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Сентябрь
2024

L’emploi de la force est-il la seule réponse au malaise et à la colère des outre-mer ?

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Deux territoires ultramarins, la Martinique et la Nouvelle-Calédonie, sont actuellement sous couvre-feu. À Mayotte, la situation reste critique. La France d’outre-mer est dans le gros temps. Le 24 septembre marque l’anniversaire de la prise de possession (en 1853) de la Nouvelle-Calédonie par la France. Ce qui fait redouter un nouveau pic de violence sur l’archipel.

1. Pourquoi la colère explose-t-elle en Martinique ? 

Pour Christiane Rafidinarivo, politologue associée au Cevipof (Sciences Po), le pouvoir d’achat, qui reste la première préoccupation des Français, percute de façon plus forte encore les territoires ultramarins « où 30 à 40 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et où perdurent des inégalités sociales structurelles très importantes ».« Cette question de la vie chère est tout sauf nouvelle. Les solutions qui sont mises en œuvre sont temporaires et ne font pas l’objet de la même rigueur dans l’application au fur et à mesure du retour à la normale. Ce qui fait que tous les cinq à dix ans, ça éclate à nouveau », abonde Fred Constant, professeur en sciences politiques (Université des Antilles).

L’universitaire cite la loi dite « bouclier des prix » de Victorien Lurel, ministre des Outre-mer de François Hollande. « Elle a été mise en œuvre mais, à mesure que la mobilisation sociale retombait, les contrôles se sont relâchés. » En Martinique, il y a une contestation de l’octroi de mer, une taxe propre aux outre-mer qui date de l’Ancien régime mais « qui est collectée au bénéfice des collectivités territoriales, la réduire ce serait encore réduire leurs moyens », signale Christiane Rafidinarivo.

2. Pourquoi la tension ne retombe-t-elle pas en Nouvelle-Calédonie ?

Fred Constant, ancien haut fonctionnaire et diplomate, a suivi de très près ce dossier. « Malheureusement, après 30 ans de paix relative grâce aux accords de Nouméa, on est revenu pratiquement à la case départ avec une bipolarisation extrême. »

L’enseignant y voit le résultat d’une volonté de « passage en force » d’Emmanuel Macron et de l’ex-ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Et ce, depuis le refus présidentiel du report du troisième référendum à la demande des indépendantistes. « Gérald Darmanin s’est senti dès lors autorisé à lancer le dégel du corps électoral, qui, et c’était annoncé, a mis le feu aux poudres ». « L’escalade a été très rapide, avec 13 morts dont deux forces de l'ordre, des vies qu’on aurait pu sauver », déplore Fred Constant. L’affichage de « fermeté », et cette brusquerie percutent, selon l’enseignant, le « temps océanien, celui des palabres et des délibérations plus longues, où l’on recherche le consensus ».

3. Le ministère des Outre-mer retrouve son autonomie par rapport à l’Intérieur, est-ce un signe envoyé aux Ultramarins ?

La séquence qui vient de s’achever ne trouve absolument pas grâce aux yeux de Fred Constant. « Gérald Darmanin avait surtout un agenda régalien, sécuritaire », et le président de la République lui a donné l’outre-mer en « lot de consolation de Matignon ». Une logique, pour le politologue, « très éloignée des préoccupations de l’outre-mer ». L’ancien ministre de l’Intérieur ne s’est pas, par exemple, « penché sur la question du coût de la vie, qui couvait depuis longtemps ».

4. François-Noël Buffet pourra-t-il changer de cap ?Estimant que la marge de manœuvre du sénateur LR promu ministre sera limitée, Fred Constant attend de lire sa « lettre de mission », cosignée par le Premier ministre et le président de la République.

Sur la Nouvelle-Calédonie, « François-Noël Buffet était favorable au dégel du corps électoral et à la reprise en main de l’ordre public. Et dans ce domaine, il va travailler avec Bruno Retailleau… » Autant dire que l’universitaire ne voit ni inflexion sensible, ni « retour du dialogue ».var _ultimedia_host = "https://www.ultimedia.com";var _ultimedia_script = document.createElement("script");_ultimedia_script.setAttribute("type", "text/javascript");_ultimedia_script.setAttribute("src", _ultimedia_host + '/js/common/visible_player.js');document.getElementsByTagName('head')[0].appendChild(_ultimedia_script);

À Saint-Denis, Fort-de-France ou Cayenne, « la crainte, c’est d’avoir un ministre qui ne connaisse rien aux problématiques des outre-mer et se contente de politiques conjoncturelles », insiste Christiane Rafidinarivo.

La première décision de Michel Barnier pour la Martinique a été d’envoyer une compagnie de CRS pour y épauler les gendarmes. Mauvais signal : « Les CRS avaient été bannis de Martinique depuis les émeutes meurtrières de décembre 1959 », rappelle Fred Constant.

5. La « fermeté » affichée est-elle une façon de répondre aux rivalités géopolitiques, très fortes dans ces espaces maritimes ? 

« Les autres puissances scrutent avec beaucoup plus d’attention qu’il y a dix ans la gouvernance ultramarine de la France », observe Christiane Rafidinarivo.  « Est-on dans la gestion de crise ou dans la résolution de crise ? », lance la politologue. Si elle exclut la Réunion de son analyse, Christiane Rafidinarivo parle de « vulnérabilité démocratique » et envisage qu’elle puisse « fragiliser la position de la France ». Fred Constant estime que cette pression géopolitique « concourt à la volonté du pouvoir central de passer en force ». « On est en plein basculement géopolitique vers l’Indo-Pacifique. Sans la Nouvelle-Calédonie, la France ne peut pas aspirer à jouer avec les grands. »

A lire. Grégoire Molinatti, Christiane Rafidinarivo, Bernard Idelson (dir.), Démocratisation de la démocratie : Mouvements sociaux,  institutionnalisations citoyennes et mobilisations numériques, Presses Universitaires Indianocéaniques, Saint-Denis,  2023 et Géopolitique des outre-mer, de Fred Constant. Éditions du Cavalier Bleu, 2023.

Julien Rapegno