Ils ont pu observer le plus grand mammifère des forêts de Haute-Loire
Chanceux qui comme Romain a fait un long voyage samedi jusqu’à l’observatoire de Combeneyre, sur les hauteurs d’Arlet, pour assister à la Nuit du brame, orchestrée par la Fédération des chasseurs de Haute-Loire. Jumelles devant les yeux, le jeune homme figurant parmi la trentaine de convives, a pu observer jusqu’au crépuscule un daguet (un jeune mâle), une biche et son faon, puis une biche à nouveau… Tous des descendants, plus ou moins directs, « des cerfs du parc de Chambord », lui a appris Hugues Giraud, le technicien cynégétique de la Fédération des chasseurs, se référant à une date clé.
Le site qui offre une vue imprenable sur l’autre versant de la vallée, accueille familles et groupes d’amis sans laissez-passer. Seul prérequis : rester discret pour ne pas effrayer les cervidés. Photos Ophélie CrémillieuxRéintroduction1965. Cette année-là, deux mâles capturés « dans les grandes forêts de plaine du bassin parisien », accompagnés de trois biches, sont lâchés à Aubazat, à deux pas d’Arlet, pour repeupler le massif de Combeneyre, où le grand cervidé n’a plus été vu depuis un siècle (il a disparu du sol altiligérien et de bien d’autres contrées après la Révolution française). Six autres animaux sont également réintroduits sur le Haut-Allier, à Monistrol-d’Allier, sous l’impulsion de la Fédération de chasse. Son président de l’époque, Jean de Lachomette (par ailleurs sénateur de Haute-Loire), est alors convaincu que la réintégration de l’espèce est gage « de développement touristique pour ce coin du département un peu dépeuplé… Il avait vu juste ! », l’en félicite Hugues Giraud.Technicien cynégétique à la Fédération des chasseurs de Haute-Loire, Hugues Giraud a emmené samedi une petite trentaine de personnes - parmi lesquelles de nombreux Ligériens - jusqu’à l’observatoire de Combeneyre à Arlet, pour leur présenter le cerf, son histoire, son mode de vie, ou encore le plan de gestion inhérent à l’espèce, dans le cadre de la Nuit du brame. Une action de sensibilisation populaire, portée par la Fédération de chasse, qui n’a lieu qu’un soir par an…Près de soixante ans plus tard, photographes animaliers, chasseurs de grand gibier et de mues (les bois du cerf), mais aussi curieux de nature arpentent encore et toujours de temps à autre le massif de Combeneyre (qui s’étend de Venteuges à Saint-Hilaire), où le plus grand mammifère des forêts altiligériennes est désormais bien installé.
RépartitionLe majestueux cervidé, à l’affiche du film Bambi, l’histoire d’une vie dans les bois, de Michel Fessler, dont la sortie est prévue le 16 octobre, est aujourd’hui visible sur quasi toute la moitié ouest du département, de Léotoing jusqu’à Chamalières-sur-Loire et Pradelles, plus au sud. Soit une cinquantaine de communes et 65.000 hectares de terrain… Un bien vaste territoire, sur lequel sa répartition est toutefois « très hétérogène », souligne le technicien. Comptabilisés chaque année, en cette période des amours (lire ci-dessous), « les cerfs bramant se concentrent sur cinq ou six secteurs » : Ferrussac, Chastel et Cronce, Desges et Chazelles, Aubazat et Arlet évidemment. « Ailleurs, reprend Hugues Giraud, les animaux sont présents en nombre moins important. »
Place de brameÀ son arrivée à l’observatoire de Combeneyre pour un concert retentissant, le petit groupe ne le savait pas encore, mais « tous les cerfs ne brament pas », leur a indiqué leur éclaireur à la nuit tombée.
«?Plus les animaux sont concentrés, plus le brame est intense?»Ce sont surtout ceux qui cherchent à occuper « les places de brame » et à asseoir leur autorité, que les hôtes des bois d’Arlet ont entendu samedi - au loin d’abord puis, plus intensément à l’heure où les jumelles avaient perdu leur fonctionnalité -, à défaut de les apercevoir à travers l’objectif de la longue-vue, installée à flanc de colline pour scruter tous les faits et gestes sur l’autre versant de la vallée. Ces cerfs dominants, appelés « maîtres de place », sont âgés « d’au moins 6 ou 7 ans ». Les individus plus jeunes, quant à eux, « jouent les seconds rôles », précise Hugues Giraud.D’ailleurs, si les cerfs poussent un cri rauque et puissant - en particulier au lever du jour et au crépuscule -, ce n’est pas tant pour gagner les faveurs des biches, mais plutôt « pour intimider » leurs rivaux. « On peut imaginer que les femelles réceptives en profitent pour se rapprocher des mâles », mais ce n’est pas la raison première du brame, audible de septembre à octobre. « Plus les animaux sont concentrés, renchérit le guide, plus il va être intense et durer longtemps. Si un cerf est seul avec une biche et qu’il n’y a pas de concurrence, il ne va pas forcément bramer ou alors sans y mettre du coffre. Ça va passer inaperçu »…
Lancée début septembre, la période des amours touche à sa fin. Les curieux ont jusqu’à la mi-octobre pour écouter le brame, de préférence sur un secteur où les cerfs sont présents en nombre comme à Arlet, mais aussi Aubazat, Ferrussac, Cronce etc.AffrontementsPromesse d’un concert mélodieux, le rut est aussi synonyme d’affrontements violents sur le terrain. Une guerre de territoire qui fait son lot de victimes. « Chaque année, rappelle Hugues Giraud, on a des morts dues au brame ». Certains cervidés restent accrochés et s’épuisent ; d’autres, blessés au flanc ou à la gorge par les bois adverses, succombent. Depuis le début du mois de septembre, « quatre cerfs » ont été trouvés inanimés en Haute-Loire.
DiscrétionÀ l’issue du brame, qui s’achève mi-octobre, les cerfs redeviennent silencieux et se font plus discrets dans les fourrés. « En novembre, ils quittent le groupe de femelles et ont tendance à s’isoler », sans pour autant parcourir de grandes distances. « Certains restent sur de petits périmètres, de 15 hectares environ », observe le technicien.Quelques indices permettent toutefois de savoir qu’il n’est pas loin, même si on ne le voit et ne l’entend pas. À commencer par les empreintes que cet animal, pesant jusqu’à 250 kg, laisse derrière lui. Autres signes qui ne trompent pas : la présence de souilles (des flaques de boue dans lesquelles il se roule), mais aussi les traces d’écorçage sur les troncs (en hiver surtout) et d’abroutissement sur les jeunes arbustes.
PrédationDit responsable de dégâts forestiers et de dommages occasionnés aux cultures (lentilles et céréales notamment), le grand mammifère, qui n’a à craindre aucun prédateur si ce n’est l’Homme, fait l’objet d’un plan de gestion depuis la fin des années 1990. En cette nouvelle saison de chasse aux cervidés (qui s’ouvre samedi 19 octobre), près de 1.300 bracelets (biches et cerfs confondus) ont été attribués à une centaine d’associations communales de chasse agréées (Acca) de Haute-Loire.
Ophélie Crémillieux