibles actuellement pour les navires en provenance d’Europe ?
Emilie Pierron. Il n’y aurait pas de reroutage vers la côte Ouest des États-Unis via le canal de Panama car les dockers californiens sont solidaires de leurs collègues de la Côte Est et du Golfe et ont déjà annoncé qu’ils refuseraient de travailler d’éventuels navires reroutés. Quant au Canada, à l’heure où je vous parle, nous n’avons pas connaissance de reroutage vers Montréal dont deux des quatre terminaux sont en grève depuis lundi et jusqu’à jeudi. Cette grève pourrait être reconduite. Le port d’Halifax est de faible capacité et sitôt quelques navires arrivés, il serait rapidement congestionné.
« Vers une dérégulation des délais de mer »
Le Moci- Comment pourrait évoluer cette situation ?
Emilie Pierron. On risque de voir des navires à l’ancre devant les ports et des marchandises qui restent bloquées dans les ports d’origine mais aussi dans les usines. On sait qu’un jour de grève dans les ports américains requiert 5 à 7 jours pour revenir à une la normale. Les grandes entreprises et l’administration américaines pensent qu’une semaine de grève est tenable, mais au-delà ça va être beaucoup plus compliqué. Il faut agir sereinement car nous sommes à l’aube d’une désorganisation globale du transport maritime, au-delà des États-Unis. On risque d’avoir un gros déséquilibre entre l’offre et la demande, les conteneurs qui sont bloqués dans les ports américains vont manquer en Europe, au Moyen-Orient et en Asie. Si la grève dure, il va y avoir un problème d’accès à l’équipement.
Le Moci- Nous sommes donc repartis dans une crise majeure du transport maritime.
Emilie Pierron. Oui, nous allons clairement vers une dérégulation des délais de mer. Tous les trades pourraient être touchés même s’ils ne concernent pas les États-Unis. Entre l’Europe et les États-Unis, les prix augmentent depuis mi-juillet car les gros exportateurs européens ont pris les devants de cette grève. Entre août et septembre, le prix du transport maritime a été multiplié par deux et par trois entre août et octobre.
Le Moci- Quels conseils donneriez-vous aux chargeurs ?
Emilie Pierron. De rester serein et de prendre patience. En outre, mieux vaut ne pas mettre ses œufs dans le même panier et ne pas rerouter par exemple la totalité de sa marchandise vers une seule et même destination.
Propos recueillis par
Sophie Creusillet
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