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Сентябрь
2024

"Il y a des départements ruraux où des spécialités comme la pédopsychiatrie ont pratiquement disparu"

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« Je voudrais que la santé mentale soit la grande cause nationale en 2025 », a annoncé, dimanche 22 septembre, le Premier ministre Michel Barnier. Alors que la situation est particulièrement alarmante chez les enfants, le secteur de la psychiatrie est en crise depuis de nombreuses années. Coauteur avec Aurélien Vautard de La santé mentale en France, paru en 2024, Florian Porta Bonete, médecin psychiatre, salue cette initiative.

Comment avez-vous accueilli la décision du Premier ministre de faire de la santé mentale la grande cause nationale de 2025 ?

Ma première réaction a été très positive. C’est à la fois un engagement politique et un engagement intime de Michel Barnier, puisqu’il a été personnellement touché par ces questions à travers l’engagement de sa mère dans une association liée à la santé mentale. Donc, cet aspect personnel et intime, mêlé à l’engagement politique, a fait que la communauté de la psychiatrie a réagi positivement à cette annonce. D’autant que les besoins sont énormes.

Dans votre livre, vous mentionnez qu’une personne sur cinq connaîtra une dépression au cours de sa vie. Depuis la pandémie de Covid-19, avez-vous observé une aggravation de cette situation ?

Absolument. On peut dire qu’il y a eu un “avant Covid” et un “après Covid” en santé mentale. Depuis 2020, on a observé une vague de symptômes psychiques, qu’il s’agisse d’anxiété, de dépression, ou encore de conduites auto-agressives comme les scarifications, et bien sûr, des tentatives de suicide. Les jeunes, en particulier, ont été extrêmement affectés, notamment les adolescentes. Nous avons vu une forte augmentation des consultations psychiatriques et des hospitalisations chez cette population.

Ce qui coûte cher dans la psychiatrie, ce ne sont pas tant les soins directs, bien que cela représente une dépense importante pour l'assurance maladie. Les coûts indirects sont bien plus élevés, comme les arrêts de travail, les invalidités, ou les pertes de productivité liées aux troubles psychiques. Si l’on investit davantage dans les soins et l’accompagnement, on pourrait réduire ces coûts indirects, qui sont les véritables charges pour la société.

Vous évoquez également une “ambiance de fin du monde en psychiatrie”. Pouvez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là ? C’est un ressenti que beaucoup de professionnels plus expérimentés partagent. Ceux qui exercent depuis des décennies constatent que la situation en psychiatrie s’est dégradée. Il y a une crise des moyens, avec une baisse importante du nombre de lits en psychiatrie, mais aussi une crise existentielle. La psychiatrie a du mal à se définir aujourd’hui, après l’âge d’or de la psychanalyse et les promesses des neurosciences. Cette double crise – économique et existentielle – a plongé la psychiatrie dans un certain flou.

30 % des postes de psychiatres hospitaliers sont vacants. Certains départements sont-ils plus touchés que d’autres ? Oui, tout à fait. Ce sont les zones rurales, notamment dans le centre, le nord, et l’est de la France, qui souffrent le plus de cette pénurie. Dans certains départements, des spécialités comme la pédopsychiatrie ont pratiquement disparu. Par exemple, dans des départements comme la Dordogne ou le Loiret, il n’y a plus de pédopsychiatres. 

Quelles solutions proposez-vous pour améliorer la santé mentale en France ? Nous pensons que la psychiatrie devrait connaître une transformation similaire à celle de la cancérologie il y a vingt ans, avec la création d'un grand Institut national de la santé mentale, un renforcement des centres de santé mentale, et des plans pluriannuels. Il est essentiel de graduer les soins en fonction de la gravité des troubles, pour que la psychiatrie ne soit pas saturée par des cas qui pourraient être pris en charge en amont par des psychologues ou des généralistes.

Recueillis par Nicolas Faucon