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Октябрь
2024

Attaque de l'Iran contre Israël : "Téhéran devait réagir pour ne pas perdre toute crédibilité" selon le politiste Thierry Kellner

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L’État hébreu et son allié américain ont déjà menacé de répondre à l’attaque menée mardi 1er  octobre par l’Iran, qui a tiré plus de 180 missiles sur le territoire israélien pour venger la mort des chefs du Hezbollah et du Hamas. En attendant, la population israëlienne est sous le choc. “Dans ses pires cauchemars, personne en Israël n’aurait pu imaginer que la vie ressemblerait à cela” un an après les attaques du 7 octobre, remarque quotidien israélien Ha’Aretz. À l’approche des fêtes de Roch Hachana, le nouvel an juif, “l’inquiétude croissante suscitée par les missiles lancés depuis l’Iran fait que les familles qui souhaitent se retrouver pour les fêtes ont peur de voyager, car elles redoutent de nouvelles attaques”.

Pour mieux comprendre les enjeux, nous avons interrogé Thierry Kellner, maitre de conférence au département de science politique de l'Université libre de Bruxelles et spécialiste des relations internationales, en particulier sur l’Iran et le Moyen-Orient. Auteur de plusieurs ouvrages sur la région, dont Histoire de l'Iran contemporain (éditions La Découverte), l'expert éclaire les motivations profondes de Téhéran et les possibles conséquences de ce bras de fer.

Est-ce que vous avez été surpris par cette réaction de l'Iran, ou est-ce que c'était quelque chose auquel on pouvait s'attendre ?

J’ai été surpris. Les commentateurs dans leur grande majorité ne s'attendaient pas à une riposte de l'Iran. Mais en prenant un peu de recul, on se rend compte que Téhéran était face à un dilemme après les opérations israéliennes, particulièrement meurtrières à l'encontre du Hezbollah. L'Iran était donc sur la défensive. Il devait réagir, sinon il risquait de perdre toute sa crédibilité, notamment auprès de ses alliés. On a d'ailleurs entendu au Liban beaucoup de critiques sur le manque de réaction, accusant l'Iran d'abandonner ses alliés. Il était donc nécessaire que l'Iran réagisse, et il l'a fait de manière assez spectaculaire, ce qui a surpris de nombreux observateurs.

Quelles sont, selon vous, les motivations profondes de cette réaction spectaculaire de l'Iran ?

Je dirais qu'il y a deux motivations principales : la crédibilité et la dissuasion. La crédibilité, vis-à-vis de ses alliés comme le Hezbollah et le Hamas, qui ont subi des revers importants récemment, notamment avec la décapitation du Hezbollah. L'Iran a toujours été en retrait, mais cette fois, il a voulu montrer qu'il avait les moyens et la capacité d'agir. La deuxième motivation, c'est la dissuasion. En envoyant 180 missiles - ce dont se sont félicités les Gardiens de la Révolution - l'Iran a laissé entendre qu'il en possédait encore beaucoup d'autres et que si Israël ripostait, il pourrait répondre à nouveau et actvier ses équipements. Donc, je pense que les deux termes clés ici sont la crédibilité et la dissuasion.

Mais cette action semble contradictoire avec la ligne de la présidence iranienne, qui semblait récemment s’ouvrir à des discussions avec les Occidentaux...

Absolument, cela semble contradictoire. La présidence iranienne avait envoyé des signaux d'ouverture vers les Occidentaux, y compris les États-Unis. Le président iranien avait même rencontré, dans le cadre de l'Assemblée générale des Nations Unies, un expert israélien, ce qui était une première depuis 1979. Mais l'action militaire d'hier semble refléter une autre ligne au sein du pouvoir iranien, peut-être celle des factions plus radicales, comme les Gardiens de la Révolution. Cela montre aussi les divisions au sein du pouvoir iranien.

Pensez-vous que cette situation pourrait mener à une guerre ouverte entre l'Iran et Israël ?

Pour l'instant, du côté iranien, le message semble être : « Nous avons réagi, et maintenant ça s'arrête là. » Mais la balle est dans le camp israélien. Le problème avec cette attaque, c'est qu'elle donne à Israël l'opportunité de frapper directement l'Iran. Les missiles iraniens étaient une agression internationale directe contre Israël, ce qui pourrait justifier une riposte israélienne. Toutefois, la question est de savoir si cela est vraiment dans l'intérêt d'Israël. Une attaque directe contre l'Iran pourrait renforcer le régime en suscitant un ralliement national autour du pouvoir, même si la population iranienne est actuellement mécontente du gouvernement. Israël pourrait aussi opter pour des actions plus ciblées, comme des cyberattaques, qui pourraient paralyser et affaiblir le régime sans provoquer une conflagration totale et en épargnant la population. 

L'élimination du chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a-t-elle eu un impact significatif pour l'Iran ?

Oui, absolument. Hassan Nasrallah était à la tête du Hezbollah depuis plusieurs décennies et il entretenait des relations très étroites avec les Gardiens de la Révolution et la théocratie iranienne, y compris avec le Guide suprême. Sa disparition, ainsi que celle de pratiquement toute la direction du Hezbollah, est un coup très dur pour l'Iran. Cela remet en cause sa politique de projection de puissance au Levant et affaiblit considérablement son influence dans la région.

La décapitation du Hezbollah est un revers majeur pour l'Iran, et c'est probablement l'une des raisons pour lesquelles il a réagi avec autant de vigueur récemment.

Certains observateurs estiment qu'Israël pourrait profiter de cette escalade pour s'en prendre aux infrastructures nucléaires iraniennes. Pensez-vous que cela soit une option réaliste ?

C'est une possibilité, mais c'est très compliqué. Les Iraniens ont enterré leurs infrastructures nucléaires très profondément, ce qui rend une attaque difficile. Même une attaque réussie ne ferait probablement que ralentir le programme, sans le détruire complètement. Il y a aussi des doutes sur l'efficacité d'une telle attaque. Plusieurs responsables militaires israéliens ont exprimé des réserves sur la possibilité de détruire totalement le programme nucléaire iranien, car il est dispersé, enterré. Une solution plus durable serait un changement de régime en Iran. Mais une guerre internationale est-elle le bon moyen ?  Je n'en suis pas sûr. Cela pourrait paradoxalement renforcer le régime en suscitant un nationalisme iranien.

Pour conclure, pouvez-vous nous rappeler les raisons historiques de cette hostilité entre Israël et l'Iran ?

Cette hostilité fait partie intégrante de l'ADN de la République islamique. Dès sa fondation en 1979, le régime iranien s'est construit en opposition à l'Occident, et notamment aux États-Unis, dont Israël est un allié clé au Moyen-Orient. La cause palestinienne a également été un levier important pour l'Iran, car elle permettait au régime de se légitimer auprès du monde arabe, tout en masquant le fait que l'Iran est un pays chiite. Avant 1979, sous le Shah, les relations entre Israël et l'Iran étaient d'ailleurs excellentes. Les deux pays coopéraient étroitement, et de nombreux Juifs iraniens vivent aujourd'hui en Israël. Ces deux pays se connaissent très bien. Il n'y a pas de contentieux territorial ou frontalier entre les deux pays ; cette hostilité est donc avant tout politique et idéologique.

Recueillis par Nicolas Faucon