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Сентябрь
2024

Tribune : Le protectionnisme à l’américaine

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Lemoci 

La montée du protectionnisme aux États-Unis est inéluctable, quel que soit le camps, républicain ou démocrate, qui remportera les élections du 5 novembre. Mais il est davantage lié aux préoccupations de sécurité qu’à une volonté de réduire le déficit commercial. Dans l’un de ses dernières livraisons, le 19 septembre, le service des Études économiques du Crédit Agricole SA publie une analyse de ce phénomène signée de sa directrice, Isabelle Job-Bazille. Nous en publions l’intégralité ci-après avec son aimable autorisation.

Isabelle Job-Bazille (DR)

De Trump à Biden, on assiste au retour du nationalisme économique aux États-Unis avec une nouvelle matrice protectionniste fondée sur une logique sécuritaire qui peut prendre des formes diverses : politique commerciale, droits de douane et slogan « Make America Great Again » pour Donald Trump ; politique industrielle, subventions massives et slogan « Build Back Better », lequel pourrait être rebaptisé « Build Back in America » pour Joe Biden.

La vision d’une mondialisation heureuse, avec un libre-échange perçu comme un jeu à somme positive, très en vogue dans les années 80 et 90, est aujourd’hui remplacée par celle d’un commerce mondial potentiellement dangereux, source de dépendances et de vulnérabilités. Pour les États-Unis en déficit commercial chronique, les excédents commerciaux deviennent suspects et légitiment, dans ce monde mercantiliste à somme nulle, des politiques protectionnistes pour faire obstacle à une mondialisation jugée désormais préjudiciable à leur économie.

Dans le viseur des États-Unis, la Chine, ce grand rival stratégique, gagnant de la mondialisation, qui est désormais perçue comme une menace pour la sécurité nationale, vu sa centralité dans les chaînes de valeur mondialisées. Le concept de « de-risking », équivalent à un protectionnisme de précaution, se veut une réponse aux dépendances problématiques vis-à-vis de Pékin avec l’objectif de sécuriser les approvisionnements en biens ou de matières premières jugés critiques et d’atténuer l’impact des ruptures géopolitiques sur les chaînes de valeur.

La menace est celle d’une instrumentalisation des dépendances commerciales à des fins politiques avec des stratégies de coercition économique (embargo, boycott, restrictions aux exportations). C’est déjà ce que l’on observe aujourd’hui avec, à titre illustratif, une limitation à l’exportation de technologies américaines vers la Chine, le filtrage des investissements directs étrangers ou, en sens inverse, la mise en place par Pékin d’un visa d’exportation pour le gallium et le germanium, deux métaux critiques pour l’électronique de haute performance.

Repenser les échanges commerciaux en fonction de la sécurité

 

Il s’agit dès lors de repenser les échanges commerciaux en donnant une nouvelle priorité aux questions de sécurité. Cette reconfiguration volontaire des échanges à des fins sécuritaires impose de plus en plus des logiques de proximité, géographique et de valeur, une manière de donner de la consistance aux concepts de nearshoring ou de friendshoring.

La volonté des États-Unis est en effet de rapprocher et de construire des chaînes de valeur sur le continent américain dans le cadre de l’accord USMCA de libre-échange avec le Canada et le Mexique. En Asie, conformément à l’idée d’une mondialisation entre amis, les États-Unis privilégient le commerce avec ses alliés – le Japon, la Corée du Sud, et Taïwan – notamment pour ce qui concerne les échanges de technologies clefs comme les puces de dernière génération.

La rivalité sino-américaine incite également les États-Unis à rechercher des alternatives à la Chine. Le développement d’un modèle « Chine +1 » se traduit par une réorganisation des chaînes de valeur au profit de « pays amis », voisins de la Chine, à la croisée du friendshoring et du nearshoring. Un des pays grands bénéficiaires de cette reconfiguration commerciale est le Vietnam qui enregistre une envolée de ses exportations à destination du marché américain.

Cette tendance se couple néanmoins d’une forte augmentation des intrants en provenance de la Chine mettant en exergue le renforcement des dépendances non plus directes mais indirectes. Autrement dit, que ce soit via des implantations locales, des prises de participation ou des relations clients fournisseurs, la Chine tisse sa toile dans les pays voisins, voire au-delà, en particulier au Mexique en proximité des États-Unis, pour conserver son accès au marché américain, avec l’idée de contourner les droits de douane ou de se protéger contre des menaces d’embargos ou de sanctions.

En pratique, depuis le lancement de la guerre commerciale en 2018, on observe bien une chute des importations américaines en provenance de Chine, essentiellement pour les produits soumis à des droits de douane alors que les échanges sur les produits non couverts par ces droits ont plutôt eu tendance à augmenter, de quoi laisser croire à une relative efficacité des barrières commerciales. Cependant, le solde commercial américain est resté pratiquement inchangé et reste structurellement déficitaire. Il est en outre probable, comme évoqué, que le commerce sino-américain ait pris des voies détournées.

Les Américains pourraient durcir le ton

 

Conscients de la montée de ces dépendances indirectes, les Américains pourraient durcir le ton en imposant si nécessaire des règles d’origine pour anéantir la stratégie de diversion chinoise.

Néanmoins, tant qu’elles ne mettent pas en danger la sécurité nationale ou ne constituent pas une menace pour la prééminence technologique américaine, ces dépendances paraissent acceptables, voire souhaitables avec des gains d’efficacité redistribués sous forme de pouvoir d’achat aux ménages américains.

Les interdépendances mutuelles restent finalement la meilleure arme de dissuasion en permettant d’équilibrer les rapports de force et de dissoudre les antagonismes politiques dans les intérêts économiques, de quoi, on l’espère, rendre les rivalités de puissance, entre la Chine et les États-Unis, moins belliqueuses.

Isabelle Job-Bazille,
directrice des Études économiques groupe

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