De la conception à la scène, quand les résidences d'artistes offrent des conditions uniques de création
Immatriculée AGV-937, la voiture trône au milieu de la salle Animatis d’Issoire. Non pas sur la scène, mais bien au milieu de la salle. Ici, dans quelques minutes, va se jouer une composition inédite. Une création artistique sortie de l’esprit des membres de la compagnie La Transversale et enrichie de nombreuses rencontres effectuées depuis des semaines. Des mois. Et même des années.
Car, avant de jouer L’Île de béton devant un public subjugué par leurs performances, Yves Beauget, Aleksandra de Cizancourt et Cédric Jonchière (Agnès Adam était présente sur la création), ont pu parfaire cette robinsonnade étrange, entre cirque, music-hall et roman d’anticipation, durant leur résidence artistique issoirienne.
"Le but d’accueillir une résidence d’artistes en territoire, c’est de l’implanter localement par des temps de création, des actions culturelles et de l’intervention en milieu scolaire"
Des accueils au long cours, entre deux et trois ans, qui peuvent être effectués grâce aux financements de la Ville et de la Direction des affaires culturelles (Drac). "On finance moitié-moitié cette résidence", appuie Ulrick Bronner, adjoint en charge de la culture. Un engagement estimé à 9.000 € par an pour la commune issoirienne qui permet à la cité Saint-Austremoine de soutenir la création contemporaine.
Être reconnu comme scène régionale"Au sortir du Covid, on s’est rendu compte qu’il y avait encore plus besoin d’accompagner le théâtre. Le soutien à l’émergence est aussi un moyen de se démarquer des communes de la même taille qu’Issoire. Et puis, on espère bien, dans les deux prochaines années, être reconnu comme scène régionale", révèle l’adjoint qui assure vouloir pérenniser ces résidences artistiques.
Depuis l’année 2023 et pour trois ans, la compagnie La Transversale passe en moyenne une quinzaine de semaines par an à Issoire. "Cela fait toute la différence, car on a pu développer énormément de choses grâce à la confiance du service culturel", commente Yves Beauget, metteur en scène et comédien.Une présence qui a permis aux acteurs d’effectuer de nombreuses interventions et de mener plusieurs actions comme des lectures spectacle autour de Robinson Crusoé à la médiathèque ou un atelier théâtre pour enfants (novembre 2023). "Leur spécialité, c’est de mettre des romans sur plateau, donc on a beaucoup travaillé avec la médiathèque", complète Séverine Paulet.L'Ile de béton a attiré le monde à Issoire. Photo Thierry RedingDes échanges nourris qui ont aussi permis aux artistes d’élargir leurs propositions. "Le territoire nous a renvoyé des choses. Avant la résidence, la compagnie s’adressait quasi exclusivement à un public adulte. Ici, on a pu aller à la fois vers les enfants et le grand âge", précise Cédric Jonchière, metteur en scène et comédien. Un enrichissement à la fois humain et artistique.
"Mettre les artistes dans les meilleures conditions pour qu’ils puissent créer."À Issoire la compagnie peut bénéficier de conditions optimales pour mettre au point L’Île de béton (d’après le roman du même nom de James Graham Ballard) jouée le 23 mai dernier devant des scolaires (14 h 30) puis le public d’Animatis.
"Avec cette résidence, nous avons eu une confiance et des lieux à disposition pour créer"
Car, si durant l’année, chacun loge dans un lieu différent (à côté du Mont Saint-Michel, en région parisienne ou à Clermont-Ferrand), les périodes de résidences artistiques permettent de se rassembler autour de l’adaptation. "Une fois que l’on a dégagé le pourquoi, il nous faut l’espace pour déterminer le comment de la création", illustre Yves Beauget.La salle a été adaptée au spectacle. Photo Thierry RedingDurant plusieurs semaines au printemps dernier, les comédiens ont pu vérifier "de la table au plateau", que les scènes choisies dans le roman de James Graham Ballard pouvaient correspondre. "C’est le plateau qui décide toujours", appuie le metteur en scène. Lors de cette période intense de quatre à cinq semaines, la salle Animatis a été réservée pour la compagnie. Alors que l’équipe technique et celle chargée de l’accueil artistique ont "mis la main à la pâte pour faire en sorte que cette création puisse voir le jour", insiste Séverine Paulet.
Bientôt au Festival d'Avignon ?Ce nouvel opus façonné de toutes pièces à Issoire s’apprête également à voyager. "Les 17 et 18 octobre, on le joue à la Cour des Trois coquins de Clermont-Ferrand. Puis, on partira à Lorient en mars. Nous sommes aussi en discussion pour le proposer lors du Festival d’Avignon", se félicitent les comédiens. "Il faut maintenant que cette création vive et ait une longue vie", insiste la directrice de l’action culturelle.
Encore en résidence au pied de la Couze pour quelques mois, les membres de La Transversale ont pu participer aux Journées européennes du patrimoine, samedi dernier, en proposant une joute oratoire. Ils feront aussi découvrir au public d’Animatis une grande version de leur Conte punk le 30 janvier, inspiré du roman Vernon Subutex de Virginie Despentes.
Une proposition qui ne sera pas la dernière : la compagnie va, dans les prochains mois, continuer les interventions auprès du public, aller à la rencontre de l’école de musique de l’Api ou réaliser des échanges intergénérationnels. Sans oublier un grand projet de transmission de savoir où des jeunes du conservatoire de théâtre de Clermont-Ferrand et une classe du conservatoire du 8e arrondissement de Paris seront au contact de La Transversale, à Issoire, pour dix jours. Une rencontre qui fera date et qui placera une fois encore Animatis comme un lieu de partage culturel.
Jean-Baptiste Botella