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Сентябрь
2024

Assistants parlementaires : un procès en travers de la route du Rassemblement national vers l'Elysée

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La justice soupçonne le parti d'extrême droite d’avoir eu recours à des emplois fictifs au Parlement européen de 2004 à 2016 : des assistants parlementaires d’eurodéputés FN auraient, en fait, travaillé pour le parti. Le procès s'ouvre lundi 30 septembre à Paris, avec notamment Marine Le Pen, Julien Odoul et Bruno Gollnisch sur le banc des 27 prévenus. Le délibéré est attendu le 27 novembre.

C’est un procès dont le Rassemblement national, tout à l’euphorie de ses succès électoraux et de sondages prometteurs, se serait bien passé : au regard du quantum des peines, d’abord, pouvant atteindre jusqu’à dix ans d’emprisonnement, un million d’euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité?; au regard, ensuite, du nombre de prévenus - 27 et pas des moindres - la plupart soupçonnés d’avoir détourné, entre 2004 et 2016, des fonds européens destinés à l’embauche d’assistants parlementaires et non à la rémunération de cadres du parti.

Comme son père alors également dirigeant, Marine Le Pen est poursuivie des chefs de « complicité, par instructions, de détournement de fonds publics ». Le premier aurait sans doute goûté cette tribune offerte à sa verve, pas la seconde, dont le verbe voulu aussi rare que policé s’inscrit dans une réelle conquête du pouvoir.

« Jean-Marie Le Pen, rappelle Tristan Berteloot, grand reporteur au quotidien Libération et auteur de "La Machine à gagner" (Seuil). Révélations sur le RN en marche vers l’Élysée*, se plaisait à jouer les trublions pour s’assurer de sa disqualification, soufflant au besoin sur les braises des origines sulfureuses du Front national. Plus ambitieuse que doctrinaire, Marine Le Pen n’a de cesse de soigner les apparences. »

De fait, le père avait fait du FN une rente. Cette mentalité de propriétaire, plus que de locataire, lui a fait préférer sa demeure bourgeoise - héritage contesté de l’industriel Hubert Lambert - nichée dans le parc de Montretout, sur les hauteurs de Saint-Cloud, au palais de l’Élysée.

Bien d’extrême droite

Sa fille se voit déjà accueillir son monde sur le perron. « La marche n’est plus aussi haute qu’avant, note Tristan Berteloot. La candidate a comblé son déficit de crédibilité et forme avec Jordan Bardella un duo qui ratisse large : lui, séduit le jeune électorat populaire masculiniste?; elle, conserve l’électorat plus ancien du parti. »

« C’est, poursuit le journaliste, tout un parti qui est en ordre de marche, galvanisé par les succès électoraux qui s’enchaînent et un accueil médiatique de plus en plus complaisant. C’est ainsi à la demande de ses cadres que l’étiquette d’extrême droite ne lui est plus accolée alors que le RN en partage bien des traits : nationalisme, discrimination, préférence nationale, liberté de la presse entravée, Conseil constitutionnel et Conseil d’État contestés, électeurs pour beaucoup xénophobes, proximité avec les partis illibéraux… Les chaînes d’info en continu invitent bien plus ses cadres que ceux d’autres partis à réagir, a fortiori sur les faits divers, son fonds de commerce. » Et la complicité d’une partie des médias croise la duplicité de partis et de candidats à la présidentielle, qui en affirmant - contre toute évidence - l’équivalence entre le RN et LFI, qui en adoubant - par des discours à double tranchant -, Marine Le Pen pour le second tour.

« Les “pestiférés” d’hier sont aujourd’hui des interlocuteurs comme les autres, pointe Tristan Berteloot. C’est dire le succès de l’entreprise de dédiabolisation puis de normalisation et désormais de notabilisation du parti. Dès les années 1980, Jean-Marie Le Pen a voulu rompre avec l’image d’antisémitisme?; dernier verrou à sa normalisation, disait Louis Aliot. Aujourd’hui, sous couvert de défense des juifs, le RN attaque toujours plus violemment l’Islam. Mais la communauté juive reste vigilante. Longtemps chahutée, Marine Le Pen est plus tolérée qu’acceptée dans les marches contre l’antisémitisme. Le vote juif lui résiste encore largement. Mais, profitant des atermoiements de LFI quant à la qualification des attentats du 7 octobre, le RN s’emploie à coller l’étiquette antisémite à LFI voire à la gauche. »

Les Horaces

Sur le plan social, le RN récite sa vieille antienne. « La ligne défendue par Florian Philippot, soulève Tristan Berteloot, n’a guère qu’élargi un discours dont l’épicentre reste la stigmatisation des immigrés prenant aux Français leur travail et les places dans les logements sociaux. Autant que de la réalité de la disparition des services publics dans les zones rurales, l’inflexion de ce discours se nourrit de la thèse d’un abandon des classes populaires par la gauche socialiste et des promesses les plus outrancières non tenues comme celles de Nicolas Sarkozy de nettoyer les quartiers au Kärcher. »

Et cette ligne initiale du FN s’enrichit : « Composés de hauts fonctionnaires, d’anciens membres de cabinets ministériels et de cadres de grandes entreprises comme François Durvye, bras droit du milliardaire identitaire Pierre-Édouard Stérin, les Horaces, véritable cabinet “brun” à destination des élites, ont l’oreille du parti. Et de nombreux mégrétistes gravitent autour de Marine Le Pen. Les Horaces ont retenu les leçons de l’échec de 2017, notamment du débat télévisé, et travaillent à plus de professionnalisation et de réseautage. En 2022 et 2024, la stratégie a payé. »

Le procès qui commence ce lundi pourrait -il enrayer cette dynamique?? « Critiques du système, coupe Tristan Berteloot, les électeurs du RN refusent de voir l’implication de Marine Le Pen et Jordan Bardella. Comme en témoigne l’affaire des kits de campagne Jeanne en 2012 pour laquelle le RN a été condamné, ses besoins d’argent ne datent pas d’aujourd’hui. Mais, législatives après législatives, la manne légale des fonds publics lui est plus ouverte… » (*) Seuil, 2024, 19,50 euros.

Jérôme Pilleyre