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Сентябрь
2024

Fredric Jameson, le grand théoricien marxiste, est mort

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Théoricien américain de la littérature, mais aussi et surtout philosophe politique d’inspiration marxiste, Fredric Jameson est mort à l’âge de 90 ans. Si son nom et son œuvre restent peu connus du grand public, ils ont pourtant marqué de leur empreinte le paysage de la pensée critique des quarante dernières années.

Considéré à la mesure d’autres grands noms de la pensée de gauche (Negri, Rancière, Butler, Haraway, Laclau, Harvey, Agamben, Balibar, Badiou, Spivak, Zizek…), comme l’a analysé Razmig Keucheyan dans son essai Hémisphère gauche (Zones, 2010), Fredric Jameson a déployé une œuvre vouée à remodeler le matérialisme marxien, quand beaucoup enterraient Marx. Tout en saluant l’importance du matérialisme historique, il ne cessa de chercher à le renouveler, en l’associant notamment à d’autres courants philosophiques, issus de la phénoménologie, de la psychanalyse, du poststructuralisme, de la sémiologie, de l’économie politique.

Des classiques de la pensée de gauche

Ses essais L’Inconscient politique, paru en 1981, mais surtout Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, publié dans la revue New Left Review en 1984, forment aujourd’hui des “classiques” de la gauche intellectuelle. Jameson décrit le postmodernisme, théorisé au départ par Jean-François Lyotard, comme une étape du capitalisme tardif, comme sa “logique culturelle”.

Se penchant sur l’art, l’architecture, la littérature, le cinéma et la vidéo, il porte un regard sur son temps à partir d’une focale principalement culturelle. Se distinguant à la fois de Lyotard, qui indexait l’avènement de la postmodernité à la fin des grands récits, et de Jürgen Habermas pour qui la modernité reste inachevée, Jameson estime que la postmodernité n’est pas une “condition”, mais une période historique : celle du  “capitalisme tardif”.

Grand utopiste

En vrai historien, convaincu qu’il faut toujours “historiciser” les sujets et les événements, il fut un grand utopiste. Comme il le théorisait dans Archéologies du futur (éditions Amsterdam), il estimait qu’il fallait renouer avec le sens du futur qui a pour nom utopie, c’est-à-dire désir, révolte contre les injustices, et aspiration à la transformation radicale de ce qui existe. En revisitant les textes essentiels de la tradition utopique, de Thomas More à William Morris, et la science-fiction, de H. G. Wells à Philip K. Dick et Ursula Le Guin, Fredric Jameson s’accrocha aux rêves autant qu’aux conditions sociales qui président à leur destruction. Pour lui, dans une sorte de fidélité à la promesse fondatrice du marxisme, la capacité à rêver restait intacte dans la société, et constituait la mesure de notre puissance collective, le signe que les grands récits en déroute de la postmodernité étaient moins finis qu’infinis. Que d’autres mondes étaient possibles.