"A aucun moment, il y avait une stratégie de ne pas traiter les demandes" : le PDG d'Indexia Sadri Fegaier auditionné
Il est près de 14 heures, ce lundi 30 septembre, quand Sadri Fegaier se présente face aux juges. Et le PDG d'Indexia, jusque-là silencieux depuis le début de son procès, une semaine plus tôt, se montre d'abord bavard, voire prolixe.
"Si vous me permettez, je vais faire un historique de notre société Sfam, démarre-t-il. On exerce depuis le début des années 2000, pour la conception de contrats d'assurance, avec des assureurs comme MMA et Axeria. Ils étaient commercialisés auprès de distributeurs : SFR, Fnac-Darty, Géant Casino..."
"Nous sommes passés de 50 salariés en 2015 à plus de 2.500 en 2018, pour plus de deux millions de vente par an. C'est beaucoup de clientèle, une très forte croissance, des fonds d'investissement sont entrés dans le groupe", détaille-t-il.
De quoi justifier, d'après l'homme d'affaires, qu'"avec de tels volumes (2.500 magasins, 6.000 vendeurs), il peut y avoir des problématiques. Mais à chaque fois, on mettait des plans d'action en place pour les corriger". Une phrase répétée à maintes reprises durant ses six heures d'audition (sans pouvoir toutefois fournir des éléments écrits prouvant ces dires).
Près d'un million de réclamations"Ce qui vous est reproché, ce sont des process de formation, des scripts, internes à votre entreprise" (mis en place pour faire échouer les demandes de résiliation et de remboursement d'après les enquêteurs, N.D.L.R.), recadre la présidente de l'audience. Cette dernière s'étonne aussi de cette "galaxie de sociétés qui se trouvent dans les mêmes locaux, avec la même direction, les mêmes documents de formation, un seul logiciel de traitement des demandes, et un fichier client commun."
"On compte près d'un million de réclamations entre 2014 et 2020 d'après vos données internes. 70 personnes au maximum au 'service qualité' pour traiter ce flux de demandes, ça vous semblait proportionné ?", questionne-t-elle ensuite. "Oui, on n'avait pas de retard sur ces sujets là. Si le délai de traitement était trop long, on recrutait. A aucun moment, il y avait une volonté de ne pas traiter les demandes des clients." Plus de 1.600 d'entre eux se portent toutefois partie civile dans ce procès pour "pratiques commerciales trompeuses" notamment.
Heureusement, on avait énormément de clients satisfaits. C'était notre priorité. Ce n'est pas de la provoc' de dire ça.
Sadri Fegaier assure également que "l'objectif était d'avoir au moins 95% de satisfaction" des clients. Et, fait-il valoir, "on a recruté en France. On a racheté le site de Roanne qui allait fermer ; M. Zeimetz (représentant du personnel CFDT, N.D.L.R.) oublie de le dire. On a formé les personnes. On aurait pu faire différemment et créer une société très loin de France, comme certains concurrents."
Mais lorsque la juge rentre dans le détail des "pratiques trompeuses et discours mensongers", afin de faire durer les contrats dans le temps et ne pas les rembourser, en revanche, Sadri Fegaier se montre beaucoup moins disert. Sur écran géant, de multiples documents accablants sont montrés au tribunal.
Ils font état d'"astuces commerciales". C'est-à-dire des "éléments de langage" mensongers à tenir par les téléconseillers, visant par exemple à leur faire croire faussement que leurs demandes de résiliation et/ou remboursement étaient prises en compte. "Je ne sais pas d'où sortent ces documents ; je vous assure que je les découvre. Ils n'ont pas été validés par la direction ou le service juridique. Si je les avais vus, ils auraient été modifiés", promet-il (quand bien même le Service national des enquêtes lui en a présenté certains il y a plusieurs années, affirme la procureure, N.D.L.R.).
"Ils ont pourtant été saisis dans vos locaux sur les plateaux de téléconseillers et transmis à vos avocats", lui rétorque la juge. "A aucun moment, il y avait une stratégie de ne pas traiter les demandes des clients. C'était interdit chez nous", persiste Sadri Fegaier. Qui évoque "des problèmes à la marge".
"Il y a une différence entre ce qui va être saisi (dans le logiciel) et ce qu'on va dire aux clients."
Quand bien même d'autres éléments - désormais des tableaux de mail, envoyés toutes les deux semaines par mail à la directrice qualité -, présentés sous ses yeux, disent le contraire. "Comment est-ce possible que vos téléconseillers sont formés durant des années à tenir ces éléments de langage ?", demande la magistrate. Pas de réponse, cette fois.
"On voit que l'idée c'est d'épuiser le client. Et quand enfin on lui donne un petit peu, il ne va pas réclamer le reste", analyse pour sa part la juge.
Des prélèvements indûment effectués : "Ça me rend malade", jure Sadri FegaierDurant plusieurs jours, en fin de semaine dernière, certaines des victimes présumées des pratiques d'Indexia ont fait part des difficultés financières et souvent psychologiques que des "multiplications incontrôlées de prélèvements" sur leurs comptes bancaires ont provoqué. Jusqu'à 127 en un mois pour le cas le plus extrême. Qu'est-ce que cela inspire à Sadri Fegaier ? "Je comprends complètement le désarroi et l'agacement de ces clients, répond-il. Ce n'est pas normal. Quelque chose n'a pas fonctionné, ça me rend malade de voir des choses comme ça."
Amende spectaculaire
En 2018, suite à des signalements à la répression des fraudes, une première enquête visant Sfam avait conclu à la mise en place de "pratiques consistant à faire faussement croire aux consommateurs souhaitant faire cesser des prélèvements, résilier leurs abonnements et se faire rembourser les sommes prélevées après résiliation de leur contrat que leurs demandes étaient prises en compte, voire effectives". Elle s'était soldée par une transaction pénale de 10 millions d'euros à verser par la société (plus le remboursement de clients mécontents). "On a trouvé ce montant exorbitant et injuste", commente Sadri Fegaier. "Les pratiques commerciales trompeuses se sont accélérées depuis, révèle l'enquête", déplore pour sa part la procureure.