La patiente du jeudi
L’heure est venue pour Nathalie Rheims de révéler le secret qui scelle son existence
Nathalie Rheims, romancière confirmée, fille de l’académicien Maurice Rheims, petite sœur de la photographe Bettina, déclare qu’elle arrête d’écrire après son dernier livre Ne vois-tu pas que je brûle.
Cela peut surprendre car, jamais, un écrivain n’arrête d’écrire. Ce serait comme vouloir cesser de respirer. Peut-être est-ce à cause de la disparition récente de son mari, l’éditeur Léo Scheer, dont elle n’a jamais divorcé parce qu’il était né dans un camp de réfugiés en Bavière, en 1947, et parce qu’elle était pour lui « sa seule famille ».
La famille, c’est essentiel pour Nathalie Rheims. Elle a écrit, à 40 ans, son premier roman pour rendre hommage à Louis, son frère aîné, avocat prometteur, emporté par un cancer à l’âge de 33 ans. Du reste, elle l’évoque à nouveau dans Ne vois-tu pas que je brûle, et cette évocation donne le titre à ce roman. Il s’agit d’une phrase prononcée par une patiente de Freud à propos de l’interprétation d’un rêve.
Puis, au fil des années, Nathalie Rheims poursuit son roman familial en consacrant un livre à sa mère, Lili Krahmer, enfuie avec un amant alors qu’elle était adolescente ; un autre à Claude Berri, son compagnon mort en 2009 ; encore un autre à son amour de jeunesse le chanteur Mouloudji ; pour arriver, enfin, au secret qui scelle son existence. L’heure est venue de le révéler. On pourrait parler d’exorcisme, mais Nathalie Rheims réfute ce terme. « La nécessité d’écrire vient d’un manque à combler, d’une épreuve à surmonter, déclare-t-elle, et je n’ai pas été plus heureuse après avoir écrit sur mon frère (…) »
De multiples indices l’obligent à s’interroger : qui est son père biologique ? Le commissaire-priseur, Maurice, homme à femmes, incapable de dire qu’il aime sa fille, ou Serge, le psychiatre qu’elle consulte depuis l’enfance, tous les jeudis, entre 16 et 17 heures ? Elle ne paye jamais les séances. Doit-elle en déduire qu’elle ne vaut rien ? Sophocle semble prendre les commandes du récit. Il faut résoudre l’énigme des origines. Nathalie Rheims pose d’abord la question à sa mère. Oui, elle a couché avec les deux hommes, en même temps. Puis à Serge, « commissaire Maigret des âmes », qui déclare doctement : « Vous savez, nous sommes les enfants de ceux qui nous élèvent. » Enfin à Maurice, qui souhaiterait presque qu’elle ne soit pas sa fille. L’exécuteur testamentaire de Paul Morand ose ajouter : « Parce que j’aurais le droit de te sauter. »
Nathalie Rheims poursuit son enquête ; sa quête, devrais-je écrire. Son texte est précis, la phrase aiguisée comme le couteau sacrificiel. Le lecteur veut savoir. La romancière s’en sort par une pirouette : « Maurice m’avait appris à voir, et Serge, à écouter. »
Reste la phrase-titre : « Ne vois-tu pas que je brûle ? » Elle s’adresse à nous tous, enfermés dans nos certitudes, verrouillés par une société qui a jeté les clés, aveugles sans vouloir connaître la vérité, à la différence d’Œdipe.
Nathalie Rheims, Ne vois-tu pas que je brûle, Éditions Léo Scheer. 176 pages.
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